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S'il
y a un rôle à assigner à la chronique, c'est surtout celui de conférer du sens
même à ce qui nous paraît le moins digne d'intérêt au sein de nos familles,
notre entourage, nos rues, le pays, etc. Cela dit, le billet journalistique
nous laisse entrevoir et découvrir, par le biais de sa description du vécu
social de nos citoyens, ce que les entrailles de la société charrient de plus
profond, de plus insaisissable et de plus enfoui, et aussi toutes ses anomalies
sous l'apparente banalité de la routine des jours. C'est pourquoi, en cette ère
très critique de la vie de cette Algérie en déréliction où il est presque impossible
de tracer les contours d'un horizon meilleur que celui, gris, du temps présent,
l'attention qu'on porte à ces petites choses, aux détails et aux phénomènes
anodins et aux gens de basse extraction peut nous être salutaire dans la
compréhension de notre malaise. Cela est d'autant plus vrai que se consoler de
l'actuel fiasco à tous les niveaux, lequel ne fait d'ailleurs que déprimer
cette jeunesse sans repères, est une invite indirecte et maladroite au suicide
collectif. Suicide! Un mot qui m'exècre et me donne de
la nausée, décidément. Car, personnellement, malgré le degré du pourrissement
de notre situation politique et n'en déplaise à certains des miens, je crois au
progrès futur de l'Algérie, à l'esprit de solidarité populaire, à la
résurrection des nos valeurs traditionnelles
authentiques qui feront, sans aucun doute, le lit de la communauté démocratique
de demain, à la transparence dans la gestion des deniers publics, à la
modernité, aux institutions électives qui fonctionnent dans les normes, à la
société plurielle et fraternelle qui avance, etc.
Or, tout un chacun de nous se heurte aujourd'hui à une telle incompréhension de la part de nos officiels qu'un épouvantable doute l'étreint et l'enserre entre ses griffes. Il paraît que, si les «zéros ne tournent pas en rond» comme l'aurait bien affirmé l'écrivain Malek Haddad (1927-1978), c'est bien nous, les Algériens, qui tournons malheureusement en rond à leur place! Horrible et caricatural serait alors notre sort si nous continuons à errer aveuglément dans cette voie sans issue. Où est la lucidité et la clairvoyance? Où est l'éclaircie dans ce labyrinthe politique qui s'allonge en autant d'épisodes dans cette série fantasque du «game of thrones»? Pourquoi on est comme ça en Algérie? Contre la logique, contre nous-mêmes, contre les nôtres, contre le sens du monde... les autres? Pourquoi par exemple la seule idée qui insinue que nos jeunes «souffrent» est-elle si complètement indigérable, voire insupportable à évoquer devant cette nomenklatura usée, décrépite et dépassée? Et puis, y aura-t-il autre chose à léguer aux générations montantes à part ces virus mortels de «l'antipathie patriotique», la haine de soi, le fléau de la corruption et surtout ce mauvais pli du report sine die des solutions quand il y a problème à régler? Loin d'y penser ou, du moins, s'en inquiéter, nos élites sont en train de voguer, insouciantes, dans leurs interminables dilemmes et cela durera, peut-être, jusqu'au jour où le miroir de la réalité leur aura renvoyé les premiers signes avant-coureurs de l'ampleur de cette gangrène qui avance à grandes enjambées dans le corps de ce «grand malade» qu'est l'Algérie. Trêve de digressions oiseuses, trêve de prolongations et d'esquive, «stop» la manipulation! Il est temps de mettre le holà aux tours de passe-passe, encourager la bonne gouvernance, enrayer ce douloureux problème de l'incommunicabilité entre les générations, etc. D'ailleurs, je dirais au risque d'écrire des vérités premières, sachant au passage que tout est confondu chez nous, les Algériens (officiels et plèbe) devraient réviser en urgence leur logiciel d'interprétation du monde. Autrement dit, il leur serait nécessaire, voire vital de laisser de côté cet esprit réservé, un tantinet conservateur et s'ouvrir sur eux-mêmes d'abord, entre eux et aux autres ensuite : s'accepter et accepter ces autres-là tels qu'ils sont et tolérer leurs différences et leur philosophie d'existence (je pense, en particulier, ici aux masses de migrants du sahel africain, aux Syriens qui affluent vers notre territoire dans l'espoir d'y vivre, loin des guerres, du dénuement et de la famine). Le vivre-ensemble n'est-il pas, après tout, une vertu cardinale dans la vie des nations modernes? Bien entendu, cela ne sera possible au départ que lorsque mes compatriotes commencent déjà à comprendre l'origine de leur problème et à combler ce «generation gap», c'est-à-dire ce vide atroce entre la jeunesse actuelle et l'ancienne école révolutionnaire. Effectivement, il s'est produit plusieurs cassures générationnelles dans notre pays mais celle du début des années 1980 fut des plus abruptes. Quelque chose de désolant qui a fait brutalement régresser le gros des vagues générationnelles ultérieures dans un certain «fanatisme religieux» et basculer cette bonhomie typique de la paysannerie traditionnelle dans le faux luxe de la citadinité. Notre société qui n'a jamais tranché ses amarres avec cet «héritage de la Boundoukiya» -le fusil- comme dirait avec justesse le Pr Rachid Tlemçani, s'est mise, avant toute chose, dans la tête l'idée de la reconquête de la patriarcalité, des tabous de tous genres, la phallocratie, le conservatisme, etc. Autant dire, tout le carcan négatif de la famille traditionnelle. Et, sans le moindre garde-fou, elle s'est sauvagement libérée dans une hypocrisie propre à la ville ou à la cité urbaine. En conséquence, tous ces gens des bas-fonds de la ruralité qui se sont déplacés vers les villes se retrouvent, malgré eux, mal intégrés dans le tissu urbain. Et comme par hasard, parmi les premières retombées calamiteuses de cette «déruralisation sauvage des campagnes», on cite d'abord le phénomène de «l'islamisme social» avant qu'il ne prenne vers les années 1990 le nom de «l'islamisme politique». L'ère économique de l'Infitah du président Chadli (1929-2012) aurait, encore faudrait l'avouer ici, ouvert de grandes portes à un marchandage inédit de type nouveau entre campagnes et villes, Islam et Islamisme, civils et militaires, politique et business, etc., dans un contexte international bouillonnant (la révolution islamique en Iran, la guerre d'Afghanistan, le crash pétrolier, la crise mondiale...). Ainsi la ville est-elle devenue, en seulement quelques années, le point de convergence entre «le paysan déruralisé» et «le citadin ruralisé» dans un décor général caractérisé par une dépression économique et morale d'envergure! Assurément, la genèse de la violence chez nous trouve là sa parfaite explication. Une «violence-défouloir» de toutes ces inégalités ressenties sur le terrain par la population après presque trois décennies d'indépendance (avant Octobre 1988). Et aussi de l'incommensurable décalage entre les couches sociales, que ce soit dans leur rapport à la foi, à l'économique, au social, à la politique, etc. Élites et masses en Algérie, c'est, somme toute, comme l'histoire de ces amours qui finissent toujours tragiquement. Bref, on aura du mal à assimiler le fond de notre tragédie s'il l'on ne tient pas compte de ces données fondamentales. Si l'Algérien d'aujourd'hui s'est «clochardisé» mentalement avant de l'être d'ailleurs matériellement, c'est qu'il subit dans sa chair et sa conscience le retour de manivelle des politiques contradictoires de ses gouvernants. L'image de ces pères de famille algériens au seuil de la vieillesse qui quittent récemment en masse leur pays et leurs foyers pour s'installer sous d'autres cieux, parfois même «sans-papiers», laissant derrière eux et femmes et enfants n'est pas née d'une pure coïncidence. Bien au contraire, elle exprime le divorce forcé entre les générations, dans les familles, la société, au sommet de l'Etat ? et, bien sûr, une métamorphose radicale inquiétante des valeurs locales du citoyen (honneur, virilité, sens de la famille, dignité...). Un phénomène très complexe et très grave auquel psychologues et sociologues de tous bords devraient orienter leurs efforts d'étude. D'autres compatriotes, fatalistes et défaitistes, n'ont trouvé, eux, face aux questions par trop insolubles et controversées que soulève leur vécu ordinaire (le niveau de vie en baisse, les contradictions sociales, la bureaucratie, la hogra, etc), que le refuge de «la religiosité d'apparat». L'islamisme n'est, au fait, qu'une verrue ayant résulté de la contamination des esprits et tenant place, ironie du sort, d'unique viatique à leur souffrance et à leurs incertitudes intérieures. Peut-être ne s'y sont-ils résolus que poussés au bout de la colère par l'impasse, la malvie, l'ignorance, la médiocrité ambiante? Dans ce contexte, le penseur Syrien Al-Kawakibi (1855-1902) affirme dans son livre «Tabaîa Al-Istibdad» (Du despotisme) que l'ignorance du peuple ajoutée à la force militaire organisée dont font usage les gouvernants jettent souvent les bases du despotisme. Plus loin dans ce même ouvrage, il précise que cela crée un despotisme d'un groupe qui se révèle parfois plus néfaste que celui d'un seul individu. D'autant que dans ce dernier, les forces de frappes et de nuisances sont multipliées en autant de points concentriques. La situation s'aggrave sérieusement davantage lorsque la notion d'éthique déserte les consciences. Enfin, c'est un crève-cœur que de ne pas avoir tenté de redresser, je vise ici notre intelligentsia, ce cheminement cahoteux du mouvement sociétal de la nation dès la fin des années 1970. Or, est-il rien de plus désespérant, de plus odieux et de plus scandaleux, en notre époque, que de ne pas œuvrer à l'assainissement immédiat de telles pratiques qui jurent avec l'être profond de la société? |
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