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Livres
Algérie enfermement. Littérature, cinéma, peinture. Essai de Denise Brahimi, El Kalima Editions, Alger 2015, 246 pages, 600 dinars. A travers les œuvres de cinq grands noms de la culture (dont deux peintres : Sauveur Galliéro et Mohammed Khadda, et trois réalisateurs dont Merzak Allouache et Yamina Bengugui) : Samir Toumi, Kateb Yacine, Fromentin, Assia Djebar, Germaine Tillon, Mouloud Mammeri, Isabelle Eberhardt, Boualem Sansal, Mohammed Dib, Albert Camus, l'auteure présente, plutôt nous révèle, avec pédagogie, l'image, la sensation et/ou le sentiment «d'enfermement» de la personnalité collective des Algériens. Parti du livre le plus contemporain, peut-être le plus révélateur, sinon le plus «choquant» (pour moi), celui de Samir Toumi («Le Cri», déjà présenté dans cette même rubrique), elle a remonté le temps en revisitant d'autres écrivains, peintres ou réalisateurs. Le thème est fécond... et, à travers les œuvres, on va, avec l'auteure, analyste littéraire de grande envergure, de découverte en découverte... de nous-mêmes... à travers une longue histoire, coloniale y compris (centrée, celle-ci autour de très petits endroits faits seulement pour les Européens ). Une géographie fragmentée (morcelée comme, par exemple, la Kabylie bien décrite par Feraoun et Mammeri dans «La Colline oubliée» ou par le peintre Khadda), Alger et son bloc fermé constitué par la Casbah, des villes repliées sur elles-mêmes, chacune se préférant capitale et fuyant les subordinations des unes des autres (Constantine dans Nedjma de Kateb Yacine ou Oran de Camus dans «La peste» et, aussi, dans «L'été»). Une préhistoire et protohistoire avec le refus d'intégrer à la famille un étranger par peur, surtout de mœurs différentes et refus considéré comme nécessaire à la survie («Le Harem et les cousins» de Germaine Tillon)... et une humeur ombrageuse (Le «Jugurtha» de Henri Kréa) Une histoire contemporaine ayant accentué l'enfermement... côté Algériens, comme côté Colons... et à l'Indépendance, un enfermement idéologique. Une idéologie unique qui est le nationalisme, accompagné d'une conviction politique forte, l'internationalisme. Trop d'enfermements cumulés... avec une masse de frustrations, au niveau des grands artistes mais aussi au niveau des citoyens... Résultat des courses : un désir de fuite lié au sentiment d'étouffement. D'où une autre sorte d'émigration pour «s'en sortir», la «fuite des cerveaux» (comme l'émigration économique) : «Harraga» de Boualem Sansal. Ah, on allait oublier les femmes ! Elles vont tout faire pour sortir de leur «enfermement» ( avec une aggravation de la situation durant la décennie rouge)... Elles y réussiront par la résistance et le refus de continuer à être «enfermées». L'auteure : Née à Mâcon ( France), elle a vécu de 1962 à 1972 à Alger. Agrégée de lettres classiques (1960), docteur ès lettres (Paris, 1976). Enseignante à l'université d'Alger jusqu'en 1971, professeur de littérature moderne et comparée à l'Université Paris VII (en 1992). Elle s'intéresse au Maghreb depuis les années 1960, et elle est spécialiste des récits de voyage au Maghreb. Elle leur a consacré plusieurs ouvrages, dont sa thèse portant sur les voyageurs du XVIIIe siècle, plus ou moins inspirés par l'esprit philosophique de leur temps, ainsi qu'un recueil de textes intitulé «Opinions et regards des Européens sur le Maghreb aux XVIIe et XVIIIe siècles». Elle s'intéresse particulièrement aux femmes qui écrivent et à leurs personnages féminins. Avis : Livre présenté sous une forme un peu style polycopie... sans introduction ou présentation et encore moins de conclusion, comme s'il avait été réalisé à la va-vite. Permet de mieux comprendre des œuvres peut-être lues ou vues trop rapidement. Citation: «En Algérie, tout le monde se plaint d'étouffer et dit son désir d'aller voir ce qui se passe ailleurs, quoi qu'il en soit. Mais, en même temps, dès qu'ils sont loin de chez eux, ces mêmes Algériens ont envie d'y revenir, et se sentent orphelins de leur pays» (p 9) L'émergence des femmes au Maghreb. Une révolution inachevée. Essai de Kamel Kateb. Apic Editions Alger 2015, 321 pages, 850 dinars. L'ouvrage fait partie d'une collection d'ouvrages soutenus par le projet Otma (Observatoire des Transformations dans le Monde Arabe), mené par l'Ined et l'Ird (France). Pour l'auteur, les transformations qui surviennent dans le monde arabe sont à inscrire dans les temporalités propres aux évolutions démographiques. De ce fait, et les préfaciers ( F. Guérin-Pace et J-Y Moisseron) sont d'accord avec lui pour dire que «l'émergence de sociétés réclamant explicitement la démocratie n'est pas seulement le produit d'une conscience politique soudaine, mais le fruit d'une accumulation de facteurs qui se sont constitués sur plusieurs décennies à travers plusieurs transitions : transition démographique, développement économique, révolution informationnelle, transition énergétique... » L'auteur tente tout d'abord de répondre aux questionnements induits par la problématique du mariage : précoce ou tardif ?... à travers, entre autres, l'analyse de la dérégulation lente du marché matrimonial... la scolarisation et le prolongement du célibat. Il y a, ensuite, les conséquences des changements démographiques sur l'ordre social et religieux (célibat, nuptialité, dissolution du système patriarcal... ) Enfin, il aborde la «révolution silencieuse au plus profond de la société», produite par une montée en puissance des femmes, aboutissant sur un «célibat prolongé pour un système matrimonial plus adapté» et l'«autonomisation progressive du mouvement féminin». A propos du phénomène «célibat prolongé», l'auteur nous présente son interprétation de trois grandes catégories : celle qui exprime une forme de contestation de l'ordre «établi sur la base d'une domination sans partage de la gent masculine, résultat de la compromission des élites avec les forces conservatrices et religieuses») ; celle (la plus forte proportion ?) qui aspirerait «à conclure une union sur des bases amoureuses en bénéficiant de la liberté de choix du conjoint» ; celle (proportion importante des femmes célibataires... dont certaines adeptes du modèle dit islamique ) qui resterait «inscrite dans le cadre du schéma matrimonial traditionnel... et portée aux compromis nécessaires (voile, seconde épouse... )». En définitive, c'est la femme maghrébine qui se retrouve, pour un bon bout de temps encore, hélas, pour toute la société, prisonnière (tout en détenant la clé de la libération, ce qui est paradoxal et pourtant... ) du débat sans fin, malgré le contexte international favorable à une égalité totale entre les sexes et un droit international qui s'impose dans les législations nationales, autour de son statut dans la société. Prisonnière des forces qui souhaiteraient une modernisation de l'Islam et les partisans de l'islamisation de la modernité. Elle n'a pas fini d'en «baver» ! Comme toujours. L'auteur :Docteur en démographie, il est chercheur démographe en France. En fait, un parcours de démographe et d'historien... mais intellectuel engagé. Auteur de plusieurs ouvrages : «La fin du mariage traditionnel ? 1876-1998» en 1998, «Ecole, population et société en Algérie» en 2006, «Européens, Indigènes et Juifs en Algérie, 1830-1962»... Avis : étude comparative rigoureuse et très documentée (annexes fournies... dont des «extraits du Coran relatifs à la nuptialité, à la polygamie, aux relations sexuelles, à la répudiation, à l'adultère... ainsi que les «réserves de l'Algérie et de la Tunisie sur certains articles de la Cedaw de décembre 1979»). Des clés d'interprétation du changement social au Maghreb à travers toutes les dimensions. Citations : «Le niveau de mobilisation des femmes maghrébines est probablement en deçà des besoins, alors qu'elles ont le plus à gagner dans cette révolution silencieuse, au contraire des hommes, qui auront dans un premier temps à céder une parcelle d'un pouvoir qu'ils ont détenu sans partage pendant des siècles » ( p 151), «Le refus des pouvoirs politiques et d'une partie de la société d'accepter l'autonomie de pensée des individus, et leur volonté de limiter l'exercice des libertés individuelles renforcent les tendances à la mobilisation de la religion (capital symbolique) sur le terrain politique et juridique» (p 219), «La scolarisation massive des filles a engagé un processus irréversible de transformation des sociétés maghrébines qui ne pourrait être remis en cause que par un triomphe complet d'un projet politique totalitaire génocidaire» ( p 229). Ecriture féminine : réception, discours et représentations. Actes universitaires. Colloque international organisé à Oran en novembre 2007(ou 2006 ?... erreur notée dans la page de garde et la page 3 en remerciements !). Sous la direction de Mohamed Daoud, Faouzia Bendjelid et Christine Detrez. Editions Crasc, Oran, 201, 284 pages en français et 260 pages en arabe, 350 dinars. Quatre thèmes ou axes (Ecriture féminine : problématique et définition / Dominations masculines-Résistances corporelles / Autobiographie, mémoire et quête d'identité / L'univers romanesque d'Ahlem Mesteghanemi)... et trente-huit communications... que l'on retrouve dans les deux langues, français (une en anglais) et arabe... et quinze auteures passées à la «casserole» de la critique académique à travers leur(s) œuvre(s). Pour la plupart, sinon la quasi-totalité des Algériennes d'ici et (ou) d'ailleurs. Quelques exceptions avec deux «étrangères» : Simone de Beauvoir dont on sait l'influence de son engagement féministe et de son style sur nos écrivaines, et Fatima Mernissi... femmes remarquables aux affinités évidentes et dont la pensée théorique puise ses racines dans le vécu. Donc, en vrac ! Assia Djebar, Malika Mokaddem, Nina Bouraoui, Zahia Rahmani, Fadhma Aït Mansour, Fatima Bakhaï, Aïcha Lemsine, Hawa Djabali, Maïssa Bey, Saliha Khemir, Ahlem Mestghanemi... et, bien sûr, Rachid Boudjedra, dont on sait que dans bien des pages de ses œuvres sont couchées des femmes. Globalement, la littérature féminine (au Maghreb) s'inscrit dans la problématique d'une écriture de la résistance et du combat. Toute «pacifique, sereine et responsable» ? Pas si sûr, pas complètement, à mon avis. Il est difficile de l'être lorsqu'on veut «briser l'enfermement, contrer les mentalités archaïques et retardataires, casser l'isolation et la claustration, anéantir l'effacement, sortir du mutisme». Quand on ne veut plus subir le «destin fatal de l'éducation». L'écriture est particulière, prenant en charge les préoccupations d'un devenir lié à son peuple. L'écriture est, enfin, porteuse d'un «regard» sur le monde, le sien et le reste. Hélas, elle reste «encore méconnue, inexploitée et inexplorée comme il se doit dans le champ de la critique littéraire». Jugement rapide d'universitaires... constatant moi-même que la production littéraire féminine (nationale) est en expansion et s'en va même dominer et le marché et les pages consacrées à la présentation des œuvres et des carrières. Du moins dans la presse généraliste. Ce qui, peut-être, ne plaît pas aux spécialistes. Il faudrait savoir qu'un journaliste n'est pas obligatoirement un critique littéraire au sens académique du terme. Ce ne peut être qu'un liseur-vulgarisateur... averti. Le reste est une autre histoire concernant l'Université... avec ses manques. Le Crasc vient, avec ce colloque et, surtout, grâce aux Actes édités et diffusés au grand public à un prix défiant toute concurrence, d'en effacer un. L'auteur : Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Division de recherche : anthropologie de l'imaginaire et pratique signifiante). Avec le concours du groupe de recherche France-Maghreb et l'Ecole normale supérieure des lettres et des sciences humaines de Lyon. Avis : très utile aux critiques littéraires, tout particulièrement les tout nouveaux... et à ceux qui souhaiteraient comprendre, à travers l'écriture féminine, encore mieux, le monde féminin. Citation : «Agression ou transgression ? Violation ou rébellion ? Offensive ou insoumission ? Les interrogations et les lectures peuvent se multiplier indéfiniment» (p 9) PS : quelques citations relevées ici et là : «Dans mes études, la lecture personnelle a occupé une place importante en dehors des leçons et des cours, à raison d'au moins un livre par semaine... Nourri ainsi par la lecture, mon goût de l'écriture s'est développé peu à peu» (Cheikh Bouamrane), «La librairie n'encombre pas le cerveau des hommes politiques, alors que le cerveau des hommes politiques encombre les librairies» (Bernard Pivot), « Le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle» (Gustave Flaubert), «Le face-à-face avec une écriture généreuse fournit la possibilité non pas de surmonter ses désarrois, mais de les vivre, de les traverser. Bref, entrer dans un livre permet de s'en sortir» (Jean Birnbaum), «Traduire, ce n'est pas trahir comme on le dit souvent. Traduire, c'est aimer» (Waciny Laredj), «Quand les hommes se posent des questions, le livre demeure une réponse adaptée» (anonyme), «La langue maternelle n'appartient à personne, pas même à la mère» (Bruno Racine, ancien président de la BN de France), «L'accueil est fondamental dans une librairie» (un libraire), «La littérature, ce n'est pas ce que nous disons, mais comment nous le disons» (Lamis Saidi, poétesse), «Ecrire est une façon de donner libre cours à son imaginaire et l'écriture est la sœur jumelle de la liberté» (Amine Zaoui), « C'est triste que des intellectuels jouent à la police de la pensée... et un intellectuel qui écrit des platitudes qui ne dérangent rien ni personne n'est pas un intellectuel», (Boualem Sansal). |
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