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Parmi
les mœurs ancestrales de la société algérienne, il n'en est pas de plus notable
que la solidarité. Nous avions chassé successivement les envahisseurs parce que
nous avions de tout temps été solidaires.
Lorsqu'on traite la question de solidarité chez les citoyens de l'Algérie d'aujourd'hui, loin des slogans arborés par les associations et les déclarations des personnalités publiques, on tire une conclusion qui désavoue ce tableau parfait ou presque qui présente les Algériens comme des hommes et des femmes qui ne peuvent passer devant un errant sans lui soumettre un toit, ou voir un mendiant sans se courber pour lui offrir de quoi se payer un café. Dans un sens un peu plus étendu, solidarité signifie hospitalité. Aujourd'hui, en Algérie, si l'on se perd à quelques kilomètres de chez soi, rien dans les poches, il y a une forte possibilité de passer la nuit le ventre vide. Ce malheureux constat est, certes, la conséquence logique d'un long processus d'appauvrissement du peuple, mais qu'en est-t-il de la solidarité au sein du gouvernement ? À ce niveau, solidarité n'est pas charité. Et l'affaire Rebrab vient étayer une fois de plus la thèse sur l'unicité du pouvoir -on a beau creuser cette affaire, on ne peut tirer autre conclusion- et ce, en mettant à l'écart tous les problèmes qui existent entre les diverses personnalités au sein du cercle de la décision et qui retiennent l'attention des médias, car les divergences qui ne conduisent pas à une réelle dissension peuvent ne s'avérer par la suite que des contrecarres n'ayant aucun impact sérieux sur les affaires des uns et des autres. Si l'on se met en dehors de tout parti pris et considérations préalables, on admettrait aisément que l'agitation des ministres envers les acteurs politiques qui ont condamné le retour de Chakib Khelil, reste une preuve de vitalité d'un pouvoir qu'on croyait à l'agonie. On sait encore se serrer les coudes, et si trop de points demeurent nébuleux pour les dirigeants, c'est qu'il ne leur est pas possible de faire autrement tant les intérêts sont légions, néanmoins, dans les couloirs de Kasr El-Mouradia, on sait toujours qu'on est condamné à s'entraider pour ?survivre' dans ce systeme politique comparable à un gilet qui se boutonne dans le dos et qu'il n'est possible de porter qu'en faisant appel à un frère ou un ami. A ne voir qu'un côté des choses, on croirait que le rétablissement de bonnes relations entre Saidani et Ouyahya est impossible. Il l'est peut-être. Or, solidarité, c'est rapprochement. Et c'est aussi une façon de rapprocher les individus que de les inviter à se quereller les uns contre les autres. Tout va bien, nous a assurés Sellal. Les faits parlent trop haut pour croire notre Premier ministre apparemment atteint d'une myopie intellectuelle. Il n'y a pas besoin de crier sur les toits que l'Algérie ne va pas bien pour que chacun soit en état de s'en apercevoir. En revanche, il est vrai -quoi qu'on ne s'accorde à le reconnaître que lentement- se serait se créer de terribles mécomptes de s'imaginer que l'on peut transformer du jour au lendemain l'Algérie en une puissance économique mondiale rien qu'avec le changement du régime. Restons sur la problématique de solidarité. Ce fait d'être solidaire, de se sentir lié aux autres hommes, de vouloir s'entraider. Lorsque ce fait est étroitement lié à une finalité inique à l'égard d'un autre groupe de personnes, la loi utilise le terme : association de malfaiteurs. En est-on là ? C'est un jeu vain que de se livrer à de pareilles suppositions, car les temps ne sont plus où les défenseurs d'une cause voyaient la foule s'enflammer à leur voix et pouvaient les lancer à l'assaut du régime au premier appel. Et puisqu'il n'y a pas fusion totale entre les hommes du pouvoir mais simplement une entente ?efficace', si jamais révolution prend naissance, on pourrait voir par exemple Sellal en train de l'encourager vers sa phase ultime, et combien de personnes, aujourd'hui, qui pensent ne devoir jamais se mêler à une telle action, au jour venu, en seront probablement les plus fervents défenseurs. Nous n'en sommes pas là et nous n'en serons peut être jamais. Mais le besoin de changement et l'amour de nouveauté qui gagnent de plus en plus de terrain finira par renverser la situation actuelle en faveur du peuple, mais un tel changement ne se décrète pas, ne se décide pas. Il se fait. De quelle manière ? Nul ne le peut prévoir. Et si dans l'Algérie profonde, le slogan : en Algérie lorsque tu as un problème, c'est ton problème, demeure appuyé par des faits qui se renouvellent à longueur d'année, il n'en est pas de même quand il s'agit des affaires traitées entre gouvernants. Nous n'avons jamais vu un ministre se désolidariser d'une décision d'un autre. Il en va de même pour le Premier ministre. Et sauf rarissimes exceptions, mêmes ceux à la retraite ne commentent l'actualité que pour saluer l'œuvre du gouvernement en place. C'est l'idéal ou presque pour le président de la République. Tout cela, bien, entendu, a amené certains partis politiques, mêmes très loin du pouvoir, à applaudir chacune des décisions prises par le gouvernement Sellal, arc-boutant ainsi cette solidarité déjà inébranlable. Mais tout acteur politique n'est pas forcément un pur instrument entre les mains des décideurs. Il y a des hommes et des femmes qui, sans intentions perverses, jugent préférable de soutenir le gouvernement que d'aller risquer sa carrière politique avec une ?anémique' opposition. D'autre part, il reste à noter que le mécanisme politique n'agit pas de lui-même, c'est-à-dire, lorsqu'un pouvoir pareil, qui conçoit la fonction publique comme une faveur à accorder au peuple, se trouve au pied du mur, il ne peut que faire appel à des personnalités, qui ont un certain encrage populaire, pour que ?la rue' soit du côté du pouvoir. Ce principe a ses champions, lesquels présentent toute action visant le changement comme une entente secrète au détriment du pays, et pour qui, décidément, tous les penseurs libres sont des agents de l'ennemi, tout et rien qui ne soit dans le sens des grandes lignes tracées par le gouvernement, est l'œuvre de la main étrangère. Témoins de ces faits, paradoxalement, l'opposition demeure individualiste. Et chacun guette l'occasion pour s'emparer ?seul' du pouvoir. Une occasion qui ne viendra jamais. Contrairement aux hommes du pouvoir qui ont constamment entre eux des rapports qui les rendent dépendants les uns des autres, les opposants, quant à eux, opèrent à des années de lumières les uns des autres, rendant ainsi la lutte contre le régime actuel comme sans intérêts aux yeux du peuple. Il n'y aurait eu pourtant que demi-mal à regarder cette éternelle division des rangs de l'opposition si la solidarité du pouvoir contribuait à un réel progrès, toutefois, l'Algérie peine à se dresser économiquement parlant, et est, soixante ans après son indépendance, encore à la recherche de son identité. À qui la faute ? Ici, quelques hésitations sont permises. Faut-il remonter dans le passé jusqu'en 1962 ? C'est un amusement sans intérêt que d'essayer de refaire l'histoire. Et même s'il est vrai que le citoyen algérien accuse toujours ses dirigeants, jamais lui-même, tant que l'on n'a pas encore inventé une machine qui mesure la responsabilité et la culpabilité d'après une sorte de barème théorique, les coupables sont ceux qui ont dirigé le pays et non les gouvernés. En tout cas, depuis cette symbolique date, bon nombre de décisions politiques ont enseigné aux citoyens à voir les lois comme conçues pour une autre finalité que leur bien, et ceux qui essaient de les modifier, ou les réadapter selon les attentes du peuple, sont des ennemis plus horribles que ceux qui la violent ouvertement. Bon nombre de décisions ont été prises car, visiblement, on considérait les Algériens comme un peuple fait pour une liberté limitée. Ces pratiques ne font qu'alimenter le malaise populaire, et préparent la colère des pauvres. L'Algérien ne tend pas la joue droite quand il reçoit une gifle sur la gauche. Mais, quand celui qui donne la gifle est à deux heures d'avion, l'effet produit, quand il a affaire à une personne à sa portée, devient inexistant, immatériel. Les plus grandes injustices sociales peuvent se dérouler devant les yeux du peuple sans le révolter. Cependant, pour le peuple, la cause la plus insignifiante peut entraîner un soulèvement. Mais gardons la vue plus large, le citoyen lambda n'a pas encore atteint cette intensité de misère ; quand il l'atteindra, on aura compris que le pied-à-terre à Alicante était beaucoup plus qu'un simple coin de villégiature. |
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