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Déplorer
la situation actuelle du pays peut encore avoir quelque signification pour le
simple citoyen, mais pas pour les hommes politiques. Pour ceux qui participent
à faire la décision, à l'élaborer ou à l'exécuter, le train est passé. Les
entendre aujourd'hui parler d'une économie en crise, des recettes en chute
libre, d'un président de la république fortement diminué, d'un pouvoir opaque,
d'un gouvernement sans consistance ou d'un parlement inexistant, n'a plus de
sens.
Un tel discours pouvait avoir une quelconque valeur avant le quatrième mandat. Il fallait l'anticiper avant même le troisième. Mais par la suite, quand la machine s'est mise en branle et que le personnel politique a commencé à y grimper pour exister, il était déjà trop tard. Quitte à se répéter, le quatrième mandat ne pouvait avoir un autre contenu. Chakib Khelil, Amar Saadani, Ahmed Ouyahia, Tliba, les chaînes de télé et les comptes offshore, Omar Ghrib, Rebrab contre Grine, le principal syndicat du pays qui s'aligne sur la première organisation patronale, la presse privée qui défend son droit de se vendre à l'argent pour échapper au pouvoir, tout ceci est un sous-produit si évident du quatrième mandat qu'on n'a même plus le droit de s'en offusquer. Et pendant qu'on y est, poussons plus loin la polémique : la presse indépendante est morte le jour où l'hebdomadaire La Nation a disparu. Ce journal avait reçu, en six années d'existence, moins de recettes publicitaires qu'un quotidien « normal » en une demi-journée. Au moment de sa mise à mort, beaucoup se sont mis à regarder ailleurs. Certains étaient même soulagés. Un peu comme quand un parent, gravement blessé dans un accident de circulation, finit par mourir. Une embarcation folle Pourquoi ces rappels ? Pour deux raisons. En cette année 2016, il y a un sentiment de plus en plus répandu que le pays est sur le point d'aborder un virage décisif pour son destin. Il le fait avec un maximum d'incertitudes. Il s'engagera dans le virage avec qui, pour quelle destination, avec quel pilote, quel équipage, avec quels bagages ? Aucune réponse ne s'impose clairement. La seconde raison, c'est que dans un moment aussi délicat, les passagers du véhicule sont en train de se battre pour savoir qui va s'approprier le butin, sans même se rendre compte qu'ils risquent de rater le virage. A côté de la route, des gens à la voix inaudible tentent bien de les alerter, pour les avertir de la présence d'un précipice un peu plus loin, mais personne ne les entend. Le discours pompeux du gouvernement, qui affirme maîtriser la situation, ne trompe plus personne. Le pays est, de fait, livré à des facteurs sur lesquels il n'a aucun contrôle. Le prix du pétrole, la baisse des recettes, l'émiettement de la société, l'état de santé du président Bouteflika, l'absence de règles claires concernant la succession, la situation difficile aux frontières : ce sont là autant d'inconnues qui peuvent avoir un impact direct sur le pays, mais sur lesquels le pays ne peut guère influer. L'otage Bouteflika Choquer pour choquer, autant y aller franchement. La situation actuelle n'est plus de la responsabilité du président Bouteflika. Celui-ci n'est plus maître du jeu depuis qu'il s'est représenté pour son troisième mandat. J'insiste : troisième mandat. Plus tard, à partir d'avril 2013, il n'avait plus de rôle significatif dans la décision. Il n'a pas imposé son quatrième mandat, comme on le répète partout. Il a été simplement maintenu à son poste parce que les partenaires-antagonistes du pouvoir n'ont pas pu s'entendre sur un successeur. De là à dire que Bouteflika est un otage, il y a un pas qu'on peut franchir, si on admet qu'il existe des otages précieux, dont on peut tirer une forte rançon, ce qui impose l'obligation d'en prendre soin et de les exhiber régulièrement pour offrir une « preuve de vie ». C'est ce qui a donné du poids à la déclaration des 19, qui voulaient vérifier si le chef de l'Etat était réellement en mesure d'exercer ses attributions constitutionnelles. Ceci ne signifie, en aucune façon, négliger ou réduire les immenses responsabilités de M. Bouteflika dans l'impasse actuelle : il a été le principal bénéficiaire du hold-up électoral de 1999, et il a été un acteur central du pouvoir pendant plus d'une décennie. Reconstruire le pouvoir Voir le président Bouteflika sous cet angle donne tout son sens au blocage actuel. A contrario, s'en prendre au président Bouteflika est dérisoire, voire dangereux. Cela revient simplement à empêcher, encore une fois, de regarder dans la bonne direction, celle d'un pouvoir, ou d'un non pouvoir, dont l'indécision ronge le pays. C'est l'image qui décrit le mieux la situation actuelle. En 2014, les clans se sont neutralisés. Ils ont adopté un pacte de statu quo provisoire. Mais les luttes sourdes se sont poursuivies et un clan a fini par devenir proéminent. Sans pour autant remporter la mise. Il tire donc profit de la conjoncture. Mais sur le fond, il n'y a plus de pouvoir, en ce sens qu'un pouvoir doit élaborer des stratégies, faire des choix, dessiner des caps, avoir une politique et un projet. Le groupe qui semble en position de force aujourd'hui sait qu'il ne peut, dans l'immédiat, remporter une victoire décisive. Il se contente donc de préserver des positions, d'avancer des pions, en attendant une conjoncture plus favorable. Les autres groupes sont sommés de se positionner, de faire allégeance, selon leurs intérêts d'abord, leurs affinités ensuite. Tous les arguments sont bons pour les enrôler. Même Issaad Rebrab, dont le profil lisse lui interdit de se mêler de ses batailles, subit de fortes pressions pour s'aligner. Ultime impasse : l'essentiel des forces et des énergies que recèle le pays est engagé dans ces batailles inutiles. Ce qui reste de l'Algérie n'a pas les moyens d'imposer, ni même de présenter ses choix. Lesquels doivent, peut-être, commencer par recréer un pouvoir, un vrai, en mesure de prendre en compte les intérêts de tous les Algériens. Y compris la partie légitime des intérêts de ces groupes aujourd'hui en guerre. |
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