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A l'heure où les
représentants de l'opposition syrienne, réunis la semaine dernière à Genève, se
déchiraient de nouveau à propos du destin politique du président Bachar el Assad, ces derniers semblaient avoir totalement
oublié de répondre à une question autrement plus grave et importante : à savoir
l'avenir même du pays?, l'existence de la Syrie en tant qu'Etat. Car après cinq
ans d'une sale guerre où les processus de division et de confessionnalisation
ont été portés à leur paroxysme, il paraît bien difficile d'imaginer que les
rancœurs causées par l'horreur des massacres et des violences quotidiennes
puissent se dissiper du jour au lendemain.
D'autant que pour ne rien arranger aux choses, les grands médias occidentaux aussi bien que les chaînes satellitaires du Golfe ont fini par imposer, de par leur couverture orientée, une lecture ethno-confessionnelle du conflit, sur un mode souvent irréel et parfois poussé jusqu'à la caricature la plus extrême. Rendant encore plus compliquée la compréhension du conflit par les Syriens eux-mêmes. Ainsi, s'il fallait s'en tenir à Al Jazeera, CNN, France 24 ou autres organes de presse bien-pensants, le Syrien n'existe jamais. Le soldat est forcément alaouite même quand la grande majorité des troupes sont sunnites, l'armée nationale est réduite à l'appellation d'hommes de Bachar, l'Etat est? islamique, les chrétiens n'ont jamais de nationalité tandis que les populations des régions kurdes ne sont déjà plus syriennes? De même, encouragés par le jeu trouble d'une multitude d'acteurs extérieurs, défendant chacun des intérêts partisans très différents, le phénomène déjà bien éprouvé de la libanisation de la Syrie semble aujourd'hui bien trop avancé pour imaginer que la reconduction en l'état d'un modèle politique unitaire centralisé depuis Damas puisse constituer une solution réellement viable. Surtout dans l'hypothèse d'une démocratisation du jeu politique qui porterait au pouvoir la mouvance islamiste d'obédience wahhabite (par définition intolérante aux minorités) ou du maintien presque inévitable du président Bachar el Assad à la tête de l'exécutif syrien. La proposition d'une solution fédérale prônée par la délégation des négociateurs russes va d'ailleurs dans ce sens. Car en favorisant l'hypothèse d'une réorganisation territoriale et institutionnelle du pays sur la base des zones d'influence de chacune des composantes, cette solution aurait l'avantage d'offrir une participation directe aux responsabilités de l'ensemble des acteurs tout en maintenant l'ossature administrative du régime actuel. Ce qui aurait pour avantage d'éviter les affres d'une épuration de l'appareil d'Etat dont on a pu juger les conséquences désastreuses en Irak et d'encourager dans le même temps l'intégration progressive de toutes les nouvelles composantes politiques que compte le pays. Evidemment, cette optique d'une fédéralisation de la Syrie est pour l'heure totalement rejetée par les représentants du régime dont le déni des réalités du terrain et l'obstination presque suicidaire à vouloir reconduire le système dans les mêmes dispositions que celles qui prévalaient avant la guerre civile en disent long sur le chemin qui reste à parcourir avant de parvenir à une solution. D'ailleurs, cet entêtement si caractéristique des dirigeants arabes en général a contraint Vladimir Poutine, le dirigeant russe, à décider unilatéralement le rapatriement du tiers de sa flotte aérienne engagée en Syrie. Envoyant ainsi un message on ne peut plus clair en direction de Bachar el Assad pour le contraindre à quelques concessions? Du côté des experts, beaucoup insistent sur le danger que peut représenter l'option fédérale dans le contexte de la désagrégation et de guerre civile que traverse la Syrie. Ce qui d'un point de vue historique est plutôt vrai. Tous les processus de fédéralisation connus à ce jour ont succédé à une démarche d'intégration renforcée d'Etats ou de principautés engagés à promouvoir le renforcement de leur communauté de destin. Et à l'inverse, il faut bien reconnaître qu'il n'existe pas de cas probant d'entité étatique ayant décidé d'une réduction de son principe unitaire sans en provoquer l'accélération de sa dislocation. Les cas de la Tchécoslovaquie et sa brève expérience fédérale (1990-92) ou de l'ex-Union soviétique puis de la CEI sont là pour en témoigner. Les exemples plus récents des visées indépendantistes de l'Ecosse ou de la régionalisation de l'Espagne et des revendications indépendantistes de la Catalogne plaident également en faveur de cette hypothèse. Pour autant, la comparaison avec ces situations ne doit pas faire oublier la réalité de la Syrie d'aujourd'hui, celle d'un pays exsangue, complètement détruit, divisé, ruiné, fuit par un quart de sa population et qui ne présente plus en l'état les critères de l'Etat national unitaire d'avant le début du conflit. Et pour cause, près de 40% du territoire se trouvent toujours hors de contrôle du régime, dans une répartition territoriale qui coïncide d'ailleurs peu ou prou à la cartographie de la « Syrie utile » (côte et principaux centres urbains) multicommunautaire et économiquement dynamique et les périphéries défavorisées, exclusivement sunnites? Ainsi, une véritable sortie de crise doit absolument dépasser la question du départ du président Bachar el Assad. Ce règlement n'étant viable que s'il répond au préalable aux enjeux essentiels que constituent la participation politique de l'ensemble des composantes communautaires et confessionnelles qui composent la Syrie, l'intégration des territoires de l'intérieur dont la marginalisation a contribué au ralliement des populations aux mouvances extrémistes, l'adoption d'un statut spécial pour les régions à dominante kurde et surtout la formulation d'un nouveau pacte social dépassant la rhétorique usée du nationalisme arabe au profit d'un projet national syrien renouvelé, ouvert aux minorités et garant des droits et libertés de l'ensemble de ses citoyens. *Consultant politique |
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