Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Cheikh Boumaaza,
l'homme à la chèvre, est un homme qui a résisté à la colonisation française de
l'Algérie dès la première heure, au moment de son expansion dans l'ouest du
pays. Bien qu'il jouisse d'une ascendance Idrisside, Boumaaza,
de son vrai nom Mohamed Ben Abdellah Ben Ouadah, est
né vers 1820/1822 dans un hameau nommé Ouled Sidi Ouadah, faisant partie de la tribu des Ouled
Khouidem dans la vallée du Chélif, aux environs de Oued Rhiou actuellement.
Issu d'une famille maraboutique, Boumaaza rejoint la zaouïa de Mouley Tayeb pour apprendre le Coran, s'abreuver d'éducation religieuse et maîtriser les règles de la langue arabe. Cette zaouïa s'inscrit dans la confrérie des Derqawa, une école conduite par la « tariqa », voie spirituelle, Qadiriya dont le fondateur est l'imam Sidi Abdelkader Djillali. C'est ainsi que Boumaaza mène une partie de son enfance comme derviche, un disciple religieux dont la vie est austère, en quête de formation personnelle et de connaissances. Pour rappel, la confrérie des Derqawa, comme d'autres lieux de culte et de savoir, était le vivier dans lequel nombreux intellectuels éminents et nationalistes de l'élite indigène ont été élevés, l'Emir Abdelkader ou Messali El Hadj notamment. Le premier enseignement cultuel de Boumaaza coïncide avec l'invasion de l'armée française de l'Algérie en 1830, chose qui a contribué à son instruction sociale et à sa maturité politique. En effet, après la disparition des Turcs, le pays sombre dans un état d'anarchie insoutenable: manque de sécurité, tensions internes entre tribus autochtones, conflits meurtriers aux contacts de l'occupant étranger et une crise économique aiguë qui a duré quelques années. Dès lors, les Français se voient obligés de négocier avec l'Emir Abdelkader, chef de la résistance populaire et père spirituel du nationalisme algérien, suite à son endurance farouche dans la lutte pour la défense des territoires convoités par la force. Ces négociations se soldèrent par la signature de plusieurs traités, dont celui de Desmichels et celui de la Tafna, qui accordent à l'Emir l'autorité sur le Beylik de l'Ouest. Cependant, ces périodes de trêve et de paix ne sont que de courtes durées, car les Français n'ont pas respecté les accords conclus avec l'Emir, avec leur projet ambitionnant de s'étendre partout en Algérie, et surtout leur crainte du danger permanant que représentent les troupes de l'armée de l'Emir. De ce fait, les atrocités des arrivants européens reprennent à chaque fois de plus en plus, les paysans autochtones en souffrent énormément et finissent par se révolter en s'alignant dans les rangs des guerriers de l'Emir Abdelkader. C'était le cas de Boumaaza qui, très tôt, s'enrôle parmi les résistants en formant un groupe de combattants recrutés dans les tribus du bas Dahra. Boumaaza participe à plusieurs assauts et batailles avec les baroudeurs de l'Emir dont le fameux siège de Mezaghran en février 1840. Il prit également part à la deuxième et à la troisième campagne menées par les Français dans le cadre de leur expansion vers Oran et les régions steppiques du Sud-Ouest. Cet exercice de guerre était utile pour développer chez Boumaaza la faculté intellectuelle de son engagement et parfaire son adresse en matière de combat. Doté de capacités religieuses et militaires ingénieuses, Boumaaza se voit promu au grade de « Chérif » dans le mouvement de la résistance populaire. Son armée, composée de quelque 700 soldats entre cavaliers et fantassins, donna du fil à retordre à la puissance colonisatrice dans la région du Dahra et de l'Ouarsenis. Le général Bugeaud, gouverneur d'Algérie à cette époque, avoua que Boumaaza lui avait « donné pendant longtemps de très grands embarras sur les deux rives du Chélif » et, à certains égards, il jugeait cet « agitateur » supérieur à Abdelkader. Avec son caractère mystique et opiniâtre, Boumaaza était plus féroce, plus engagé que l'Emir, il était par contre moins diplomate et moins collaborateur que lui. Après la diminution de la chevalerie de l'Emir Abdelkader et la perte du contrôle de la ville de Tlemcen, ce dernier s'exile au Maroc en 1842, Boumaaza se proclame alors « Mouley saa », maître de l'heure. Il continue le combat contre les Français qui occupent déjà presque la totalité de la région ouest. Il réussit à soulever les habitants du Dahra en appelant les montagnards de cette région à la guerre sainte, à la défense de leur terre et de leur dignité. Grâce aux insurrections répétitives des autochtones, le « Chérif » arrive à épuiser la vaillance des envahisseurs en étendant ses frappes jusqu'à Ténès, une ville qu'il assiège partiellement à la fin de 1842, avant qu'elle ne soit secourue par des contingents impressionnants arrivés en renfort de Mostaganem et d'Alger. Parmi les attentats attribués aux cavaliers de Boumaaza, on compte, entre autres, l'attaque dans la même période contre l'escorte militaire des ouvriers chargés de construire la route qui relie Ténès à Orléansville, Chlef maintenant. Cette route a une importance capitale dans l'approvisionnement de la vallée du Chélif par la voie maritime. Une autre attaque subite eut lieu contre plusieurs colonnes militaires stationnées aux environs d'Orléansville. Boumaaza frappe un grand siège autour de cette ville le 4 mai 1843. La bataille de Oued Fodda est livrée le 19 septembre par Boumaaza aux côtés des soldats de l'Emir contre des troupes françaises commandées par le général Changarnier. L'affront armé de la colonne du général De Bourjolly, ce dernier est réduit à la défensive dans le bas Dahra. Ses hommes sont derrière l'attaque du cortège nuptial de l'Agha Hadj Ahmed en route de Mazouna vers Orléansville. L'agha, considéré comme rallié à la France, succombe à ses blessures. Les deux années qui suivront seront fatales pour la population civile du Dahra. L'embrasement des lieux par Boumaaza et ses hommes dura plusieurs mois, des expéditions punitives seront envoyées pour fustiger les tribus qui ont soutenu les résistants pendant leur guérilla. En effet, le général Eugène Cavaignac et le sinistre colonel Pélissier n'hésitent pas à tuer des centaines de personnes. Mille et plus déclarent certains chiffres probants. Des familles entières sont brûlées ou asphyxiées dans les grottes, alors qu'elles tentaient de se réfugier dans le massif caverneux de la région. L'épisode tragique est désigné de « Les enfumades du Dahra ». Le général Thomas-Robert Bugeaud qualifia indulgemment le drame de « période fiévreuse du Dahra ». Les historiens, quant à eux, estiment qu'il s'agit bien d'un crime de guerre commis contre des populations civiles, ils décrivent la méthode génocidaire comme l'ancêtre de la chambre à gaz. Ailleurs, des razzias sont exécutées contre la population indigène qui ose s'opposer au plan expansionniste des Européens. On signale des villages démolis, des moissons agricoles incendiées, des exécutions sommaires d'individus innocents, et même le muraillement de groupes de gens piégés dans les chambres des montagnes jusqu'à ce que mort s'ensuive. Triste, amoindri et traqué partout par un contingent commandé par le colonel Canrobert, Boumaaza, alors rehaussé au grade de « Khalifa » de l'Emir Abdelkader après le retour du Maroc de ce dernier, disparaît du Dahra pour se réfugier dans les montagnes de l'Ouarsenis. Là, il regroupe une armée composée de paysans des lieux, eux-mêmes méprisés par le comportement féodale et agressés par les lois restrictives des nouveaux occupants, et continue sa cavale et son éternel combat. Il commence, avec la concertation de l'Emir, la deuxième phase de la résistance en 1845. Ensemble, ils intensifient et propagent le combat de l'Ouarsenis à Médéa, des plaines du Chélif jusqu'à la basse Kabylie, du côté maritime jusqu'aux oasis sahariennes des Ouled Djellel. D'une grande mobilité, le nom de Boumaaza résonne dans tous les points chauds du pays. Par ailleurs, beaucoup de meneurs de soulèvements populaires reprennent et s'approprient le nom de ce chef guerrier. Cette ubiquité semble être un modèle de bravoure et d'audace aussi bien qu'une face d'impression et de dissuasion. Ce sont les qualités de ceux qui savent se relever après chaque défaite, ceux qui gardent leurs principes premiers intacts quelles que soient la nature et la puissance de l'ennemi. Ainsi, Boumaaza ne s'arrêta jamais de se battre, même lorsqu'il perdit l'usage d'un bras au cours d'un accrochage sanglant avec un détachement de soldats français à Oued El Gssab, du côté de Ténès en avril 1846. Atteint par cette blessure, usé par une guerre implacable, constamment poursuivi, avec des ressources taries, des appuis éliminés et des partisans dispersés, il finit par s'enfuir au Maroc avec l'Emir Abdelkader. Il en revient immotivé et désespéré car le mouvement de la résistance dans le Chélif, le Dahra et l'Ouarsenis était complètement éteint. Il aura fallu dix années aux Français pour dominer ce territoire. A bout de force, Boumaaza décide finalement de se rendre au colonel Saint-Arnaud à Orléansville le 13 avril 1847. Il sera transmis à Ténès puis emmené en France. Là, il sera assigné à résidence surveillée dans un appartement dans les Champs-Elysées à Paris. Les professeurs de la princesse Belgiojoso, dont l'hôtel est mitoyen du lieu de son enfermement, se chargent de son éducation. Le ministère de la Guerre lui accorde une pension en argent, bien qu'on lui reproche des actes de cruauté et de vandalisme. Malgré la surveillance, Boumaaza réussit à s'enfuir de Paris le 23 février 1848, profitant du jour de la révolution qui a engendré la chute de la monarchie du roi Louis-Philippe d'Orléans. Il sera reconnu et retrouvé à Brest, puis interné une autre fois au château de Fort Ham en Picardie. Remis en liberté provisoire en juillet 1849, il ne sera autorisé de quitter la France qu'en 1854. Il choisit alors de s'expatrier à Istanbul. Pour lui, la Turquie était meilleure que la vie sous le joug de ses éternels ennemis. Une fois sur place, Boumaaza s'engage dans les rangs de l'armée ottomane. Il prend part à la guerre de Crimée et à la campagne d'Anatolie avec un corps de mercenaires turcs. Il reçoit le grade d'honneur de colonel en août 1855. Après sa retraite de la vie militaire, il séjourne quelques années à Bagdad où il décède dans l'anonymat après 1879. *Ecrivain |
|