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CAMBRIDGE
- Un ami proche au succès professionnel incroyable dans le secteur des
nouvelles technologies a dit un jour qu'une mauvaise décision initiale est
susceptible d'entraîner une série de mauvaises décisions ultérieures. Les
économistes parlent d'un «équilibre multiple». Or la Fed (Réserve fédérale
américaine), l'institution monétaire la plus influente du monde, se trouve dans
une situation de ce genre en ce qui concerne l'inflation - avec des
conséquences qui vont bien au-delà de la finance et de l'économie américaine.
L'année dernière la Fed a qualifié à tort la hausse des prix de «transitoire», et a maintenu longtemps ce point de vue. Ce fut la première étape de son erreur en matière d'inflation - une erreur dont on se souviendra sans doute comme l'une des plus graves qu'elle ait jamais commises. Elle n'a tenu compte ni des signes de plus en plus visibles d'une inflation élevée et persistante, ni des avertissements répétés des entreprises au vu de leurs résultats. On ne sait pas exactement ce qui a motivé ce premier faux pas. Pendant la majeure partie de l'année dernière, les responsables de la banque centrale ont réitéré leur affirmation selon laquelle l'inflation était «transitoire». C'était d'autant plus déconcertant qu'ils n'ont pas fait preuve d'humilité lorsque leurs prévisions en matière d'inflation se sont révélées à plusieurs reprises complètement erronées. Encore aujourd'hui, ils font obstacle à la restauration de la crédibilité gravement endommagée de leur institution en n'expliquant pas pourquoi ils ont commis cette erreur prolongée. Je soupçonne qu'il s'agit d'une combinaison d'aveuglement, d'un manque d'attention, de refus d'admettre ses erreurs et de réticence à abandonner un «nouveau cadre monétaire» devenu rapidement obsolète et contre-productif. Il a fallu attendre fin novembre 2021 pour que le président de la Fed, Jerome Powell, déclare (enfin et tardivement) que le moment était venu de «retirer» le mot «transitoire». C'est alors que la Fed est passée à la deuxième étape de son erreur multiforme. Les mesures d'ajustements qui ont suivi la déclaration de Powell ont été extrêmement modestes, la Fed annonçant seulement qu'elle ne mettrait fin à son programme d'achat d'actifs à grande échelle que d'ici mars 2022. C'était le moment pour elle de faire deux choses pour restaurer son crédit en matière d'inflation et conserver la maîtrise de son discours : - expliquer pourquoi ses prévisions relatives à l'inflation ont été aussi mauvaises et comment elle a ajusté ses modèles de prévision pour moins se tromper dans l'avenir ; - agir immédiatement et donner des indications sur ce qui allait suivre. N'ayant fait ni l'un ni l'autre, elle est passée à la troisième étape de son erreur historique en perdant le contrôle de son discours sur l'inflation au moment même où les chiffres montraient une aggravation. La poursuite de ses injections de liquidités jusqu'en février 2022, alors même que l'inflation atteignait 7,5 %, son plus haut niveau depuis 40 ans, met en évidence l'erreur dans laquelle la Fed s'est enferrée. Étonnamment, et malgré les appels à agir, elle n'a pas envisagé l'arrêt immédiat de ses achats d'actifs lors de ses réunions de décembre et janvier. Tout cela nous amène à aujourd'hui : la hausse de l'inflation continue à surprendre, et l'invasion de l'Ukraine par la Russie va accroître le risque de stagflation. Entre-temps, les responsables de la Fed ont exprimé publiquement des points de vue différents sur la stratégie à adopter en ce qui concerne la hausse de taux d'intérêt et la réduction de son bilan démesuré de 9 000 milliards de dollars. En l'absence de toute orientation appropriée de la Fed, le marché s'est empressé de prévoir 7 ou 8 hausses des taux d'intérêt pour la seule année 2022. Certains analystes de Wall Street pensent qu'il pourrait y en avoir jusqu'à dix, dont une hausse de 50 points de base dès la réunion de la Fed à la mi-mars. D'autres ont appelé la Fed à une hausse d'urgence des taux d'intérêt. Du fait des erreurs de la Fed au cours des 12 derniers mois, sa prochaine décision risque de ne pas être satisfaisante. Compte tenu du décalage entre la réalité économique et les choix opérés par ses responsables, même si elle voulait adopter la politique la plus adéquate face à la situation actuelle, il est peu probable qu'elle puisse la mettre en œuvre. Ne pouvant assurer un atterrissage en douceur de l'économie américaine, la Fed doit maintenant évaluer quelle est l'alternative la moins mauvaise. Cela revient à devoir choisir entre plusieurs chemises sales, les propres n'étant plus disponibles ; cette perspective n'a rien de plaisant. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz *Président du Queen's College à l'université de Cambridge et professeur à la faculté Wharton de l'Université de Pennsylvanie. Il a écrit un livre intitulé The Only Game in Town: Central Banks, Instability, and Avoiding the Next Collapse (Random House, 2016). |
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