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Bien que ses commerces
aient baissé rideau, Alger refuse d'être en confinement. Ses grandes artères
restent plus ou moins animées, des véhicules qui circulent, des citoyens aux
bras chargés de sacs de nourriture, des groupes de jeunes qui rient aux éclats...
Mais il y a une drôle d'ambiance, pas celle de Ramadhan, ni de jours de fêtes,
ni d'un hiver glacial ou d'un été suffocant. La peur du COVID 19 est bien
présente.
Comme pour défier le diable, les habitants de la capitale continuent de sortir même s'ils n'ont rien à faire. « C'est trop petit chez moi, je ne peux pas rester enfermé avec tous mes frères et sœurs à l'intérieur », se plaint un jeune de la rue Belouizdad (Belcourt). Pourtant, plus de commerces, de cafés, de restaurants de fast-foods ouverts. Les jeunes paraissent plus désœuvrés que ce qu'ils le sont en temps normal. La rue Didouche Mourad affiche « fermée ». Tous ses magasins ont cadenassé leurs portes. Entrée en vigueur hier à partir de 1h du matin, l'instruction présidentielle de suspendre les activités commerciales s'applique en principe à tous et à l'échelle nationale. Dans cette atmosphère de « grève générale » des commerçants, il y a ces fleuristes qui sont restés ouverts. Peut-être pour que les temps ne fusionnent pas uniquement avec le virus, la maladie, la contagion, la mort... Les fleurs exposées aux couleurs splendides rappellent que c'est le premier jour du printemps. Certains magasins de téléphonie mobile sont eux aussi ouverts. Pour ne pas laisser leurs usagers coupés du monde, ils leur fournissent recharge ou nouveaux téléphones pour joindre leurs proches au lieu de se déplacer chez eux. Des citoyens, hommes, femmes, jeunes, portent des sacs de provisions, de produits alimentaires d'une main et de l'autre un sac en plastique rempli de baguettes de pain. Les habitudes ont la peau dure et le pastique la vie très longue même si décision a été prise pour le faire disparaître -en premier- des boulangeries. Les commerces d'alimentation générale, les marchés et les pharmacies sont ouverts. Chasser le naturel il revient au galop Des citoyens qui portent des masques de protection, des gants, d'autres déambulent sans rien dans la rue mais commencent à comprendre que lorsqu'ils pénètrent dans un magasin, ils doivent laisser une certaine distance entre eux et d'autres citoyens. Ce n'est pas encore une règle générale. Les Algériens aiment parler entre eux et continuent de le faire en essayant de changer quelque peu leurs habitudes. Ils forment des cercles pour éviter de se rapprocher les uns des autres. Mais en chassant le naturel, il revient au galop un peu partout... ils se retrouvent les uns aux côtés des autres en train de discuter. Des pharmacies ont eu l'idée de bloquer leur entrée en plaçant une sorte de mobilier en verre pour empêcher les usagers de pénétrer à l'intérieur. D'autres ont carrément fermé leur porte grillagée et servaient leurs clients avec visage « masqué » et mains gantées. Les entrées d'immeubles de la rue Didouche sont nettoyées mais toutes les eaux sales avec leurs détritus sont jetées dehors, sur les trottoirs ou au contrebas de la rue. Beaucoup de commerces fermés sont en rénovation. Leurs propriétaires ont préféré s'occuper en lançant des travaux. «Meissonnier», ce quartier commerçant d'habitude grouillant de monde, a fermé boutiques. Ne reste ouvert que le marché couvert où s'approvisionnent des citoyens en fruits et légumes. La poste à ce niveau travaille avec la porte fermée. Un grand nombre de retraités faisaient la queue dehors et attendent leur tour pour retirer leur pension. «Je ne peux pas signer une procuration à qui que ce soit, d'abord parce que je dois sortir pour la faire signer et en plus, je ne fais confiance à personne même pas à mes enfants, c'est mon argent, j'ai toute ma vie dans cette pension », nous dit un retraité. Dans cette rue connue pour ses vendeurs à la sauvette, la vie commerciale a nettement diminué. Plus loin, du côté du marché « Clauzel » ouvert lui aussi, les étals de commerces informels sont là, olives et dattes à l'air libre... La gare Agha a fermé toutes ses portes. Le train ne sifflera pas comme d'habitude au moins pour deux semaines. Alger semble plus sale Les ruelles algéroises sont bruyantes par rapport à ce qu'elles doivent être au regard de la prévention contre le coronavirus. Pire encore, les Algériens continuent de cracher par terre, de jeter leur chique et leurs mégots un peu partout, de se curer le nez en marchant. Un coiffeur est resté ouvert alors que toutes les coiffeuses entre Didouche et Ben M'hidi sont fermées. « Je travaille pour nourrir mes enfants, 14 jours de fermeture c'est trop pour moi, qui va me payer ce manque à gagner ? » interroge Ines, cette coiffeuse dont le téléphone n'arrête pas de sonner parce que « mes clientes veulent savoir si je garde le salon ouvert ou je me déplace chez elle », nous dit-elle. Le souterrain de la place Audin-Fac centrale a fermé toutes ses boutiques aux clients et toutes ses entrées aux passants. Au niveau de la Grande Poste, deux lavabos ont été mis en place avec eau courante et savon liquide. « Là où vous allez, vous allez en trouver, ils ont été placés un peu partout », nous renseigne l'un des policiers en faction à ce niveau. Tout au long de la rue longeant la Grande Poste, sont stationnés 9 camions anti- émeutes et deux voitures de police. A l'entrée de la rue Larbi Ben M'hidi, les plantes sont toujours exposées mais les vendeurs absents. De jeunes couples marchent tranquillement, discutent sans laisser une quelconque distance entre eux. La galerie commerçante près de la place Emir Abdelkader est sombre, ses commerces fermés. L'historique Milk Bar l'est aussi avec une chaîne cadenassée aux poignets de sa porte en verre. Plus loin, le MAMA, ce musée algérois aux murs et fenêtres sales et dégradées a lui aussi ses portes closes. Lui fait face la mythique cinémathèque rideau baissé. L'on a l'impression qu'avec la fermeture des commerces, Alger semble plus sale. Les couleurs des marchandises, le mouvement des clients, l'ambiance des jours « normaux » cachaient bien ce visage hideux de saleté de la capitale. A quelques pas de ces deux espaces culturels, le centre arabe Larbi Ben M'hidi est lavé à grande eau. Au virage de la rue Boumendjel, on peut voir la mosquée Benbadis où règne un silence pesant tout autant que dans les ruelles qui lui sont adjacentes d'habitude animées par les commerces de djelabas, de tapis de prière, du livre sacré et du mesq. En allant vers la place Port Saïd, un jeune homme portait une boîte en carton contenant un jerrican équipé d'un tuyau et d'un appareil de vaporisation. «On attend, soit ça monte, soit ça descend» « Je viens de l'acheter pour désinfecter la maison, la rue, les trottoirs », nous dit-il d'un air rassuré. « Je l'ai acheté à 3.500 à Britouta, je vais le remplir d'eau de javel et je vais asperger tous les espaces de mon quartier à Ben M'hidi », nous explique-t-il avec le sourire. En bas de la rue, on voit le tribunal de Sidi M'hamed où l'activité a sensiblement baissé mais la bourse ambulante active toujours grâce à ces « cambistes » qui continuent d'agiter des liasses de billets de monnaies convertibles. Certes, ils sont moins nombreux que d'habitude. « A 19 ! » nous répond un jeune à qui nous avons demandé à combien s'échangeait l'euro. «On attend, soit ça monte, soit ça descend », ajoute-t-il avec une pointe d'inquiétude. A la rue Bab Azzoun, aucun commerce n'est ouvert excepté deux pharmacies. A la montée vers la belle mosquée Ketchoua, seul un vendeur de dattes est ouvert. La mosquée comme toutes les autres d'Alger n'a plus de vie. En bas, la place des Martyrs, les voix sont moins audibles. Aucun commerce informel. Quelques SDF qui, en position assise, dorment à même le sol où sur les bancs des stations de bus. Au centre de la place, des oisifs sont assis tout autour de la sorte de pergola, du beau kiosque près duquel des centaines de pigeons continuent de picorer. En face, au loin, la mer laisse entrevoir des horizons brusquement fermés. Tout au long de la rue de l'APC de la Casbah, deux policiers patrouillent visages « masqués » contrairement à tous leurs collègues de la ville qui circulent sans aucun moyen de protection visible. Décorée par les portraits en céramique de l'émir Abdelkader, Omar Sghir, Hassiba Ben Bouali, Ramel, Ali la Pointe, la rue donne directement sur la mer où on peut voir quelques bateaux en rade. Tout en avançant vers le boulevard Zighout Youcef, est à quai le Tarik Ben Ziad qui a ramené il y a deux jours des ressortissants algériens de pays infectés par le COVID 19. Au loin, s'élève sur le versant Est de la capitale l'imposant minaret de la Grande Mosquée, et sur le versant Ouest, le sanctuaire des martyrs, tous deux témoins d'une époque pas comme les autres. Un taxi s'arrête et nous demande notre direction. Il réfléchit quelques secondes pour accepter de nous y amener. « Le président de la République doit savoir que ce peuple est privé (comprendre les gens travaillent au noir où chez les privés) », nous dit-il dès qu'il démarre. «On se prépare au pire» «Moi, je loue cette voiture pour faire le taxi, mais il n'y plus de clients ces jours-ci, les gens ont peur d'être contaminés, le propriétaire de la voiture m'a dit si tu arrêtes, tu ne travailleras plus pour moi, les privés ne respectent aucune loi », continue-t-il. Il nous explique que « quelles que soient les conditions de travail, je dois lui donner 2.500 DA par jour sans compter l'essence ». Il trouve anormal que « ce propriétaire privé chez qui je travaille possède avec l'aide de l'Etat 20 véhicules qu'il fait travailler comme taxis, au lieu que ça soit l'Etat qui les loue aux jeunes, il faut créer des sociétés publiques de ce genre, sinon, on ne s'en sortira jamais ». Ce chauffeur de taxi est convaincu que « si l'Etat reprend toutes les activités commerciales en main, l'Algérie se portera bien mieux et pourra faire respecter toutes les lois, il peut signer des contrats avec des privés, pas plus (...) pour éviter qu'ils ne le prennent en otage...». Depuis hier, l'Algérie est entrée dans la phase 3 de l'alerte contre le coronavirus. « On doit se préparer au pire », a déclaré le ministre de la Santé, le professeur Abderrahmane Benbouzid. Du côté de la Bridja près de Sidi Fredj, une ambulance passe à toute vitesse sirène actionnée. Elle se dirige vers l'Institut Pasteur où sont faits les tests du COVID 19. Plus bas, au complexe touristique, les voyageurs rapatriés à bord du Tarik Ben Ziad sont placés en confinement, pour un certain nombre à l'hôtel Riadh, d'autres dans la résidence touristique qui a été fraîchement rénovée et le reste au centre de thalassothérapie. Devant chacun des lieux, sont déployé de nombreux éléments de la gendarmerie nationale. Le port de plaisance de Sidi Fredj est désormais fermé aux visiteurs. «Le confinement général relève de la décision du président de la République », a précisé hier le ministre de la Santé qui a rappelé que « le virus s'est propagé dans 17 wilayas ». L'Algérie a enregistré à ce jour 201 cas confirmés et 17 décès. Hier la capitale colportait une rumeur effrayante. «L'armée sera déployée peut-être à partir du lundi (aujourd'hui) pour obliger les gens à rester chez eux, ce sera le confinement général », répètent les uns et les autres. Un vent froid a commencé à souffler. Entre la prière de voir la pluie tomber pour nourrir la terre en ces temps de sécheresse et celle de voir le climat se réchauffer pour tuer le coronavirus, les Algériens cachent mal leur crainte de mourir par cette infection de type nouveau même s'ils continuent de la prendre à la légère. |
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