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L'Algérie n'ayant
pas connu une mobilisation populaire générale aussi intense depuis l'été 1962,
est-il question de récupérer l'indépendance confisquée au lendemain du
désengagement des Français de cette colonie ? En effet, en dehors des
rassemblements massifs, chaque vendredi dans toutes les villes et tous les
villages du pays, il y eut en parallèle les manifestations des magistrats, des
avocats et des praticiens médicaux, des étudiants universitaires et de toutes
les franges du corps de l'éducation, des ouvriers de différents secteurs
économiques et sociaux, des artistes, des journalistes, des femmes ainsi que de
l'effectif des citoyens handicapés. Les marches de marées humaines dans les
rues du pays sont allées en s'intensifiant de semaine en semaine, on a compté
quelque douze millions de manifestants, ce vendredi 15 mars 2019. Malgré le
nombre impressionnant des participants, ces regroupements étaient tous marqués
d'un caractère pacifique exemplaire, sans aucun incident grave ou dépassement
immoral à déclarer. Le comportement des forces de l'ordre pour gérer ces flux
humains gigantesques était d'un professionnalisme modèle et d'un civisme de
qualité à saluer. Beaucoup de policiers finissent par enlever leurs casquettes,
baisser leurs matraques et fondre dans la foule comme une couche indissociable
du peuple. Effectivement, les agents en uniforme font aussi partie de la masse
populaire, ils vivent leur peine, connaissent leurs souffrances et partagent
leurs revendications légitimes. Ils apprécient leurs objectifs et aspirent, eux
aussi, à un Etat de droit, de justice, de dignité et de respect mutuel entre
gouverneurs et gouvernés, tous égaux devant les lois qui régissent la nation.
Les slogans scandés par les foules changeaient également suivant le
développement des événements. « Pas de 5e mandat pour Bouteflika », chanta le
peuple lorsque ce dernier émit le désir de se porter candidat aux élections
présidentielles prévues pour avril prochain. Ensuite, « Pas de changement dans
la continuité », « Dégage » quand le président actuel décide de se retirer de
la course au grade suprême de la nation, mais aussi d'annuler subitement le
processus électoral, prétextant le climat politique tendu et la crise
économique ambiguë qui ne permettent pas d'effectuer un changement
gouvernemental radical, comme l'exige le peuple dans la rue et par les communications
largement partagées à travers les réseaux sociaux. En annulant les élections
présidentielles pour une durée encore indéterminée, le président, ou du moins
le cercle oligarchique qui sévit autour de lui, s'octroie la possibilité de
prolonger son mandat actuel. Le peuple comprend donc que l'annulation du
processus électoral est une manœuvre politique qui enfreint les règles
fondamentales de la Constitution de la nation, car une telle opération n'est
valable que lorsque le pays se trouve en état de guerre, comme stipulé dans
l'article 107 du code constitutionnel de l'Etat algérien. Aussi, l'objectif
d'un tel forcing des interdits explique clairement que les tenants du pouvoir
expriment l'intention de se maintenir en place pour encore plus de temps, histoire
de terminer des engagements, d'effacer des erreurs, de régler des comptes ou
pour d'autres motifs inconnus. Alors que le peuple demande le retrait de
Bouteflika des présidentielles et l'application d'élections afin délire un président d'une manière démocratique, voilà que
les décideurs en place annoncent l'annulation du scrutin et le maintien de
Bouteflika, Dieu sait pour combien de temps.
Dans l'embarras, les dirigeants du pays exécutent un remaniement ministériel de dernière minute avec d'anciennes figures du même gouvernement, venues avec une feuille de route qui consiste à préparer la transition de la présidence dans des conditions plus calmes que l'effervescence actuelle. Cependant, les Algériens demeurent sourds à ces machinations inconstitutionnelles qui visent à faire perdurer un régime totalitaire qui a échoué dans ses missions dans tous les domaines, et mené le pays vers la faillite économique et la désolation sociale. Les millions d'Algériens gardent toujours leur position dans la rue, d'autres slogans prennent forme au cours de leurs rencontres : « Je marche, tu marches, ils partent » ou simplement « Partez ». Le gouvernement s'obstine à garder le gouvernail d'une embarcation qui va à la dérive. Le peuple veut changer l'équipage et le cap vers des horizons meilleurs. Le peuple regarde les manigances rusées du pouvoir comme un complot planifié plutôt que d'un arrangement utile au pays. Désormais, le peuple ne veut plus être dirigé par un président absent, qui communique par procuration à travers des lettres que personne n'écoute. Tout le monde sait que le chef est malade, convalescent, peut-être inconscient, régulièrement annoncé pour mort alors qu'on parle toujours en son nom. La confiance entre la population et les gens qui la représentent est depuis longtemps rompue. Au lendemain de la quatrième grande marche du peuple, le quotidien arabophone «El Khabar» titre dans sa première page : « Bouteflika, tu ne resteras pas une minute de plus ». «El Watan» estime à la Une que les marches imposantes sont une réponse cinglante du peuple. «Liberté», quant à lui, observe que le peuple a dit son dernier mot contre les décisions de Bouteflika. Le départ du président et de son équipe dirigeante est une conclusion évidente, impérative en regard de l'évolution de la faille qui se creuse tous les jours de plus en plus entre le peuple et ceux qui le commandent. Ce n'est plus une question de changement de personnes, il s'agit de la fondation d'une nouvelle République avec un régime démocratique et le dressement d'une Constitution consensuelle qui respecte l'ambition de toutes les tendances du peuple algérien. Le peuple a démontré une sagesse mature au cours de cette expérience de son histoire. Civique, soudé et intelligent, il sait que la mutation n'est pas un fait abordable dans l'immédiat, il est conscient que l'exercice démocratique est un parcours continu auquel il faut toujours apporter des ajustements et des corrections. Il connaît que le changement se réalise progressivement, il suffit de le commencer pour déjà y être. *Ecrivain |
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