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«Rien n'est à négliger. La
lointaine rumeur, Souvent aux souverains, annonce leur malheur...» Voltaire
Les hélicoptères vus dans le ciel algérois, c'était pour ouvrir le chemin aux convoyeurs de drogues. A la Corniche oranaise, les fils de ... se sont disputés un terrain à «pistolets» tirés ... X aurait ..., Y serait ... Il semblerait, il paraît que, de sources sûres, la famille Bouteflika serait déjà partie, Saïda, le frère aîné du président serait atteint du cancer du pancréas ... Délibérée ou pas il y a, toujours, dans la rumeur une part de mystère, d'incertitude, mais elle n'est pas toujours nécessairement erronée. Cependant, elle continue de courir, d'autant plus vite et d'autant plus loin qu'elle a trouvé dans les réseaux sociaux sa courroie de transmission idéale. Après avoir été orale, depuis l'essor de l'Internet, elle se nourrit des nouveaux moyens de communication, tout comme ceux-ci se nourrissent des rumeurs (Pascal Froissart). On peut dire que la rumeur est, d'abord et avant tout, une information, c'est-à-dire de nouveaux détails sur un événement ou sur une personne. Kapferer l'avait même décrit comme le marché noir de l'information». Instrument de diffusion, elle a l'efficacité d'une magie. Sans doute, la communication humaine a-t-elle souvent été le fait de bruits articulés en rumeurs ? sans pour autant que celles-ci véhiculent nécessairement de « fausses nouvelles » (Maurice Olender). La rumeur peut être perçue comme un dysfonctionnement de la communication institutionnelle. Les hommes de l'Etat (ou du pouvoir), devant le désarroi de la société, surtout en ces temps d'incertitude, continuent par amateurisme ou par machiavélisme à entretenir la rumeur. Qu'est-ce qui empêche la télévision nationale d'envoyer une équipe de journalistes afin de s'enquérir, de visu, sur l'état de santé du président, et, ô comble du rêve, interviewer ses médecins suisses sur sa capacité de briguer un cinquième mandat ! Les rumeurs, les « on dit », les canulars, les ragots, les commérages, les cancans, et autres papotages ont toujours existé, mais les ordinateurs et Internet ont élevé leur transmission à une nouvelle « forme d'art » avec des conséquences parfois désastreuses. Avec son dispositif technique et communicationnel (écran, interface clavier ? souris ? caméra - microphone, télécommunications ...), Internet est un média parmi d'autres, sauf que son réseau de diffusion est à une échelle planétaire (Word Wide Web/www). Considéré comme nouveau, ce média produit des techniques et des notions qui étaient inconnues jusqu'à une date récente; Digital Media News, journalisme en ligne, blogs, photo-journalisme numérique, journalisme citoyen, médias sociaux ... Chaque jour, il est créé cinq hexabytes de données en ligne. Ce qui fait de lui le meilleur accélérateur du « plus vieux média du monde» (Kapferer): la rumeur. Cette frénésie, favorisée par l'Internet, disait Marie-Charlotte Roques-Bonnet, génère autant de données, en un jour, que celles produites depuis le début de l'humanité jusqu'à l'année 2003. Données aussi disparates qu'anodines « qui se présentent tantôt comme mémoire, tantôt comme savoir, tantôt comme message, tantôt comme programme, tantôt comme matrice organisationnele », mais aussi et surtout comme vecteur de rumeurs. En effet, Il ne se passe pas de jours où la question du vrai ou du faux sur Internet, du trucage ou de la mystification, de la désinformation et de la rumeur ne se trouve au premier plan de l'actualité. (Edgar Morin). L'utilisateur, citoyen-journaliste ou professionnel, s'offre toutes les possibilités des autres médias, à une différence près que chaque utilisateur est à la fois récepteur et émetteur, ou l'un des deux. Or la grande quantité d'informations sociales et comportementales potentiellement disponibles, en son sein, a rendu la Toile une cible de choix pour tous les actes malveillants, à commencer par la création et la diffusion de la rumeur (K.Z. Ossoukine-Bousmaha). Et comme tous les autres domaines du savoir, possiblement attentatoires à l'intégrité de la personne et à son honneur, une approche éthique de son usage dans l'Internet a été amorcée en sus de l'ordre juridique qui tente de le réguler. Ainsi, les promoteurs de cet nouvel outil peuvent, comme les médecins, les avocats ... s'enorgueillir d'avoir leur propre code d'honneur. Le cyberespace, devenu une bulle anarchique et carrefour de toutes les dérives offre, en effet, de nombreuses preuves de comportements dysfonctionnels, de discours contraires tant à la morale qu'à l'ordre public et le point de départ de presque toutes rumeurs. Ceux-ci sont catalogués, dans diverses analyses, et certains sont assez triviaux, comme la pédophilie, l'apologie du terrorisme, l'incitation à la haine raciale, la négation de crimes contre l'Humanité, l'appel au meurtre, le proxénétisme, le trafic de stupéfiants, les atteintes à la sécurité nationale ... Mais la rumeur semble faire de l'Internet son terrain de prédilection. On est, encore, qu'au début de l'âge d'Internet (Inter Communication Network) et même à ce stade, il est en passe de devenir un produit naturel, voire un outil de la vie quotidienne comme l'est le téléphone ou la télévision. L'informatique est omniprésente et sa démocratisation par l'intermédiaire d'un accès facilité et plus au moins généralisé, favorise la circulation de la rumeur à une échelle planétaire et à une vitesse vertigineuse. Contagieuse, produit de la crise et de l'incompétence des médias, et limitée dans le temps, la rumeur n'est autre qu'un bruit déstructuré, voire informel (officieux) comme le note Michel-Louis Rouquette. Elle fait réagir le grand public qui l'alimente à son tour. Sœur jumelle de la désinformation, souveraine et incontrôlable, la rumeur n'a pas de maître, elle peut se retourner contre ceux qui cherchent à la manipuler ; elle n'épargne personne mais n'a de saveur que lorsqu'elle touche une personnalité publique, puissante et jalousée. Perverse, elle fait appel ici à un deux « sentiments premiers » ; la vengeance et la jubilation. Les rumeurs complimenteuses n'existent pratiquement pas. C'est le plaisir que nous avons à ce que la sanction divine s'abatte sur la personne objet de la rumeur. Boulimique, puissante et souple, c'est une parole baisée, molle et pleine de sous-entendus. Elle n'a aucun fondement et c'est là sa définition la plus irréductible, peut-être, comme l'a décrit Lydia Flem. On la compare aux cyclones qui naissent quelque part et qui s'éclatent des kilomètres plus loin. On sait, parfois, où ils naissent mais jamais où ils retombent. Si elle est vérifiable et s'officialisera, elle ne sera plus, par définition, une rumeur. Il est, généralement, admis que la formation de la rumeur vient généralement pour combler un vide, créé par l'absence d'informations dans des situations peu claires, notamment dans les régimes totalitaires. Abed Charef à propos des rumeurs récurrentes sur la mort du Président Bouteflika note qu'elles sont lancées par des sites Internet confirmant les avatars de la vie politique algérienne, tout en reposant l'éternel problème dans des pays plus connus pour l'opacité de leur système politique plutôt que par la transparence de la gestion des affaires publiques. Une rumeur est une hypothèse offerte en l'absence d'informations vérifiables concernant des circonstances incertaines qui sont importantes pour des personnes inquiètes. En outre, l'absence réelle de l'information peut conduire le récepteur à procéder au remplissage des blancs, modifiant ainsi le message initial en le transmettant ensuite avec ces rajouts. La rumeur peut, également, naître à partir d'un message incompris. Dans un tel cas, au lieu d'agir en tant qu'explication d'un événement incertain, elle crée des incertitudes par son incomplétude, incitant les récepteurs à remplir eux-mêmes les vides. Tout le monde s'accorde pour dire que la rumeur constitue un contre-pouvoir, une contre-norme et elle se nourrit dans ce qui n'est pas dit, dans ce qui est dévalorisé. Ainsi dans une société in-égalitaire, les rumeurs vont être sur les passe-droits, la corruption, les privilèges, la main de l'Etranger, le pouvoir des zaouïa ... terreaux de tous les types du fantasmes. Il faut certainement ajouter, les thèmes récurrents de la rumeur : la vie privée, les orientations sexuelles. Plus l'orthodoxie n'est pas respectée, plus c'est intéressant pour le développement de la rumeur. L'origine de la fortune personnelle, les relations mafieuses, l'atteinte par une maladie (cancer ou sida, notamment), l'origine de la mort sont aussi l'humus de la rumeur. A ce propos, l'on continue à croire en Algérie, quarante après, et ce malgré l'annonce officielle de la mort du Président Boumediene, dû à la maladie de Waldenströme (cancer du sang), que son décès est le résultat d'un assassinant planifié et exécuté par le Mossad, pendant la dernière visite du président en Syrie. Cette « information », communément admise par la vox populi continue jusqu'au nos jours à circuler dans la Toile relayée parfois par des médias classiques et des politiques de premier plan (Taleb Ibrahimi, entre autres). Le démenti, quoi qu'il s'agisse d'un art difficile, il faut le manier avec précaution. Il ne faut pas baser son démenti sur une quelconque logique scientifique mais sur l'imaginaire. Seul un imaginaire peut répondre correctement à un imaginaire. N'oublions pas qu'il est également impossible de démentir sans propager (Fabrice Clément). Parfois, le démenti peut accentuer la rumeur. Amar Sâadani, l'ex-chef du parti au pouvoir en Algérie (FLN), soupçonné par la presse de corruption, de détournements de fonds publics et d'avoirs dans des banques à l'étranger (300 millions d'euros), apostrophé par un journaliste s'il pouvait justifier ses biens, le politique lui rétorqua en tentant de cadrer la rumeur par l'absurde : « oui, je vous paye un billet d'avion pour aller vérifier sur place. Avez-vous une idée sur le nombre de semi-remorques qu'il faut pour transporter tout cet argent? L'une des critiques majeures adressée à Internet porte sur la véracité des informations que l'on peut y trouver. De par sa facilité d'utilisation, son déploiement à l'échelle internationale et surtout les millions de personnes qui, non seulement s'y connectent mais diffusent des données, on pourrait presque dire qu'Internet « regorge » d'informations. Une fausse information postée sur un blog, quelque part dans le monde, peut en quelques heures être reprise par des médias étrangers; il suffit, dira Jean-Bruno Renard, de créer le «lien» qui médiatisera la fausse information, via l'envoi à des tiers du lien vers le blog, via des tweets par exemple, jusqu'à ce que tel journaliste s'approprie l'information pour la rediffuser plus largement. Même Wikipedia n'est plus crédible comme l'a été depuis sa création. Chacun y peut mettre un peu du sien, à dessein ou par ignorance. Depuis, cette source, dont la véracité des articles est devenue sujet à caution, n'est plus tolérée dans les travaux de recherches sérieux. Le principe est que n'importe qui peut écrire ou exprimer ses opinions. Il s'agit d'un droit humain inclus dans les déclarations des droits. Cependant, si le journalisme électronique, désormais reconnu comme profession, il doit alors avoir des normes éthiques. La plus importante est celle de minimiser les dommages et avoir de la compassion pour ceux qui peuvent être touchés, négativement, par la couverture d'un fait ou la transmission d'une rumeur. La question est de savoir jusqu'à quelle limite doit-on satisfaire le voyeurisme et le sadisme de certains, sous prétexte du prisme de la liberté d'Internet. Bien que la liberté de la presse soit prévue dans toutes les constitutions du monde, son exercice reste, néanmoins, une question de choix personnel, voire de conviction. *Faculté de Droit Oran Bibliographie : Michel-Louis Rouquette, Les Rumeurs, Paris, P.U.F. 1975. Edgar Morin, La rumeur d'Orléans, 1969, rééd. Seuil, coll. «Points essais», 1982. Françoise Reumaux (dir.), Les oies du Capitole ou les raisons de la rumeur, CNRS, 1999. Jean-Bruno Renard, Rumeurs et Légendes urbaines, Puf, «Que sais-je?», 1999. Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard, De source sûre : nouvelles rumeurs d'aujourd'hui, Payot, 2002. Fabrice Clément, Les Mécanismes de la crédulité, Droz, 2006. Antoine Garapon et Denis Salas, Les Nouvelles Sorcières de Salem. Leçons d'Outreau, Seuil, 2006. Kapferer (Jean-Noël), « Les disparitions de Mourmelon. Origine et interprétations des rumeurs », Revue française de sociologie, XXX/1, Paris, 1989, p. 81-89. J.-N. Kapferer, Paris, Éd. First (diffusion Albin Michel), 1988, 220 p. « Paroles urbaines », Cahiers de littérature orale, 24, Paris, 1988, 246 p. - Numéro coordonné par MihaelaBacou et Brunhilde Biebuyck. Maurice Olender, in. Présentation du numéro spécial « La rumeur »,Le genre humain 5. Revue trimestrielle publiée avec le concours de la Maison des Sciences de l'Homme, de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales et du CNRS, Fayard, Paris, 1982. A. OSSOUKINE (Kheira-Zineb Bousmaha), « Quel impact de l'Internet sur l'éthique de la presse électronique? » Revue du Centre des études sur l'éthique et législation islamique, n°1, Doha, Qatar, 2014. p. 56. Lydia Flem « Bouche bavarde et oreille curieuse », In. « La rumeur », Le genre humain 5., (Revue trimestrielle publié avec le concours de la Maison des Sciences de l'Homme, de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales et du CNRS, Fayard, Paris, 1982), p. 11. Abed Charef, Quand la rumeur fait trembler l'Algérie. La Nation, 12 septembre 2012. |
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