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«Depuis
que j'ai commencé à militer, je ne fais plus la distinction entre le salé et le
sucré. Pour Dieu, le pays et la Révolution, je suis prêt à sacrifier l'honneur de
ma femme.»
Depuis quelques années, la scène algérienne ne cesse de s'emballer à chaque fois que l'histoire de la guerre de libération s'invite. En effet, à défaut d'un débat serein et objectif, nous assistons, et d'une manière récurrente, à une levée de boucliers et à d'interminables polémiques sur le moindre fait évoqué de notre histoire récente. Ce qui fait que l'Algérien d'aujourd'hui se retrouve déboussolé sur son passé, surtout que les historiens, les hommes politiques et même les acteurs de notre Révolution ne sont pas tout le temps d'accord sur certains feuilletons historiques, notamment sur le mérite des uns et la défection - pour ne pas dire la trahison - des autres dans leur engagement pour la libération du pays. Ainsi n'est-il pas étonnant d'assister, dans ce climat de désaccord et de déchirement autour des questions de mémoire, à des scènes ou à des actions pour le moins insolites et hilarantes, telles que la publication, voire la promotion de livres réhabilitant des personnages ayant servi comme vassaux et harkis dans les rangs de l'ex-puissance coloniale. Si l'Algérien peut difficilement admettre la réhabilitation de certaines personnalités controversées comme Messali Hadj, considéré naguère comme un traître, il ne saura toutefois comprendre que des auteurs aux convictions révisionnistes - et qui ne sont pas au demeurant des spécialistes en histoire - soient invités sur des plateaux d'une télévision publique pour soi-disant revisiter l'histoire et rendre hommage à des criminels notoires que la mémoire populaire et l'histoire ont condamnés à jamais. Privilège dont n'ont pas bénéficié paradoxalement d'autres auteurs qui, pourtant, ont fait des livres pour relater le parcours des héros de la Révolution de premier ordre. Chaque jour, on lit et on entend des déclarations à vous laisser pantois et ahuri. Messali est un héros et Bengana n'est guère un féodal criminel. Il n'est pas exclu, au train où vont les choses, qu'un jour on finirait par réhabiliter les Bellounice, les Bachaga Boualem et jeter l'opprobre sur les six historiques qui ont déclenché notre glorieuse guerre de libération nationale. Notre histoire étant ce qu'elle est, elle n'est ni rose ni noire. On ne peut donc ni la farder ni la manipuler au nom d'une réconciliation tous azimuts qui légitime l'action des pourfendeurs d'hier pour se transformer en promoteurs aujourd'hui, en vue de disculper traîtres et collaborateurs au nom d'une idée aussi farfelue qu'angélique : «Ni héros ni traître. Seul l'héroïsme du peuple est à reconnaître».Ce spectacle aussi tragique que comique ne peut engendrer que confusion et cacophonie et retarder le consensus tant souhaité autour de notre Histoire nationale. Un consensus qui ne peut, du reste, être encore différé surtout que le contexte d'aujourd'hui est favorable à l'effritement des consciences collectives et, par conséquent, à l'éclatement des nations. Il est donc urgent de créer les conditions démocratiques nécessaires pour arriver à une entente à même d'assurer la transmission d'un legs aux jeunes générations qui, faut-il le noter, se retrouvent aujourd'hui désorientées, ignorant pour la plupart les repères historiques qui ont fondé leur Etat-nation. Le danger est bien réel car lorsque l'on ne sait pas d'où l'on vient, on ne peut alors que naviguer à vue en s'exposant à tous les périls et à tous les tourbillons qui pourraient nous mener droit vers le reniement et le révisionnisme. Mais ce qui reste gravissime dans toutes ces histoires de réhabilitation et de reniement, ce n'est pas tant cette volonté des uns à vouloir, pour des considérations familiales ou régionalistes, laver l'affront de certaines personnalités déterrées de l'histoire, mais plutôt cette ingratitude et ce renoncement à défendre la mémoire de ceux qui ont bel et bien fait l'histoire glorieuse du pays, au prix du sacrifice suprême. Notre héros national Didouche Mourad se retournera, sans doute, dans sa tombe en raison de notre indifférence à réagir aux contrecoups que subissent, depuis quelque temps, certains symboles de notre Révolution. Des symboles dont on devait normalement immortaliser le nom et perpétuer le serment. Ce qui n'est pas toujours le cas, notamment pour l'un des héros de la révolution de Novembre, en l'occurrence Si El Haouès. En effet, et depuis quelques années, nous assistons à des actions ou plutôt à des mesquineries, pour effacer le nom de ce colonel hors pair de la mémoire collective. Tout a commencé en 2015 à Tkout, daïra située au sud-est du chef-lieu de la wilaya de Batna, où des jeunes voulurent ériger une statue en hommage au défunt martyr. Cette initiative a été vite capotée, semble-t-il, par les autorités et la kasma locale des moudjahidine pour des raisons inexpliquées. Selon certaines rumeurs, le refus d'honorer ce colonel dans cette localité est motivé par des raisons absurdes : « Tkout est une région relevant de la wilaya 1 historique et dont Si El-Haouès n'est pas natif. S'il doit alors être honoré ce n'est pas ici, murmure-t-on, mais dans sa wilaya, la wilaya 6 historique dont il était responsable ». Ce premier contrecoup serait peut-être considéré comme un fait isolé ou une maladresse, si seulement l'on n'avait pas récidivé, encore une fois en 2017, pour détourner le projet de baptiser l'université de Batna II du nom de Si El Haouès pour celui de Ben Boulaïd. Il faut noter ici que cette importante structure de savoir devait porter initialement le nom du premier. Pourquoi donc cette volte-face qui a provoqué l'ire de l'opinion aurésienne en créant indignation et fitna ? Et pourquoi tant d'ingratitude à l'égard d'un homme dont le nom n'a jamais, du reste, été porté sur les enseignes des grandes réalisations nationales ? Et même si tout le monde en Algérie admet et reconnaît le prestige et la grandeur sans pareils du père de la Révolution, en l'occurrence Si Mustapha qui mérite que l'on baptise de son nom, non pas une simple université, mais toute une ville «Ben Boulaïd-grade», il n'en demeure pas moins que ce revirement de dernière minute est aussi indécent qu'inacceptable. Tous les anciens maquisards que nous avons eu à rencontrer récemment déplorent ce geste qui sème la zizanie et la fitna. Si El Haouès, selon eux, mérite plus d'égard et de considération, tant l'homme était aussi d'un engagement sans faille et d'un dévouement exceptionnel pour libérer le pays. Mais qui est Si El Haouès et pourquoi est-il victime, volontairement ou par inadvertance, de tant de dénégation et d'ingratitude ? Pour répondre à cette interrogation, nous reviendrons ici sur la vie d'un homme pas comme les autres, en retraçant son parcours et en relatant notamment certains faits méconnus du grand public. Si El Haouès, de son vrai nom Hamouda Ahmed Ben Abderrazzak, est né en 1923 à M'chounèche, une localité située au sud des Aurès, précisément au pied du prestigieux massif d'Ahmar Khaddou. Cette localité qui longe également la belle vallée d'Ighzer Amellal est aujourd'hui une daïra relevant de la wilaya de Biskra. Issu d'une famille relativement aisée par rapport à la misère qui régnait à l'époque, le jeune Ahmed s'engagea, dès les années quarante, dans l'activité politique au sein du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Sa générosité, son intelligence et surtout sa détermination ont fait de lui un personnage incontournable au sein des instances locales du parti. Très vite, il devint membre de l'OS et premier responsable de la kasma de M'chounèche. Malgré sa petite corpulence, Si Hmed Ou Abderrazzak, comme aimaient l'appeler les gens de son village, débordait d'énergie, se déplaçant continuellement d'un douar à un autre pour sensibiliser et structurer le parti dans toute la région de l'Ahmar Khaddou. Ses déplacements fréquents et ses capacités à parcourir des dizaines de kilomètres en une journée lui ont valu son nom de guerre « Si El Haouès ». Grâce à cet activisme, la région était, dès les premières années de 1950, fin prête pour la lutte armée. D'ailleurs, ses compagnons tels que Brahim Djimaoui, Brahim Azeroual, Ammar Chahdi, Brahim Guettouchi, Mohamed Athmani s'impatientaient déjà de passer à l'action. Et quand le moment vint au premier novembre 1954, ce sont naturellement les groupes de M'chounèche et d'Ighzer Amellal, composés de 35 maquisards, qui allumèrent le feu au chef-lieu de la wilaya de Biskra. Le déclenchement de la révolution était une réussite et la zone de l'Ahmar Khaddou, à l'instar de toutes les régions des Aurès, connut, durant les mois qui suivirent, un embrasement total. Il convient de marquer ici une halte pour essayer de répondre à une question majeure qui a longtemps taraudé l'esprit des historiens. Si tout le monde reconnaît que le système colonial, fait d'injustices et de privations des droits du peuple algérien, est la principale cause du déclenchement de la Révolution de 1954, comment expliquer cependant que le coup est parti des Aurès, une contrée qui compte le moins de colons par rapport aux autres régions du pays ? Mohamed Chérif Abdeslam, l'un des rares maquisards toujours en vie qui a participé aux opérations de la Toussaint, estime qu'il faut revenir à l'histoire des Aurès pour répondre à cette question. « La saga de Messaoud Ou Zelmad (1), nous dit-il, était toujours vivace dans l'esprit de notre génération, et notre région a été toujours réfractaire et rebelle à toute occupation étrangère.» En effet, la France, depuis sa présence dans la région, n'a jamais connu de répit. En témoignent la bataille de M'chounèche le 15 mars 1844, les insurrections de Si Saddek Ou Lhadj (1859) et de Mohand Ameziane Ou Djarallah (1879) et, plus récemment, la révolte, dans les années 1920, des bandits d'honneur sous la houlette du très légendaire Ou Zelmad. L'Aurésien n'a donc jamais perdu de sa fibre patriotique ni de sa dynamique révolutionnaire. Il était donc dans la nature des choses que sa région soit au rendez-vous, notamment dans la zone de l'Ahmar Khaddou d'où sont issus tous ces résistants. Ni la visite de François Mitterrand - ministre de l'Intérieur à l'époque - le 29 novembre 1954 à M'chounèche ni les renforts envoyés dans la région n'ont eu raison de la détermination des premiers maquisards qui multipliaient attentats et actes de sabotage, défiant ainsi toute l'armada française déployée. A suivre *Universitaire |
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