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La Roumanie veut se rapprocher davantage de l'Algérie. Elle le dit par la voix de sa secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères qui y effectue depuis hier une visite officielle. Dans cette interview, Carmen Liliane Burlacu en parle tout en mettant en avant la complexité des situations dans le monde mais aussi aux frontières des deux pays, pour l'un il y a la Libye et pour l'autre l'Ukraine? Le Quotidien d'Oran : Madame, vous effectuez votre première visite en Algérie, pourriez-vous nous dire quels en sont les objectifs ? Carmen Liliane Burlacu : L'Algérie est un pays prioritaire pour la Roumanie dans ses rapports avec le continent africain. Nous avons en vue, d'une part, les initiatives et l'intense activité diplomatique concernant le renforcement de la sécurité et de la stabilité dans la région et, d'autre part, la dynamique du développement économique qui la projette comme un marché attractif pour les hommes d'affaires roumains. Cette première visite que j'effectue en Algérie s'inscrit dans la tenue de la troisième série de consultations politiques entre les ministères des Affaires étrangères, mécanisme établi en 2011, qui a permis aux deux pays, en plus des échanges d'opinions sur les évolutions internationales d'intérêt, d'avoir une bonne coopération au niveau des organismes et des institutions internationales à travers le soutien réciproque à la promotion d'initiatives et de candidatures dans les instances internationales. Q.O : La coopération entre l'Algérie et la Roumanie est évaluée à un peu plus de 500 millions de dollars, quels seraient les secteurs qui pourraient constituer de nouveaux créneaux d'échanges entre les deux pays et susceptibles de la renforcer ? C. L. Burlacu : La Roumanie est un partenaire historique de l'Algérie dans le domaine économique. Dans les années 60 et 70, les entreprises roumaines ont participé à la réalisation de nombreux projets industriels dans l'énergie, le logement et les infrastructures. Les cinq dernières années, les rapports commerciaux ont connu une croissance annuelle moyenne d'environ 5% pour atteindre 530 millions de dollars, ce qui prouve l'existence d'un potentiel non exploité suffisamment. La Roumanie exporte vers l'Algérie une large gamme de produits (voitures, presses et sous-ensembles, bois semi-fabriqué, produits alimentaires, céréales etc.) Elle souhaiterait en même temps identifier en Algérie des marchandises qui pourraient être importées par les hommes d'affaires et les sociétés roumaines. Il est clair que la force d'une relation économique doit être fondée sur l'intérêt et le bénéfice mutuels. De notre point de vue, les domaines à renforcer entre les deux pays sont l'industrie automobile, l'agriculture, la maintenance énergétique, l'hydraulique, les TIC, les infrastructures, la construction et l'agroalimentaire. Q.O : Au regard de la crise entre Moscou et Kiev, l'Europe pense aujourd'hui beaucoup plus à assurer sa sécurité énergétique en renforçant la coopération dans ce domaine avec l'Algérie. La Roumanie aurait-elle une demande à formuler à cet effet, en premier pour son propre approvisionnement? C. L. Burlacu : Il est vrai que l'émergence de tensions à la frontière est de l'Union (mais aussi d'autres évolutions politiques dans les régions et pays producteurs d'énergie) a contribué à faire comprendre à l'Europe qu'il faut une stratégie cohérente et des mesures concertées pour traiter efficacement le sujet de la sécurité énergétique, y compris la dépendance excessive d'un fournisseur ou d'un type de source. C'est pour cela que durant les derniers mois, l'UE a préparé et lancé son projet sur l'Union de l'énergie, une priorité de taille dans son agenda politique. Le projet, vu comme une véritable nouvelle liberté de mouvement -celle de l'énergie- est basé sur la nécessité de couvrir les objectifs de la politique énergétique de l'UE -la sécurité de l'approvisionnement, la durabilité et la compétitivité. La Roumanie soutient le projet de l'Union de l'énergie et va essayer d'harmoniser ses propres projets en la matière conformément aux règles et aux principes européens, mais aussi selon les besoins régionaux d'approvisionnement. Pour le moment, les priorités de la Roumanie sont orientées vers l'exploration de ses propres ressources, les interconnexions avec les pays voisins, la diversification des sources et routes de transport et la mise en œuvre d'un mix énergétique équilibré. Dans ce contexte, même si le système actuel d'interconnexions n'est pas adéquat à l'importation du gaz algérien vers la Roumanie, nous sommes disposés à examiner de nouvelles options à l'avenir pour peu que les projets de développement des connexions européennes le permettent d'une façon compétitive. Q.O : L'Algérie a déjà trois gazoducs qui la lient à l'Europe, le 4ème étant programmé pour les relier à partir de la Sardaigne (Italie). L'Union européenne penserait-elle, selon vous, à demander à l'Algérie de pouvoir le rallonger vers les Balkans pour assurer l'approvisionnement de ses pays membres à l'Est ? C. L. Burlacu: Tout en tenant compte des besoins d'approvisionnement en énergie de l'Europe centrale et de celle du Sud-est, la Commission européenne a mis en place, avec les pays de la région, un groupe de travail (CESEC) chargé d'établir dans ce domaine une liste de projets prioritaires. Au cas où le projet dont vous parlez s'avèrerait important pour les pays consommateurs des Balkans et ceux de transit, il pourra être soumis à discussion au sein de ce groupe de travail ou dans une autre instance. La Roumanie est prête à prendre en considération toutes les initiatives régionales qui répondent aux critères de contribution à la stabilité régionale, à la diversification des sources, au respect des règles du marché intérieur de l'UE et à la compétitivité. Q.O : Il y a quelques mois, des Roumains ont manifesté leur refus de l'exploitation du gaz de schiste. Le sud algérien vit depuis plusieurs jours la même contestation. Pensez-vous que cette ressource est dangereuse pour l'équilibre environnemental ? La Roumanie a-t-elle tranché la question de son exploitation ou de son rejet ? Dans les deux cas de réponse quelles en sont les raisons ? C. L. Burlacu : Il est vrai que le sujet de l'exploitation du gaz de schiste est controversé et a suscité des débats dans tous les pays qui ont promu de tels projets. D'un côté, on entrevoit la perspective d'une indépendance énergétique, objectif important pour tout gouvernement et toute nation, mais d'un autre, on perçoit des inconvénients pour l'environnement qui, évidemment, inquiètent les populations. Si nous prenons l'exemple des Etats-Unis, l'exploitation du gaz de schiste a été un succès et a changé décisivement leur paradigme énergétique et économique. Mais les caractéristiques géographiques, géologiques, technologiques, législatives ou sociales liées aux gisements de gaz de schiste et à leur éventuelle exploitation sont bien diverses en Europe, en Asie ou en Afrique du Nord. Ce qui explique les réactions différentes de la part de l'opinion publique, des investisseurs et des autorités. En ce qui concerne la Roumanie, il y a eu seulement des explorations dont le résultat dans le contexte actuel marqué par la baisse des prix des hydrocarbures, n'a pas été encourageant en terme de rentabilité pour la principale compagnie étrangère impliquée. Ce qui l'a conduit à renoncer au projet pour le moment. De toute façon, le gouvernement roumain a toujours encouragé le dialogue sur le gaz de schiste, avec la participation de tous les acteurs concernés -la communauté d'affaires, le milieu académique, les autorités locales, les ONG- aux fins de trouver des solutions adéquates qui pourraient répondre, d'un côté aux besoins économiques du pays et d'un autre aux inquiétudes liées à la protection de la population et de l'environnement. Q.O : La Roumanie a des frontières avec l'Ukraine dont la crise avec la Russie pose de graves problèmes à L'Europe et divise le monde occidental. Comment Bucarest pourrait-elle contribuer à sa résolution ? C. L. Burlacu : Depuis son adhésion à l'UE et à l'OTAN, la Roumanie coordonne sa politique étrangère avec celle de ses partenaires. L'intérêt de Bucarest, comme celui d'Alger, est d'agir pour le renforcement de la sécurité et de la paix dans les zones frontalières. De ce point de vue, la promotion, dans la crise ukrainienne, d'une solution politique à même d'assurer l'unité et l'intégrité de l'Ukraine demeure une priorité. La diplomatie roumaine est particulièrement active dans les forums internationaux et dans les relations bilatérales, afin d'identifier, promouvoir et mettre en œuvre des initiatives susceptibles d'atténuer les tensions et favoriser la négociation d'une solution durable. En tant que membre de l'UE et de l'OTAN et partenaire stratégique des Etats-Unis, la Roumanie a joué un rôle actif dans l'élaboration de réactions communes et coordonnées face à l'annexion illégale de la Crimée par la Russie et son implication dans le conflit du sud-est de l'Ukraine. Nous avons contribué à l'effort commun de recherche des réponses les plus adaptées à la situation qui est de plus en plus préoccupante dans la région. En conséquence de la crise en Ukraine, la Roumanie a ajusté ses interactions bilatérales et ses contacts avec la Russie selon les décisions politiques prises par l'UE et l'OTAN. La Roumanie poursuit, cependant, principalement le développement de relations honnêtes et transparentes avec la Russie sur la base du respect de nos intérêts mutuels. Le dialogue est particulièrement important même sur les questions dans lesquelles nos positions ne coïncident pas nécessairement. La responsabilité de la Roumanie en tant que pilier de la stabilité régionale l'engage à appuyer les pays voisins, en vue de consolider l'Etat de droit et diminuer les risques et les vulnérabilités en matière de sécurité nationale et régionale. À cet égard, nous continuerons à soutenir, respectivement, au sein de l'UE, la voie européenne des partenaires de l'Est et la politique des portes ouvertes de l'OTAN. Q.O : La Roumanie n'est toujours pas dans l'espace Schengen. Pourriez-vous nous dire quelles en sont les raisons ? C. L. Burlacu : L'adhésion à l'espace Schengen reste un objectif important pour la Roumanie et nous restons fortement engagés à l'atteindre dans le plus court délai, ceci en tenant compte du fait qu'on remplit toutes les obligations requises par l'acquis européen en la matière. Nous entretenons un dialogue constant avec les autres partenaires européens afin d'obtenir le plus tôt possible une décision positive d'adhésion. Il est important de souligner, en même temps, que la Roumanie agit déjà comme un État Schengen de facto et, depuis son adhésion à l'UE, elle joue un rôle essentiel dans la gestion de la sécurité des frontières extérieures de l'Union. Q.O : Comment se porte l'économie roumaine après son passage devant le Fonds monétaire international (FMI) ? C. L. Burlacu : Depuis 2011, l'économie roumaine a renoué avec la croissance après qu'elle a connu une période de crise. En 2014, le PIB a augmenté de 2,9% et cette année on prévoit une évolution similaire. La croissance et les perspectives consolidées de développement économique, reconnues par les institutions européennes et celles financières internationales ainsi que par toutes les agences d'évaluation financière, ont souligné, y compris pour les investisseurs, le rôle de la Roumanie comme facteur de stabilité économique et politique dans une région marquée par des évolutions complexes. A cette trajectoire positive ont contribué aussi les relations traditionnelles avec le FMI, la Banque mondiale et autres institutions financières. Les programmes appliqués en collaboration avec eux ont produit des résultats déjà durant les années de transition d'un système économique très centralisé vers une économie de marché, et aussi dans la période de préparation pour l'adhésion à l'UE et pendant les années de crise financière et économique globale. Aujourd'hui, la Roumanie est liée seulement par un accord stand-by de type préventif de deux ans avec le FMI et la Commission européenne. Accord devant être finalisé en septembre 2015 et qui se concentre sur la continuation des réformes initiées précédemment. Q.O : Le phénomène de l'émigration illégale constitue une préoccupation pour les pays européens contre lequel ils peinent à trouver des solutions. La Roumanie participe-t-elle à ce «combat» ? C. L. Burlacu : La Roumanie soutient pleinement les efforts de l'Union européenne en matière de lutte contre l'immigration illégale. On a, cependant, constamment plaidé en faveur d'une approche coordonnée au sein de l'Union à travers les instruments qu'offre l'acquis communautaire afin d'apporter une réponse adéquate à ce défi, y compris à travers le dialogue et la coopération avec les pays d'origine. Tout comme illustré par les statistiques de l'Agence FRONTEX, la Roumanie n'est pas soumise à une pression migratoire et elle ne se situe pas sur la trajectoire des flux migratoires auxquels l'Union est confrontée actuellement. La Roumanie gère une bonne partie de la frontière extérieure de l'Union, ce qui fait que la gestion efficace et la surveillance attentive des mouvements à la frontière, ainsi que le suivi des évolutions en matière de migration, constituent des priorités majeures pour les autorités roumaines. Tout comme précisé auparavant, à notre avis, le dialogue et la coopération avec les pays d'origine sont aussi très importants afin de garantir l'efficacité de la lutte contre la migration illégale. On doit souligner, dans ce contexte, la très bonne coopération avec les autorités algériennes compétentes en la matière. Q.O : Un nombre appréciable d'Algériens pensent à aller étudier en Roumanie ou peut-être y transiter seulement. Y aurait-il des accords entre Alger et Bucarest qui réglementeraient ces flux ? C. L. Burlacu : La Roumanie prend note avec satisfaction que chaque année un nombre de plus en plus élevé de jeunes algériens choisissent d'étudier dans les universités roumaines. L'évolution est déterminée par plusieurs facteurs : la très bonne qualité de l'enseignement supérieur roumain, la latinité de la langue roumaine, qui est proche de la langue française (parlée couramment par les diplômés du cycle secondaire en Algérie), les frais de scolarité moins élevés, sans oublier la reconnaissance des diplômes dans l'UE. Les relations dans le domaine de l'enseignement représentent une composante bilatérale importante et nous agissons pour leur diversification et leur approfondissement. A cet effet, ces dernières années, avec l'appui du ministère algérien de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, nous avons agi en faveur de l'intensification des échanges inter-universitaires, au niveau de la formation des étudiants dans les doctorats et masters mais aussi le perfectionnement des professeurs. Nous encourageons également les étudiants roumains à terminer leurs études dans les universités algériennes. Q.O : L'Algérie a des traditions de médiation pour le règlement de graves conflits dans le monde. Elle a parrainé, dans ce cadre, le dialogue entre les protagonistes maliens et œuvre à le consacrer comme un moyen de sortie de crise entre les Libyens. Pensez-vous que le lancement par l'Onu de ce dialogue à partir de pays différents permet de coordonner les efforts dans ce sens et unifier les agendas qui semblent nombreux et surtout divergents au regard du nombre élevé d'intervenants ? C. L. Burlacu : La Roumanie a suivi avec intérêt et a apprécié les initiatives diplomatiques des autorités algériennes, du président Abdelaziz Bouteflika, visant la résolution des crises dans la région. L'Algérie est devenue un leader africain respecté qui, sur la base de sa propre expérience dans le combat contre le terrorisme, promeut des initiatives unanimement soutenues par la communauté internationale. Les succès notables des négociations inter-maliennes, ainsi que les efforts déployés auprès des leaders politiques et d'opinion libyens, renforcent la position de l'Algérie de promotrice de la paix et de la stabilité sur le continent africain et, en général, sur le plan mondial. Les solutions politiques négociées, basées sur le respect de l'unité et de l'intégrité des pays, et qui peuvent faire éviter les confrontations armées, doivent demeurer des objectifs prioritaires de la politique étrangère mondiale. J'apprécie que dans ce contexte de complexité de la situation interne en Libye, le représentant spécial du SG de l'ONU, Bernardino Léon, ait opté dans une première étape pour des négociations séparées entre les différentes composantes de la vie politique, sociale, tribale etc., susceptibles d'harmoniser les positions et d'identifier les priorités communes. Le fait que les négociations ont été organisées dans différents pays ne devrait pas être une entrave dans cette conjoncture où la stabilisation de la Libye est un objectif unanimement assumé et partagé par la communauté internationale. |
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