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«Ce qui fait la force d'une monnaie, c'est la puissance d'une économie». Une formule qu'aurait prononcé le président Richard Nixon lorsque, le 15 août 1971, il mit fin à la convertibilité du dollar en or et fait entrer le monde dans l'ère des changes flottants. Si cette formule est juste, la formule inversée est encore plus juste. «Ce qui fait la puissance d'une économie, c'est sa monnaie». Plus la monnaie d'un pays est stable, plus elle reflète son économie, plus cette monnaie est crédible. Toute la puissance d'une nation provient de sa monnaie et du désir des pays tiers d'en détenir. 1. L'?UVRE DU DOLLAR US DANS LA RECONSTRUCTION DE L'EUROPE Pourquoi alors le dollar a été au départ très stable après les accords de Bretton Woods de 1944 ? Puis progressivement il a été remis en question par les pays européens, pourtant alliés aux États-Unis, à la fin des années 1960 jusqu'à ce qu'il ne fut plus possible pour les États-Unis de maintenir la convertibilité à un prix fixe de 35 dollars pour une once d'or, ou 0,88867 gramme pour un $. Le processus vient précisément de la puissance de l'économie américaine. Il faut seulement rappeler le plan Marshall. On a beaucoup épilogué que l'Europe a beaucoup souffert de la guerre, les Européens ne mangeaient pas à leur faim surtout en Allemagne, un pays qui a été ravagé par la guerre. Qu'il y a un risque que les institutions démocratiques occidentales ne s'effondrent au profit de l'URSS communiste. Si tout cela est vrai, pourquoi le plan Marshall ne fut signé par le président Harry Truman que le 23 avril 1948 ? Soit trois années après la fin du Deuxième Conflit mondial. Quels risques couraient les régimes démocratiques européens quand, faut-il rappeler, les forces américaines étaient non seulement massées en Allemagne, mais aussi disséminées dans des bases un peu partout en Europe de l'Ouest. Surtout qu'à cette époque, l'Amérique était la seule détentrice de l'arme absolue (la bombe atomique) dans le monde. Ces motifs certes ont leur importance mais ne peuvent être considérés comme les vraies raisons du plan Marshall. Les vraies causes relèvent des questions d'ordre économique qui étaient d'une importance vitale pour l'économie américaine. Les États-Unis avaient connu une croissance économique fabuleuse durant la guerre. Replaçant les puissances occidentales en guerre, ils produisaient plus de 50% de la richesse mondiale pour seulement 6% de la population de la planète. A la fin de la guerre, la situation changeait complètement. Le monde entier était meurtri par la guerre, les puissances européennes endettées et leur industrie qui avait beaucoup souffert ont engendré une « absorption mondiale » à un bas historique tel qu'il n'avait laissé aucun choix à l'Amérique. « Aider le reste du monde ou renouer avec une nouvelle crise semblable à celle de 1929 ». Avec pour perspective une fermeture de pans entiers de l'industrie et des grands espaces agricoles, ce qui s'accompagne par des destructions de millions d'emplois en Amérique. Un dilemme se posait donc pour les stratèges économiques et décideurs américains. Et il ne restait qu'une solution pour maintenir l'emploi aux États-Unis, trouver des débouchés aux produits américains en aidant financièrement les Européens. C'est ainsi que le plan Marshall vit le jour, et consistait en octroi de l'argent à l'Europe, en partie sous forme de dons, et l'autre partie remboursable à des taux d'intérêt très faibles. En échange, les pays européens devaient consommer américain, c'est-à-dire d'importer des produits américains. « L'Europe et le reste du monde devenait donc « une locomotive », tirant l'économie américaine ». De plus, l'avantage que ce plan permettait fait que les dollars remis à l'Europe revenaient à la fin à l'Amérique puisque le client européen n'a été financé que pour acheter des produits américains. Et si des dollars avaient été dépensés pour acheter des produits autres qu'américains, ils finiraient eux aussi par revenir aux États-Unis pour acheter des biens américains. Et c'est par ce processus somme toute naturel que l'économie américaine va se redresser et avec elle l'économie mondiale. Et au sein de laquelle «les États-Unis n'étaient qu'un maillon certes le plus grand mais non moins nécessaire au puzzle économique mondial». Pour la simple raison que le processus économique entre les États-Unis et le reste du monde aura à changer. La reconstruction de l'Europe opérée grâce au plan Marshall et aux firmes multinationales qui se sont implantées dans le monde entier, en particulier en Europe de l'Ouest, et son essor, notamment les deux pays-phares, désignés sous l'appellation «miracle allemand» et «miracle japonais», vont changer complètement l'ordre économique mondial. Dès 1971, la formule inversée, c'est-à-dire que «Ce qui fait la puissance d'une économie, c'est sa monnaie» trouvera tout son sens dans les crises monétaires qui vont opposer les États-Unis aux pays européens. Le deutschemark, le franc, la livre sterling? déjà convertible depuis 1958, et les grands pays d'Europe qui se sont reconstruits, et regagné beaucoup d'or, pesaient de nouveau sur le commerce mondial. Ce faisant, ils remettaient en question l'hégémonie du dollar US. Que peut-on dire du dollar et des forces historiques qui ont obligé les États-Unis à aider l'Europe ? Que ces « Forces naturelles et le dollar ont rempli une partie de leur œuvre, la reconstruction de l'Europe et son retour sur le marché mondial », nonobstant les aspirations de domination des stratèges américains. Qu'en est-il de son autre œuvre ? C'est-à-dire de plus cent nouveaux Etats qui se sont constitués à la fin des empires coloniaux. L'architecture mondiale, faut-il rappeler, dès les années 1950, s'est radicalement transformée. Le bloc Est s'est posé comme contrepoids au bloc Ouest. Les pays du tiers monde se sont alignés à l'un ou l'autre pôle selon le choix de leur système politique. Une situation donc entièrement nouvelle à laquelle la superpuissance américaine comme l'Union soviétique ont, par l'équilibre de puissance qu'ils ont constitué, favorisé la croissance mondiale jusqu'au début des années 1970. Une époque dite les « Trente Glorieuses». 2. UN «PLAN MARSHALL INVERSE NATUREL». UNE NECESSITE D'UNE LOCOMOTIVE MONDIALE : L'AMERIQUE L'humanité opère en boucle. Les hommes ne se savent pas, mais ils sont tous solidaires d'une manière ou une autre. Les guerres opèrent aussi en boucle. La guerre du Vietnam a permis non seulement de montrer les limites de la superpuissance américaine, mais de montrer aussi que les pays d'Asie sont un tout. Comme d'ailleurs les guerres dans le monde arabo-musulman jouent un rôle considérable dans l'évolution du monde. On peut dénombrer trois types de guerre qui ont eu lieu au XXe siècle. Les Guerres occidentales qui se sont transformées en conflits mondiaux, les guerres asiatiques qui sont pratiquement terminées, et aujourd'hui les guerres arabo-musulmanes qui ne sont pas terminées et restent d'actualité. Mais tous ces conflits ont un rapport direct avec la transformation économique du monde. Pour cause, la guerre du Vietnam a accéléré la déliquescence de l'économie américaine au point que, par les injections monétaires massives opérées par la Réserve fédérale américaine pour soutenir l'effort de guerre, a précipité la chute du dollar. Les pays européens refusaient d'accepter des dollars qui n'étaient plus adossés au poids fixe d'or contracté par les accords de Bretton Woods. La guerre du Vietnam, si elle a été atroce pour le peuple vietnamien y compris pour les troupes américaines qui ont été entraînées à leur corps défendant, a été aussi salvatrice pour les économies du reste du monde « qui n'avaient de monnaies que parce qu'elles étaient ancrées au dollar américain». Comme l'ont été d'ailleurs les monnaies européennes, à leur époque. Le dollar américain était considéré «aussi bon que l'or», en américain «as good as gold». Sans dollar, ni l'économie européenne et japonaise ne se seraient rapidement construites, ni les pays nouvellement indépendants n'auraient rapidement édifié leurs nations. Le dollar a joué un peu le rôle de «bancor de John Maynard Keynes» dans la croissance économique mondiale. Et l'Amérique à qui il était donné de créer des dollars même ex nihilo, c'est-à-dire en excès aux stocks d'or de Fort Knox, jouait le rôle de «Banquier central du monde». Sans ces dollars ex nihilo, le monde n'aurait pas avancé. Il fallait bien «une locomotive mondiale pour tracter l'ensemble des économies du monde». Les États-Unis ont joué, à leur tour, le rôle de locomotive à l'instar de l'Europe qui le fut pour l'Amérique, en 1948, lors de la promulgation du plan Marshall. Nous avons donc eu là un «plan Marshall inversé naturel». Et comme il a été dit, «Le monde évolue bien en boucle.» Aujourd'hui c'est l'Europe, demain ce sont les États-Unis, après-demain, un autre acteur, ainsi de suite. Mais ce n'est pas tout, après les crises monétaires entre l'Europe et les États-Unis au cours desquelles les pays européens «voulaient mettre fin à ce nouveau type de plan Marshall», un nouvel ordre a transcendé les divisions internes entre des pays pourtant alliés. Les Européens ne savaient pas que s'ils avaient réussi à imposer leur diktat sur le plan monétaire à l'Amérique, et quand bien même seraient légitimes leurs revendications sur ce que Jacques Trueff avait appelé les «déficits sans pleurs», ou le général Charles de Gaule le «privilège exorbitant du dollar de l'Amérique», ils auraient fait «obstacle à l'avancée naturelle de l'économie mondiale». Sans le robinet monétaire de l'Amérique, le monde serait peu financiarisé. Nous aurons eu alors une formidable déflation mondiale qui aurait provoqué des destructions d'emplois par dizaines de millions en Occident et dans les pays du reste du monde. Ouvrons une parenthèse sur ce qui se passe aujourd'hui, en 2015, une «déflation mondiale se profile aujourd'hui», et elle n'est qu'à son commencement. Et déjà l'humanité ressent un marasme économique. «Que seront les années à venir avec un prix du pétrole bas et un robinet monétaire ouvert au compte-goutte ?» Fermons la parenthèse. *Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,Relations internationales et Prospective. A suivre |
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