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«Le monde ancien
se meurt, le nouveau tarde à voir le jour et dans ce clair-obscur surgissent
les monstres»
Antonio Gramsci, philosophe italien (1891-1937) En regardant un clip musical des années 70 de Nordine Staifi, j'ai été, l'espace de quelques minutes, pris dans les rets de nostalgie d'une époque où je n'étais pas encore venu au monde. C'était exactement le même choc que j'ai éprouvé en voyant une photo de trois femmes, l'air joyeux et les visages plein de bonhomie, se baladant sans être nullement dérangées en mini-jupes en plein cœur d'Alger dans la fin des années 60. Autres temps, autres mœurs! A l'heure où j'écris ces lignes, ma pensée reste obnubilée par les chemins escarpés, aussi ambigus que contradictoires les uns que les autres, qu'a empruntés mon pays depuis son indépendance jusqu'à nos jours pour arriver en fin de parcours à cette impasse dans tous les sens : moral, intellectuel, politique, gestionnaire... etc. Décidément, on ne peut plus occulter un fait qui saute clairement aux yeux, l'Algérie est un pays rongé par ses paradoxes. Un pays où il y a d'un côté, beaucoup de conservatisme et d'un autre côté un trop-plein de liberté, où il existe tant de richesses mais au grand malheur des masses autant de pauvreté et de détournements de fonds publics à des fins personnelles, où il y a si peu de «Lhnana», un déficit de tendresse comme l'a constaté avec lucidité le chroniqueur Chawki Amari et encore davantage de quant-à-soi, d'intolérance, d'égoïsme et d'individualisme tout azimuts. Que mes compatriotes ne déduisent ni ne comprennent par là que je suis en train de dénigrer gratis mon propre pays mais que, ravagé par une sorte de dégoût et de désenchantement intérieurs, je suis résolument décidé à en souligner les incohérences quitte à paraître aussi abrupt qu'un moralisateur ou aussi fade qu'un donneur de conseils. La réalité est ma foi qu'en Algérie, nous les jeunes, on souffre par trop de beaucoup de choses : à commencer par la hogra, le hittisme et la harga, en passant par ces scandales financiers nauséeux qui s'égrènent comme un interminable chapelet sur le dos du pays sans que les mis en cause aux plus hautes sphères de l'État ou dans les différents échelons de responsabilités subalternes ne soient réellement traduits en justice ou simplement inquiétés et, au final, en culminant par ces injustices sociales qui prennent plusieurs formes : corruption, passe-droits, clientélisme et favoritisme. Aussi, cette bureaucratie administrative et ce retard dans toutes «les réformettes» entreprises jusque-là par les autorités gangrènent le climat. En gros, nous sommes des jeunes oubliés et humiliés par nos responsables sur tous les plans. En réalité, bien que plutôt triste, ce n'est toutefois pas cette calamité humaine qui a le plus endeuillé mon cœur et suscité la trame de cet article mais, c'est incontestablement cette indifférence au destin de la femme, principal pilier de notre «Patrie-Maison». Sans l'ombre d'un doute, cela est plus qu'une grisaille qui brouille notre avenir collectif. Pour cause, l'entropie politique a fait en sorte que la société se recroqueville sur elle-même et vive négligée à la lisière de l'État. En conséquence de quoi, comme les responsables qui les gouvernent, les citoyens lambdas ne savent plus, eux aussi, là où ils vont ni quel système de valeurs entendent-ils construire à court ou à long terme ni moins encore sur quelles bases assiéra-t-on la société de demain. Bref, en Algérie, on vit au jour le jour et on ne sait jamais plus comment gérer notre destin sur ces trois plans interdépendants: familial, microsocial et macro-social. Bien plus, force est de constater qu'autant le régime politique est en constante dérégulation, autant la société est en dégénérescence pour le moins déprimante. Mais faisant table rase de tous ces indicateurs au rouge, pourquoi la femme chez nous est-elle toujours mise en marge de ce que l'on fait? A-t-elle vraiment accepté son sort tel que l'on lui a dessiné sans prononcer un traître mot? A-t-elle avalé sans protester les déluges de souffrances indicibles que lui a infligées la société, la nôtre bien sûr? Dans une interview accordée à un journaliste de l'Hexagone au tout début de son premier mandat, le président Bouteflika s'est plaint de la calcification des mentalités des nôtres et s'est dit, on s'en souvient tous, favorable à des réformes qui mettent en perspective le sort des femmes. Presque 13 ans plus tard, la situation est plus que déplorable, voire catastrophique dans certains de ses aspects. C'est tragi-comique! En Algérie, on oublie souvent que la femme forme partie du décor de notre vie quotidienne. A titre d'exemple, après 20H, les rues d'Alger, première ville du pays, donnent l'image d'une capitale où la population majoritairement masculine vit dans un désert culturel (manque de festivités, désordre, rareté des débats et de forums... etc). Dans la foulée, une femme qui marche la nuit est vite suspecte de débauche et est en butte à tout type d'agressions : physique, mentale, psychique. La peur du noir s'ajoute au délire misogyne. Les séquelles de la violence sécrétées par la guerre civile (1992-2000) dont l'Algérie a été le théâtre de par le passé se sont noyées dans «le triangle hybride» du conservatisme, la phallocratie et le machisme, hérités de la société paysanne traditionnelle. Le rétrécissement des perspectives du travail a accentué le phénomène de la délinquance juvénile. Ainsi la drague vulgaire qui frise l'agression physique (viol) ou verbale (insulte) est-elle devenue, devant l'indifférence sociale et «la culture d'anonymat» construite sur les débris d'une urbanisation irréfléchie et sauvage, monnaie courante dans nos rues. Dans les administrations publiques, faute de législation répressive et puisque la société des tabous prédomine, les femmes sont devenues la proie facile des harceleurs en tout genre qui agissent au grand dam de leurs victimes dans l'impunité la plus totale, se prévalant la plupart de fois de prétextes divers : supériorité hiérarchique, proximité avec les centres de décisions, influence, pouvoir de l'argent, protection, virilité. Plus grave encore, dans les médias officiels, le rôle de la femme se trouve folklorisé à l'extrême, on invite le plus souvent cette dernière pour chanter et danser mais plus jamais pour se poser des questions sur sa condition ni sur les défis qui l'attendent. Dans le même ordre d'idées, la torpeur générale dans laquelle est plongé le pays empêche toute avancée dans ce domaine. En ce sens que le discours officiel qui table sur le nombre de femmes ministres ou députées présentes dans les institutions étatiques néglige la réalité de l'intégration des femmes dans le tissu social, «n'est-il pas étrange, dirait le poète libanais Khalil Jabrane, de nous voir défendre nos erreurs que nos valeurs?». Il est clair que l'éclatement de la famille traditionnelle a généré dans son sillage une pagaille sociale qu'il est vraiment difficile de mettre en ordre d'autant que le destin des femmes célibataires, leur progéniture, les S.N.P (sans nom patronymique) et même les S.D.F est mis sous scellés, on n'en parle plus ou très peu de crainte de ne susciter les vieux démons d'une société aussi intolérante que conservatrice. De ma mémoire d'algérien, je n'ai jamais entendu un responsable de la DDASS (direction départementale des affaires sociales et sanitaires) intervenir dans les médias pour nous éclaircir d'abord sur les attributions de ce secteur ou par exemple nous donner des précisions sur les modalités de kafala ou de... l'adoption. etc. Incroyable, entre ce que l'on voit à la télévision nationale et ce que l'on constate sur le terrain, il y a tout un océan de différences et de contrastes. Cela tient plus à l'humour qu'à une description de vécu triste de nos mères, sœurs et filles, car en même temps que cette loi d'omerta imposée à l'univers des femmes fait son effet, les cités universitaires, si toutefois ce nom convient à ces grands bâtiments insalubres qui ressemblent à tout sauf à des lieux de savoir, se sont transformées en de grands espaces pour la vente des psychotropes et pire, en des parkings, la plupart de fois, ironise un comédien algérien sur le plateau de T.V Nessma, réservés pour des voitures acquises via l'A.N.S.E.J ! Maintenant on est en droit de s'interroger si le peuple algérien est malade, fainéant, inconscient ou tout bonnement schizophrène et machiste! Il va de soi qu'une société qui ne fasse pas une rigoureuse auto-critique d'elle-même risque de tomber dans le piège du narcissisme et parfois dans le syndrome de la schizophrénie. L'Algérie est, encore faudrait-il le rappeler ici, à la base un pays de paysannerie-rurale n'ayant pas encore pu atteindre le stade d'urbanisation. En ce sens, les résidus flottants de ce passé paysan ont imprégné une fausse ouverture néolibérale où le crédo de la consommation massive commence d'ores et déjà à faire partout des idoles. En conséquence, cela a crée le phénomène des fausses fortunes, lesquelles ont accompagné la libéralisation de l'économie rentière des «Souk Al-Fellah aux supérettes» et décimé par ricochet la classe moyenne. Malheureusement, ce culte du fric n'a pas été suivi d'une culture sociale qui la sous-tend. Nos patrons ou ceux qui prétendent l'être n'ont pas assez de culture d'entreprise, du dialogue et d'adaptabilité sociale. Il y a, si j'ose dire, une frime sociale acceptée et par les citoyens et par la société dans son ensemble. C'est pourquoi, la pudeur dont est caractérisée la famille algérienne s'érode au fur et à mesure que celle-ci se met en contact avec le monde moderne. Pour s'en convaincre, il suffit de faire un simple jogging matinal du côté de la forêt de Bouchaoui ou du parc d'attraction de Ben Aknoun (la banlieue algéroise) ou mieux encore devant le front de mer oranais pour se faire une petite idée du niveau du savoir-vivre algérien de ces dernières décennies. Ces lieux de quiétude et de tranquillité sont infestés de dealers, de cambistes, de proxénètes et de voyous en tout genre. Il est certain que l'évolution sauvage de l'Algérie de ces dernières années ayant accouché de la fameuse génération de «tchi tchi» a rétamé de fond en combles les normes collectives de la société algérienne. Désormais, le phénomène du voile massif qui est, notons-le au passage, une substitution archaïque du haïk et du foulard traditionnel marque, on ne sait plus comment d'ailleurs, l'esprit du premier débarqué dans les grandes villes algériennes. Du coup, le vocable de «bent familiya» revient sur tous les lèvres non en raison du comportement exemplaire, de piété ou du sérieux de la jeune fille concernée mais tout particulièrement en raison du voile qu'elle met sur son corps. Fait incompréhensible, le voile perçu dans l'imaginaire social comme une classification normative entre le bien et le mal ne trouve plus la même signification symbolique sur les lieux du travail. Il y a beaucoup de femmes qui rangent une ribambelle de diplômes dans les tiroirs sans pouvoir être toutefois embauchées nulle part parce qu'elles portent tout simplement le voile. On dirait que l'algérien a une double mentalité qui le jette dans une «identification sociale», toujours en flottement. Paradoxalement, l'islamisation graduelle des mœurs a été rythmée par une occidentalisation radicale des pensées ! Dans les grandes villes, les filles édulcorent leurs paroles par la langue française, une façon pour elle de casser les tabous en douceur. En revanche, sur les réseaux sociaux, très peu de filles algériennes montrent leur photo de profil contrairement aux filles des autres pays maghrébins comme la Tunisie ou le Maroc à titre d'exemple. A ce propos, une remarque s'impose : en Algérie, le français qui se démode un peu partout ailleurs se voit confirmer son statut d'outil de promotion sociale à part entière. Du coup, quiconque parle la langue de Molière est susceptible d'appartenir à la nomenclature riche, émancipée et ouverte. C'est vraiment grave, même dans les hautes sphères de l'État, le français est la langue d'usage privilégiée alors que l'on nous serine sans cesse et depuis des lustres la nécessité d'arabiser le pays! Néanmoins, concernant les femmes, un fait attire mon attention, les journaux arabophones, pourtant censés plus conservateurs, sont plus enclins à traiter des questions de l'intimité du couple, de la virginité, de l'inceste et du divorce que leurs confrères francophones. Il est vrai par ailleurs que le mouvement féministe en Algérie, si tant est qu'il en existe un, se réduit à un ensemble hétéroclite d'associations et d'organismes budgétivores qui servent le plus souvent de caisse de résonance à des slogans politiques creux lors des échéances électorales. La femme algérienne, ses préoccupations et ses soucis n'y sont jamais abordés ni pris en compte ni de près ni de loin. Ainsi, l'identité culturelle et l'identité religieuse de celle-ci sont mélangées dès lors que l'on ose parler de l'évolution de son statut comme si tout l'honneur de la société y est lié. Il est clair que l'inconscient collectif dominé par de stériles stéréotypes laisse encore persister une vision péjorative et réductrice de la femme en Algérie. Autant dire, la femme est toujours vue comme un être mineur auquel il faut toujours une tutelle. A ce titre, la réprobation sociale avec laquelle on conçoit le phénomène du viol en Algérie est d'autant plus forte que, paradoxalement, la femme qui en est victime reste confinée dans une posture mesquine de pestiférée et de marginale. Ce qui se passe au regard de ce problème dans les établissements hospitaliers est digne de la mauvaise comédie humaine. Non sans amertume, une collègue à moi, m'a affirmé dernièrement qu'à l'hôpital psychiatrique «Fernane Hanafi» de Oued Aissi à Tizi Ouzou, les diagnostics médicaux sont les mêmes pour tout le monde. Jusque-là, il n'y a rien de spécial, lui aurais-je répliqué, dépité. C'est là qu'elle m'a livré le fond de ses pensées en me précisant que le climat inhumain à l'intérieur des pavillons fait très peur et qu'invraisemblablement, «les cas soç» les plus dramatiques de la société, parmi lesquels on trouve, figurez-vous bien, des femmes violées, battues, victimes de violences conjugales ou extraconjugales, célibataires/enceintes sont jetées parmi la foule des malades mentaux et des cas psychiques par leurs familles ou proches qui, eux, craignent de n'être indexés du manque d'honneur/nif ou d'immoralité! Si désolant et si inhumain soit-il, ce tableau noir qu'il m'a été donné d'entendre brosser devant moi ne m'a fait que davantage blesser! L'incompréhension et l'hypocrisie de notre société, du reste, très dure en matière de mœurs s'est conjuguée à l'incompétence et à la gestion chaotique du ledit établissement voire au manque de pédagogie de sa direction. Un fait pareil sous d'autres cieux sera puni avec toute la rigueur possible de la loi. En Algérie, une femme qui commet une erreur la paie très cher sans que nous nous penchions sur les vrais problèmes qui l'y ont poussé. Qui d'entre nous ne sait pas que le milieu adolescent par exemple est un terrain propice à toutes les anomalies et à tous les dérapages. Et pourtant, rares sont les lycées où l'on trouve des conseillers pédagogiques et si ceux-ci existent, ils ne font pas leur rôle correctement ou s'attèlent uniquement aux résultats des examens, planning scolaire, restauration sans se pencher sur les problèmes familiaux, les crises passionnelles et les troubles de l'élève-lycéen. Apparemment, la cherté de la vie, la galère de nos concitoyens et l'inconscience sociale n'ont pas laissé de champ libre au traitement des problèmes provoqués par le monde moderne. Le constat est donc irréfutable: L'Algérie a changé (négativement ou positivement) mais les mentalités restent toujours les mêmes. En revanche, il est un fait incontestable, ces derniers temps, grâce à son courage, la femme algérienne a su ou pu remplacer dans certains cas l'homme (père, frère, mari ou parent) comme soutien de famille. En plus, aux secteurs d'activité traditionnellement convoités par la gent féminine tels que l'éducation et la santé s'ajoute un créneau réservé par nature aux hommes : la sécurité. Dernièrement, de plus en plus de femmes s'enrôlent volontairement dans les rangs de la police. En réalité, bien que la féminisation progressive de ce corps d'État soit considérée comme une avancée en soi et surtout comme un bon signe pour l'assouplissement du climat tendu de la rue algérienne, il n'en reste pas mois qu'elle soit timide à plus d'un égard. Les remarquables avancées en ce domaine de nos voisins marocain et tunisien nous relèguent en second rang. Restons toujours dans le même registre, à la fin des années 90, beaucoup de femmes ont choisi le chemin de l'exil fuyant le terrorisme afin, soit de poursuivre des études à l'étranger ou pour des opportunités de travail diverses. Au final, l'avènement de la société des services a vu l'accroissement progressif du nombre des femmes exerçant dans l'hôtellerie, les complexes touristiques et les métiers de vente. Aujourd'hui en Algérie, l'âge du mariage a avancé. Sans doute, la cherté de la vie et l'accès difficile au logement en milieu urbain en ont découragé plus d'un. Les officiels de notre pays ont du pain sur la planche concernant la gestion de ce phénomène dans l'avenir et ont intérêt à regarder de plus près la réalité de la condition féminine en Algérie. En attendant Godot et que ce souhait soit exaucé, je dirais à toutes les femmes de mon pays bonne fête d'avance. *universitaire |
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