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Cette sorte de
passe d'armes qui vient d'avoir lieu entre deux ministres d'un même
gouvernement laisse perplexe le citoyen lambda. Celui-ci reste en effet dans un
flou brouillardesque en ce qui concerne la gestion de la manne pétrolière de
son pays, flou compliqué par les scandales financiers à répétition qui
n'arrangent pas les choses.
Temmar Abdelhamid, ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements, veut rapatrier les réserves de change placées dans des banques étrangères «pour relancer l'industrie». M. Karim Djoudi, ministre des Finances, qui n'est pas de cet avis, eut une vive réaction épidermique contre cette idée, laquelle réaction ressemble beaucoup à «une réponse du berger à la bergère» qui traduit un «niet» carré, autrement dit une fin de non-recevoir qui semble irrévocable. Mais il n'y a pas que cela. M. Djoudi a l'air de dire à M. Temmar que ce dernier est complètement à côté de la plaque, dans la mesure où une bonne partie de ces réserves de change «se trouve» déjà en Algérie sous forme de dinars : «On investit déjà nos réserves de change en monnaie locale? », dit M. Djoudi. Pourtant en économiste averti et en tant que membre du même gouvernement, M. Temmar pouvait-il ignorer une pareille donne ? A savoir que la planche à billets tournerait justement en fonction du volume des réserves de change !? Il est évident que les avis diamétralement opposés des deux ministres sèment la confusion dans l'opinion par le manque de transparence et demeurent incompréhensibles pour le commun des Algériens et même pour certains initiés en matière de finances publiques. Classiquement, la masse d'argent en monnaie nationale (monnaie fiduciaire: basée sur la foi en le papier monnaie) circulant dans un pays donné est supposée être l'équivalent d'un certain stock d'or détenu par la banque centrale dudit pays. Toute émission de billets au-delà du poids dudit stock d'or provoquerait automatiquement de l'inflation. Ceci pour une théorie très réductrice de la chose. Si maintenant le stock de réserves de change en devises fortes est considéré comme de l'or placé, ceci autoriserait de facto la Banque centrale à émettre de la monnaie à hauteur de ces réserves de change combinées avec la valeur du stock d'or existant. Cela se fait-il ? Le problème est que les deux «étalons» (paramètres) l'or et le dollar en particulier subissent des fluctuations continuelles: l'or en hausse constante et le dollar souvent en baisse. En fait, ce dernier obéit depuis 1971 à un système de change flottant après avoir subi de fortes pressions. En effet, du fait de sa vulnérabilité et une baisse de sa valeur notamment après la guerre du Viêt Nam, les Américains avaient décidé sous le président Nixon que leur devise ne serait plus convertible en or mettant ainsi le monde devant un fait accompli. Ils avaient craint que de fortes demandes d'or ne se présentassent en échange de leurs dollars. Ce diktat étasunien mit à mal tout le système financier échafaudé à Bretton Woods en 1945 puisque toutes les monnaies étaient déterminées par référence à un certain poids d'or. Devant cette décision unilatérale, des protestations s'élevèrent de la part des grandes puissances. On essaya de trouver un compromis pour sauver le système. Celui-ci donna lieu à plusieurs réunions où prenaient part la CCE, les Etats-Unis, la Suède, le Canada et le Japon. Ces réunions aboutirent à ce qu'on appela « les accords de Washington » en décembre 1971 avec une dévaluation du dollar. Tout ceci pour dire que les Etats-Unis ont été et demeurent le maître de jeu de la finance et de l'économie mondiale. D'ailleurs pour signifier cette hégémonie aux autres puissances et au monde, John Connalay, le secrétaire américain au Trésor de l'époque, eut cette formule : « the dollar is our currency and your problem » (Le dollar est notre devise et votre problème). De Gaule en son temps, en quittant l'OTAN n'avait-il pas dit que «les Américains agissaient comme un croupier de casino: ils gardaient l'or pour eux et donnaient des jetons (les dollars) au monde pour jouer». Ces puissances avec les Etats-Unis en tête représenteront encore et pour longtemps le «Centre ». L'Algérie malgré ses hydrocarbures se trouve dans la périphérie lointaine. Elle ne peut faire «fructifier» ses revenus pétroliers qu'en ce «Centre» dont elle dépend étroitement qu'elle le veuille ou pas. Néanmoins, les Algériens qui sont les véritables propriétaires de leurs réserves de change sont en droit de savoir quel est leur montant, comment elles sont gérées, où et comment elles sont placées, à quel taux et dans quelles devises, et combien elles rapportent. La Banque d'Algérie qui est chargée exclusivement de cette gestion en vertu de la loi sur la monnaie et le crédit, et qui est aussi l'Institut d'émission de la monnaie, ne devrait-elle pas éclairer le public sur cette affaire ? S'il est vrai que les marchés des hydrocarbures sont conclus avec le dollar US comme unité de compte, même si on ne peut l'éviter on ne peut que le déplorer dans la mesure où cette devise est en constante dévaluation depuis plusieurs années. En effet si l'on considère seulement la période entre 2000 et 2007, le dollar US a perdu environ 40% de sa valeur (50% par rapport à l'euro), ce qui est d'autant un manque à gagner pour le pays, surtout si l'on sait aussi que le placement des réserves de change se fait à de faibles taux (bons du Trésor ou/et obligations). En quelque sorte, avec la dévaluation du dollar on perd d'une main ce que l'on gagne de l'autre, même si, on présuppose que «nos placeurs» ont l'intelligence de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier (diversification des banques de placement et des devises). Pour M. Temmar, grosso modo il faut rapatrier ces fonds pour booster les investissements industriels et attirer les IDE non pas tant pour les investissements eux-mêmes mais pour bénéficier de l'apport du savoir-faire et des nouvelles technologies qui en découlent. Nonobstant ce qui vient d'être dit sommairement sur la monnaie et du système monétaire, est-il vraiment nécessaire de rapatrier les fonds des réserves de change ? Dans la conjoncture actuelle, tout le monde sait que l'Algérie est riche et est donc solvable possédant « un matelas » plus que confortable de 147 milliards de dollars US au 1er mars 2010, qui, plus est, il s'agit d'un pactole en constante progression vers la hausse ! Dès lors, si les investisseurs étrangers ne se bousculent pas au portillon c'est que le problème est ailleurs. Plus prosaïquement ce n'est pas un problème d'argent. Pour revenir aux réserves de change, on peut se poser la question de savoir si cette formidable manne placée dans des banques étrangères, encoure quelques dangers de dissipation en rapport avec la crise ayant secoué le monde en octobre 2008, laquelle crise n'a pas dit son dernier mot, qui semble s'installer pour durer et même pour perdurer. En effet, le monde stupéfait a été témoin d'une cascade de faillites de plusieurs grandes banques et de l'effondrement comme des châteaux de cartes de firmes d'envergure mondiale que personne ne pouvait soupçonner en état de fragilité, telle la General Motors par exemple. Il est vrai que quelques-unes ont été sauvées in extremis par la volonté des dirigeants des pays concernés, grâce à des fonds publics et ce, pour éviter l'écroulement de leurs économies respectives. Ce qui, en soi, est inédit, voire sans précédent dans l'histoire de l'orthodoxie capitaliste. Mais ce replâtrage en catastrophe ne veut pas dire que «la maison capitaliste» s'est consolidée et est hors de danger. Loin s'en faut. En effet, en décembre 2009, il y a donc à peine trois mois, les Allemands qui savent de quoi ils parlent, ont mis en garde le monde sur la prochaine crise financière mondiale. Le journaliste Peter Schwarz rapporte que dans les hautes sphères des milieux politiques allemands, la crainte d'un second krach financier international dépassant en intensité et en impact celui de l'automne 2008 augmente de jour en jour. La chancelière Angela Merkel et le ministre des Finances Wolfgang Schauble ont mis en garde que la crise économique était loin d'être terminée. «Nous avons tout d'abord limité les effets de la crise sur les gens, mais le plus dur est à venir», avait dit la chancelière lors d'une réunion de son parti le CDU. Quant au ministre allemand des Finances, il a comparé la crise économique à la chute du mur de Berlin: «La crise économique changera le monde aussi profondément que le fit la chute du Mur de Berlin. L'équilibre entre les Etats-Unis, l'Europe et l'Asie est en train de se déplacer radicalement ». Par ailleurs, le représentant de la Banque centrale européenne, Jean Claude Trichet, a émis des craintes en ce qui concerne l'effondrement social en cas d'une nouvelle série de faillites bancaires: «Il est certainement trop tôt pour dire que la crise est finie», a-t-il déclaré lors d'un congrès bancaire à Francfort en ajoutant l'avertissement suivant: «Nos démocraties n'accepteront pas une seconde fois de voler au secours de l'économie financière avec l'argent des contribuables». Avec quel argent alors ?! Nous venons actuellement de connaître le cas très significatif de la Grèce qui connaît des troubles sociaux considérables. Avec un déficit de 54 milliards de dollars US ce pays n'a pas réussi à susciter la compassion de ses pairs de l'Union européenne pour lui venir en aide. La solidarité escomptée par le gouvernement grec n'a pas fonctionné et l'Allemagne a été le pays le plus dur, le plus intransigeant pour abandonner « à son triste sort » ce pays, petit pays du sud de l'Europe, membre à part entière de l'UE. Au moment où ces lignes sont écrites, l'Union européenne qui ne finit pas de tergiverser n'a pas encore trouvé (ou ne veut pas trouver) de solution pour aider la Grèce à s'en sortir. Celle-ci dépitée et lasse de « tendre la main à ses frères » s'apprête, à son corps défendant, à s'acheminer vers les fourches caudines du Fonds monétaire international. Après la Grèce, est-ce aussi le Portugal ? Pour reprendre un titre du journal Le Monde : « Le scénario de contagion est en marche », comprendre : vers les maillons fragiles de la zone euro. Force est de croire qu'il s'agirait d'un monde sans pitié où il n'y a pas de place pour les faibles. Moralité : celui qui tombe doit se relever tout seul au risque de disparaître. Ceci dit, ce serait subir l'illusion d'une mystification de croire que les réserves de change de certains pays déposées dans les banques centrales des principaux pays capitalistes, tout comme l'argent du contribuable de ces mêmes pays, n'ont pas servi à secourir des institutions financières en banqueroute et des entreprises privées en déperdition et ce, au plus haut de degré de la crise de l'automne 2008. Selon la même source, l'énorme bulle spéculative qui s'est formée sur les marchés d'actions au cours de ces huit derniers mois est considérée être le plus gros facteur de risque d'un nouveau krach. Les indices boursiers les plus importants, le Dow Jones, le Nikkei japonais et le DAX allemand, ont grimpé de 50 à 60 pour cent depuis mars 2009. Les cours du pétrole brut, du cuivre et d'autres matières premières ont plus que doublé. Ces énormes augmentations ne sont fondées sur aucune croissance économique correspondante. Au contraire : l'activité économique a chuté dans de nombreux pays et de nombreuses entreprises affichent encore des pertes. La montée des cours est due à la quantité énorme de liquidités que les gouvernements et les banques centrales ont injectée dans l'économie. Les institutions financières sont en mesure d'emprunter à taux d'intérêt quasi nuls des sommes d'argent illimitées auprès des banques centrales et de réaliser ainsi des gains spéculatifs considérables. De même, les milliers de milliards provenant de l'argent des contribuables et qui ont été dépensés pour renflouer l'économie ne sont pas utilisés pour des investissements mais sont destinés à des activités spéculatives, à l'octroi de dividendes élevés aux actionnaires et au versement de bonus exorbitants aux banquiers. Evidemment, cette situation plus qu'aléatoire, voire hasardeuse de l'économie mondiale n'est pas faite pour dissiper l'inquiétude des pays qui se sont constitué des « réserves de change » ou des « fonds souverains » avec les richesses de leurs peuples, et ne pourraient par conséquent se sentir en sécurité. Ceux qui ne sont pas parties prenantes du système mondiale comme la Chine, l'Inde ou certaines monarchies du Golfe, devraient se tenir sur leurs gardes et les risques concernant les fonds qui leur appartiennent dans les banques occidentales sont loin d'avoisiner le zéro malgré les garanties données par les Etats d'accueil. Un pays comme le nôtre, mono-exportateur d'hydrocarbures et importateur de tout, privé de ses stocks de change en cas de grands bouleversements financiers mondiaux, peut se retrouver du jour au lendemain confronté aux affres de la famine. Par ailleurs et à toutes fins utiles, il y aurait lieu de distinguer entre «réserves de charge» et «fonds souverains». Les réserves de change placées auprès des banques centrales occidentales sont du pain bénit pour les pays d'accueil : le service de l'intérêt est généralement insignifiant (entre 0,25 et 1,25 %) par rapport à leur utilité, puisqu'elles assurent un financement quasi gratuit de l'économie du pays d'accueil. En outre, généralement l'intérêt servi est annihilé par l'inflation voire la dépréciation inexorable dans le temps de la devise dans laquelle elles sont placées en particulier le dollar US ; pour l'euro un peu moins. Les réserves de change sont en quelque sorte des fonds « passifs » : non seulement ils sont utiles au pays d'accueil mais ne représentent pour lui aucun danger, bien au contraire, et au risque de nous répéter, elles entrent dans la synergie des moyens financiers qu'il utilise pour renforcer son économie. Sauf en ce qui concerne le Japon qui pratique une politique autre, sortant de cette vision financière classique. Innovant, il utilise ses réserves de change dans une politique déflationniste efficace. Pour les « fonds souverains » il en est tout autrement. Ceux-ci peuvent être utilisés dans une dynamique financière « agressive » mais à risques. Néanmoins ils boostent la mondialisation de l'économie. Ils peuvent être utilisés pour l'acquisition de parts de capitaux dans des entreprises importantes, voire dans des entreprises stratégiques du pays d'accueil et dans des multinationales et à ce titre ils sont considérés comme « dangereux » non pas directement pour l'économie du pays mais pour sa souveraineté. Pour ne citer qu'un exemple pas très loin de nous : les Etats-Unis ont essayé en 2005 d'interdire à la Dubaï Ports World d'acquérir 5 terminaux portuaires qualifiés de « stratégiques » par certains sénateurs républicains, une réaction paradoxalement protectionniste. Enfin, un tri par taille des réserves de change effectué en 2008 par le Fonds monétaire international classe l'Algérie au 10ème rang mondial en donnant le détail suivant en milliards de dollars US : 149 (janvier) + 88 milliards dans les fonds de régularisation des recettes. |
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