|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Depuis des années, la gestion
des communes en Algérie est marquée par une confusion des responsabilités et un
manque de coordination entre les niveaux administratifs, entraînant de
nombreuses inefficacités et laissant les maires dans une position délicate :
certains dépassent leurs prérogatives sans encadrement, tandis que d'autres
sont privés de toute autonomie.
Dans ce contexte, la création d'une commission pour réformer le code communal, présidée par l'ancien ministre de l'Intérieur Dahou Ould Kablia, est une initiative bienvenue. Elle offre l'espoir de solutions concrètes aux problèmes qui minent la gouvernance locale et cherche à instaurer une organisation plus cohérente et efficace. Clarifier les rôles pour renforcer l'autonomie des élus locaux L'une des priorités de cette réforme pourrait être de clarifier les rôles des élus locaux et des autorités administratives. Actuellement, les responsabilités des maires sont souvent confondues avec celles des représentants de l'État, ce qui limite leur pouvoir et les infantilise. Pour permettre aux maires de réellement agir au service de leurs citoyens, il est essentiel de leur redonner une véritable autonomie, sans interférence constante des Walis, chefs de Daïra, ou autres fonctionnaires subalternes. Il serait également pertinent de doter les élus locaux d'un pouvoir décisionnel renforcé, accompagné de mesures garantissant la transparence et l'obligation de rendre compte de leurs actions. Les maires pourraient ainsi devenir de véritables chefs de l'exécutif local, capables de répondre aux besoins des citoyens de manière autonome et efficace. Le défi d'une gestion urbaine efficace Clarifier les responsabilités des maires et redéfinir leur rôle est une étape importante, mais loin d'être suffisante pour assurer une gestion urbaine efficace. Sur le papier, les maires pourraient disposer des moyens et compétences nécessaires pour gérer leur commune, mais, sur le terrain, la réalité est toute autre. Les limites apparaissent rapidement. Certains maires, qu'ils n'aient aucune formation spécifique ou qu'ils soient diplômés en bâtiment, ou même formés à l'École Nationale d'Administration (ENA), se heurtent tous à la complexité de la gestion urbaine. Ils doivent relever des défis concrets, allant de la gestion des services publics à la coordination des infrastructures, en passant par l'amélioration de la qualité de vie des citoyens. Un ancien élu m'a récemment confié que, bien souvent, le rôle du maire se réduit à des tâches comme la «gestion des déchets et l'entretien des routes». Cette vision étriquée est éloignée des réalités d'une gestion urbaine moderne. Les maires doivent être prêts à relever des défis variés qui demandent des compétences diversifiées, allant bien au-delà des missions basiques. La plupart des maires, cependant, se trouvent piégés dans une bureaucratie pesante qui les éloigne des enjeux réels du terrain. C'est pourquoi il est crucial de renforcer leurs compétences par des moyens concrets et pratiques. Une formation solide est indispensable pour leur permettre de surmonter les obstacles qu'ils rencontrent quotidiennement. Si la commission de réforme se contente de clarifier le rôle administratif des maires sans aborder de front les défis de terrain, elle risque de rester inefficace face aux besoins concrets des communes. Une véritable transformation passe par l'action, par le renforcement des capacités, et par l'adaptation des outils disponibles, afin que les maires puissent pleinement assumer leur mission de service public. L'étalement urbain un obstacle à une gestion locale efficace Un autre défi majeur paralyse la localité et, par conséquent, les élus : celui d'un urbanisme fondé sur l'étalement urbain. Cela pose deux problèmes principaux. D'une part, le maire se retrouve dans l'incapacité d'intervenir dans le choix des terrains, l'esthétique urbaine, et la gestion globale de ces nouveaux espaces. D'autre part, il est contraint d'assumer les conséquences des constructions imposées, notamment en matière de besoins supplémentaires en équipements, en infrastructures de circulation, et en services publics, sans avoir eu son mot à dire sur la planification initiale. Non seulement il n'a pas le droit d'émettre un avis, mais même lorsqu'il en a un, il est forcé de se plier à des décisions centralisées, tant sur le fond que sur la forme de la réalisation. Pour véritablement transformer la gestion locale et adapter la gouvernance aux besoins concrets des communes, deux grands chantiers doivent impérativement être lancés : la refonte de l'idéologie urbanistique et la mise en place d'une tutelle adaptée à la localité (ville ou village). Ces deux chantiers sont indispensables pour dépasser les limites d'une simple réorganisation administrative. Ils visent à donner aux autorités locales les moyens d'assumer pleinement leurs responsabilités, tout en construisant une gouvernance locale qui soit plus proche des besoins réels des citoyens. Premièrement, repenser l'idéologie urbanistique est essentiel pour mettre fin à un urbanisme déconnecté des réalités locales. L'étalement urbain sans planification cohérente ni concertation avec les élus locaux a donné naissance à des villes et des villages mal structurés, difficiles à gérer, et incapables de répondre aux besoins des citoyens. Le problème fondamental est l'approche fonctionnaliste qui segmente les espaces en zones résidentielles, commerciales, et industrielles distinctes. Cette vision rigide crée des lieux sans cohésion, empêchant une intégration harmonieuse et rendant les espaces inadaptés aux attentes des habitants. Ces extensions, ajoutées sans plan et sans vision globale adaptée à chaque localité, nuisent à la cohérence urbaine et produisent une uniformité stérile et inefficace. Pour surmonter ces défis, il est essentiel de prendre en compte la spécificité et le caractère unique de chaque ville ou village, et de les concevoir comme des espaces vivants où toutes les fonctions (logement, commerce, services, et espaces verts) s'intègrent harmonieusement. Encourager des quartiers ou centres mixtes contribuerait à améliorer la qualité de vie des habitants et à renforcer la cohésion sociale. Ce changement de paradigme nécessite une vision collective de l'aménagement, plaçant l'humain et la participation citoyenne au cœur des décisions. Chaque commune doit s'adapter aux évolutions démographiques, favoriser des mobilités douces, et garantir un accès équitable aux services. En adoptant une approche plus humaine et inclusive, les espaces peuvent devenir des lieux dynamiques, propices aux interactions et réellement alignés sur les attentes de leurs habitants. Deuxièmement, la mise en place d'une tutelle adaptée est cruciale pour fournir aux maires les moyens d'action dont ils ont besoin. Actuellement, la centralisation des décisions prive les maires de la possibilité d'intervenir et de proposer des solutions locales adaptées. Une tutelle spécialisée, en lien direct avec les réalités de chaque commune, est nécessaire pour renforcer les capacités des élus grâce à des outils concrets et un soutien approprié. Pour que la refonte urbanistique soit réellement efficace, la gouvernance locale doit également être revue. Alors que le maire dépend aujourd'hui du ministère de l'Intérieur, la commune devrait, quant à elle, relever d'une entité ministérielle distincte et spécialisée. Cette nouvelle tutelle permettrait de soutenir le rôle des maires en leur fournissant les ressources et l'appui nécessaires, aujourd'hui largement insuffisants. Cela inclurait l'adoption d'un Plan Local d'Urbanisme (PLU), et l'établissement d'une démarche pragmatique et structurée pour mener à bien les projets de développement. La création d'un ministère dédié à la Localité ou à la Ville s'avère donc essentielle pour soutenir ce changement, car la tutelle actuelle est inadaptée aux exigences d'une gestion moderne et cohérente des villes. Une telle réforme redonnerait à chaque ville et village leur véritable importance, contribuant à un urbanisme équilibré, maîtrisé, et capable de répondre aux enjeux contemporains. Conclusion Repenser le rôle des élus locaux uniquement sous l'angle administratif, sans une politique urbaine ambitieuse ni une tutelle capable de leur fournir des outils concrets, reviendrait à faire reculer la gouvernance locale. Comme le disait si bien le receveur de notre bus : avancer en arrière. Pour que cette réforme ait un véritable impact, il est indispensable de dépasser de simples ajustements administratifs et de transformer en profondeur la gestion urbaine et la gouvernance locale. *Architecte Urbain |
|