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Où va l'Algérie ? Essai de Mohamed Boudiaf. Tafat Editions, Alger 2013,
244 pages, 500 dinars
Mohamed Boudiaf, un révolutionnaire et un socialiste sans concessions ? Il l'était, tout particulièrement durant les premières années de l'indépendance du pays. Il a même créé un parti d'opposition, le P.r.s. Mais, légaliste par dessus tout, voulant surtout lutter contre le pouvoir personnel. Et, adepte d'un socialisme scientifique réel et non «spécifique» et empirique, l'islam, pour lui, ne contredisant en aucun cas le besoin de plus de justice, plus de liberté et l'émancipation de l'homme. Des qualités qui, à l'époque, n'étaient guère appréciées par ceux qui voulaient alors, profitant de la fatigue et de la lassitude du peuple, s'approprier le pouvoir, tout le pouvoir, faisant fi de toutes les résolutions politiques. Ce qui lui valut (avec d'autres compagnons) bien des déboires. La haute surveillance, le harcèlement, les accusations de toutes sortes (n'y manquait plus que celle de «collusion avec le sionisme»), l'enlèvement par les hommes de main du «groupe de Tlemcen» et la prison durant presque cinq longs mois dans le Grand sud à Tasbit, (camp Lotfi), à Béchar, puis à Saida, dans des conditions innomables, la faim, la soif, le manque de soins, l'isolement au grand secret, les grèves de la faim (42 jours au total)... l'absence d'informations sur le pays, sur la famille et les camarades, la torture morale entraîné par le sentiment d'abandon, tant par les geôliers que par la classe politique de l'époque... C'est ce qu'il raconte dans son livre-essai, à travers un «journal de bord»... avec, en plus, tout un chapitre consacré aux «Perspectives». L'auteur : Natif de M'sila en 1919, militant de la première heure pour la liberté du pays (Ppa-Mtld avant de mettre sur pied l'OS), il forma le C.r.u.a en 1954 et fit partie des «5» puis des «22» historiques, «pères fondateurs» de la lutte de libération nationale. Arrêté le 22 octobre 1956 (arraisonnement de l'avion transportant des «historiques» venant de Rabat ), emprisonné jusqu'à la signature des Accords d'Evian. Opposant ferme au régime du «groupe de Tlemcen» (Ben Bella et Boumediene) et refusant les affrontements armés, il est enlevé par la S.m, en plein midi devant son domicile. Il connut, à partir du vendredi 24 juin 1963 (jusqu'à mi-novembre 1963), cinq mois de prison «nationale» puis l'exil (plutôt une expulsion... .de son propre pays !)... Installé au Maroc, gérant une Pme et un parti politique clandestin de gauche, le Prs, il ne reviendra («ramené») au pays qu'en janvier 1992 pour présider aux destinées du pays en proie à la terreur du terrorisme islamiste. Il est assassiné six mois plus tard, «en direct» à la télévision à partir de Annaba (lors d'une rencontre avec les jeunes). Surnom plus qu'expressif ! Tayeb El Watani Avis : Pour compléter l'image et la personnalité d'un homme politique de réflexion et d'action au sens complet du terme... , un homme de vérités (voir, p 86, ses interrogations sur les «fameux historiques»), un visionnaire sur bien des points, qui a su bien évoluer avec son temps et les circonstances. Hélas, l'histoire de son pays qu'il a en partie fabriquée et pour laquelle il a énormément souffert ne l'a pas épargné. En signe de reconnaissance, elle l'a assassiné. Ingratitude des nations ! Ouvrage truffé de «coquilles» Citations : «Pour démontrer un mécanisme politique, le meilleur moyen est de laisser parler les faits : ils sont une excellente illustration des méthodes d'un Pouvoir»(p 17), «L'illégalité ne peut qu'enfanter l'arbitraire» (p 21), «La politique ne se fait pas avec des mots, ce sont les facteurs objectifs d'une société, de son économie qui la conditionnent, et elle ne passe dans la pratique que quand elle est l'expression véritable de ces facteurs» (p 48), «Révolution signifie, avant tout, réflexion profonde, pensée cohérente, lucidité, le tout mis au service de la pratique» (p 153), «En politique, chacun demeure le produit de ses actes» (p 194), «Le parti qui est né de ce clan (de Tlemcen), bien qu'il continue à se réclamer du Fln et du «programme de Tripoli» n'est aucunement le prolongement du Fln de guerre ; ce dernier est bien mort à Triopoli» (p 234), «Rien de bon ne naît jamais des compromis sans morale et des combinaisons opportunistes» (p 243), L'Algérie, l'échec recommencé ? (Edition enrichie d'un avant-propos et de documents inédits). Essai de Said Sadi. Editions Fantz Fanon, Tizi Ouzou, 2015, 449 pages, 1 000 dinars. Un livre bilan ? Plutôt un livre diagnostic. Sur l'état d'une nation, ses luttes, ses espoirs, ses ambitions...et son échec. Ses échecs, tant ils se sont répétés au fil du temps donnant cette détestable impression de continuel recommencement. L'auteur, certes médecin, peut-être parce que médecin (et psychiatre de surcroît), militant très engagé s'étant frotté très tôt au terrain à la chose politique, bien avant l'ouverture démocratique de 88, n'a fait, en réalité, que ré-éditer un ouvrage déjà publié en 96, mais cette fois-çi enrichi d'un avant-propos et, en annexe, de documents «inédits». L'essentiel de l'ouvrage a été écrit, dit-il, en 1986, dans le pénitencier de Tazoult-Lambèse et la prison centrale d'El-Harrach. C'est tout dire sur l'aspect engagé et très corrosif des analyses. Boumediene et son «règne» sont passés à la moulinette, Chadli et sa cour sont des prédateurs, les clans ne se soucient guère du bien collectif, la jeunesse -dans le mouvement national- «pas toujours éveillée à la nécesité d'une lutte organisée et se présentant hétérogène»... bref, «tous coincés et la fuite en avant... avec de la surenchère à gogo et le refus d'opérer des inventaires exacts». Tout le reste est une véritable leçon d'histoire politique du pays, l'accent mis, et cela est compréhensible, sur le mouvement berbère (national et non pas seulement limité à une région), sa naissance, ou plutôt sa réémergence, son développement, ses limites, les difficultés rencontrées et le retard historique de la société berbère...et les fantasmes anti-berbères... surtout de la part des arabo-islamistes (commentaire complémentaire : une analyse réaliste et lucide des attitudes et des comportements qui, selon moi, est généralisable à une très grande partie, sinon la totalité, de la société algérienne, ce qui démontre à mon sens que le peuple algérien est dans sa quasi-entièreté, d'essence et d'existence berbère, une identité que les «Histoires» ont éparpillé. Et, recoller les morceaux est une toute autre Histoire) . Livre orienté ? C'est assez compréhensible. L'auteur fait partie d'une génération «qui a dû tout inventer» : sa méthode de lutte et une alternative qui prendrait en considération deux dossiers combattus par l'ordre politique en place : la question berbère (amazigh) et les libertés démocratiques. Vaste programme... programme dangereux. Et, peut-être, trop en avance sur son temps.Une pensée politique qui lui a valu bien des incompréhensions. Mais, aussi, la notoriété et un certain respect. L'auteur : Said Sadi est né en 1947 à Aghribs, en Kabylie. Médecin psychiatre, il a été l'un des principaux animateurs du Printemps berbère d'avril 80. Militant des droits de l'homme, membre fondateur de la Ligue algérienne des droits de l'homme, à l'origine de l'installation de la première section d'Amnesty International en Algérie, il a connu bien des prisons. Il a créé, en 1989, un des tout premiers partis politiques, le RCD qu'il a quitté en mars 2012. Depuis, il écrit, continuant ainsi à contribuer au débat national sur la démocratie, la république et l'identité. Avis : Un livre en grande partie écrit en 1986... en prison (s). Des questions toujours d'actualité. Dont le dernier chapitre, «A la recherche de la Nation» est à méditer. Un ouvrage assez (trop ?) engagé... à l'image de l'auteur. Un lecteur averti en vaut plusieurs ! Citations : «Bien souvent, une simple anecdote peut constituer le condiment essentiel à la lecture de l'histoire algérienne» (p45), «On n'est jamais aussi assuré de la victoire que lorsqu'on est sous-estimé par ses adversaires et qu'en plus on est averti de leurs faiblesses» (p 70), «L'intellectuel algérien de culture française vécut (après 1962) culturellement apatride : il n'eut même pas le rang que l'on octroie ailleurs au minoritaire»( 88), «L'agressivité électrise l'atmosphère comme les détrirus le ras du sol» (p 112), «On ne construit pas sans l'Homme, on ne réalise rien de durable contre lui. A trop vouloir l'ignorer, on s'enfonce dans la civilisation du malheur» (p 112), «L'absence de débat public avait amené l'Algérien à ajuster sa position politique, quand il en avait une, en fonction des sentiments que peut lui inspirer l'individu et rarement sur une idée ou un programme. Cette vacuité a fait que la violence verbale est prête à envahir la parole, le dialogue ne faisant pas partie de nos traditions «(p 208), «Quand on apris l'habitus de l'homme dominé, la pire des choses que l'on ait à subir est de voir l'un des siens émerger du lot» (p 306), «On ne cultive pas sous serre une identité nationale» (p353) Algérie, entre l'exil et la curée. Essai de Omar Aktouf. Arak Editions, Alger, 2014, 336 pages, 850 dinars. Une phrase qui résume à elle toute seule l'esprit de l'essai : «Tout le monde était contre moi, j'étais entre deux mondes». Un livre qu'il a commencé à écrire en décembre 1983, soit trois mois après son arrivée, en famille, au Canada. Dès 1986, il était soumis à des éditeurs. C'est seulement à l'automne 88 qu'un projet «sérieux» a, enfin, abouti. Sortie en 90 à l'Harmattan. Le procès en règle d'un système politique, économique et social qui, dès le départ, mis à part la très courte période de Ben Bella (l'enthousisme révolutionnaire de la jeunesse et la liberté retrouvée faisant oublier les germes des maux futurs), a semé les grains de sa déconfiture. Première désillusion, le travail (selon lui, il y a en Algérie, une classe qui se perpétue dans les rouages du pouvoir par cooptation et par auto-recrutement?Il a vu «toutes les magouilles possibles pour servir des carrières souvent tracées d'avance»). Seconde désillution : le système (avec une vie de tous les jours?invivable). Troisième désillusion : l'injustice sociale?et quatrième, l'avenir. Conclusion : à quand un Spartacus devant faire sauter l' «Etat-comité de gestion de la classe dominante» et faire «retrouver le sourire de 1962» ? Quelques très rapides propositions : la convocation d'une authentique Assemblée constituante, le retour au peuple d'au moins une partie de ce qui a été détourné par tous les spoliateurs et exploiteurs que les pouvoirs ont secrétés, donner au peuple la parole? 25 après, le livre «sort» enfin en Algérie, avec une courte mais très claire «introduction à l'édition algérienne» dans laquelle, «malade de son pays», il ne demande, au passage, «qu'à servir le pays»?dans les conditions et les domaines «qu'on voudra» : «ré -écrire le même livre aujourd'hui ? Oui. Sans hésiter, je le ferai?sans y changer un iota, sinon pour des actualisations /mises à jour, hélas, pas toujours pour le mieux». Pas étonnant, pensant fermement que le chemin néolibéral-affairiste pris est «loin d'être le bon». L'auteur né en 44 au Maroc (père d'origine kabyle, ancien auxiliaire de gendarmerie française), il a vécu jusqu'à l'âge de onze ans dans une petite ferme quelque part entre Safi et Marrakech. Arrivé en ville, il a commencé à fréquenter l'école française où, dit-il, déjà, «tout le monde était contre moi. J'étais entre deux mondes». 62, c'est le retour familial en Algérie. Eté 83, accumulant les diplômes, les fonctions et les déceptions, se sentant humilié et rongé par la rage, c'est l' «exil» au Canada (à 39 ans !) avec femmes et enfants. Depuis, il est devenu un enseignant (Hec Montréal) connu et reconnu en management. Il s'est même essayé à la politique québecoise (participation à des élections) Avis : A lire bien sûr, sans pour autant prendre pour argent comptant tout ce qui est écrit. Une analyse qui se veut, se dit et est (sur-) réaliste et lucide, mais très orientée et au parti pris évident. Pourtant, c'est un écrit plein de vérités...valables aujourd'hui encore (annonciateur des explosions populaires et de l'islamisme radical, entre autres), mais à la rancune tenace ! Citations: «Tant que l'acte d'importer rapporte plus que l'acte de produire, l'Algérie ne fera que s'enfoncer davantage dans le sous-développement» (p 25), «L'Etat algérien ? Une série de coups de force» (p 118), «A force de vouloir faire de toutes les activités artistiques et culturelles «l'expression des aspirations des masses» et des artistes et des écrivains des «engagés révolutionnaires», on a tué la créativité et le talent «(p 123), «Il est bien dur l'escalier des autres et il est bien salé, parfois, le pain étranger» ( 52), «La femme algérienne est à la société ce que le petit peuple est à la nomenklatura : tous deux esclaves et laissés pour compte» (p 329). «Sans l'acquiescement de tous, nos loups n'en seraient pas là où ils en sont aujourd'hui. Et cet acquiescement a commencé en un certain été 1962» (p 361), «Un peuple dépolitisé, abruti par la propagande, foulé au pied, écrasé dans sa dignité, et ravalé à l'état de vie digestive en arrive à se mépriser lui-même» (p 335). |
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