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C'est le moment de vérité pour l'Europe : sauver sa souveraineté
politique en se solidarisant avec la Grèce ou céder à la loi violente des
marchés financiers et perdre son âme, ses valeurs et son avenir.
Réunis mardi en fin de journée, les 19 chefs d'Etats et de gouvernements de la zone euro se sont séparés, quelques heures plus tard, sans rien décider à propos de la question grecque et en se promettant de se revoir samedi. Autant dire que la crise grecque reste entière et n'évolue pas, malgré la multiplication des réunions marathons à tous les niveaux des institutions européennes. Pire, la crise financière grecque se complique et s'aggrave et risque d'entrainer toute l'Union européenne (UE) dans une impasse politique qui met en péril sa propre existence en tant que puissance régionale. Car, l'UE n'a pas, à vrai dire, le choix : soutenir la Grèce par un « plan d'ajustement structurel » raisonnable ou payer avec elle les conséquences de la faillite. C'est tout le problème de la « doctrine politique » de la construction européenne qui se joue aujourd'hui via la question grecque : l'UE doit-elle privilégier une Europe sociale des peuples qui place le citoyen au centre de ses décisions ou doit-elle continuer à être gouvernée par le pouvoir des marchés financiers et du jeu des places boursières ? Car, la réalité « financière » de l'UE est autrement plus « vicieuse » qu'une simple arithmétique de chiffres et de ratios : tous les Etats de l'UE (et d'une très grande partie du reste du monde) sont théoriquement endettés, ont des déficits publics et doivent de l'argent quelque part. La question est : qui détient toutes les dettes des Etats, y compris celle de la Grèce ? La réponse est à la fois simple et complexe : ce sont les banques privées qui sont détentrices des dettes des Etats. Comment et par quel moyen ? En laissant libre la spéculation financière des grands trusts et multinationales dont les propriétaires sont, à une très large majorité, des personnes physiques devenues milliardaires et multimillionnaires par le jeu sur les places boursières qui ressemblent de plus en plus à un jeu de « casino ». Les banques privées, rouage indispensable dans la marche des économies, dictent la logique du profit et se lavent de toute responsabilité en cas de crash financier. L'exemple de la crise financière de 2008 illustre très bien le « chantage » fait aux Etats (et aux peuples) : les Etats ont racheté au nom des citoyens contribuables les pertes des banques : les dettes privées des banques ont été transférées aux peuples. Plus symptomatique : la banque centrale européenne (BCE) prête aujourd'hui de l'argent aux banques privées à des taux négatifs ( 00 %) ou à la limite du négatif ( 0,01 %) qui, elles, prêtent ce même argent aux Etats, aux entreprises et aux citoyens à des taux supérieur à 2,5 %. Jouant le rôle d'intermédiaire, elles font de substantiels bénéfices au profit de leurs actionnaires. Comment cela est-il possible ? Grâce au statut « spécial » que le Traité de l'UE confère à la BCE : une totale indépendance par rapport aux Etats membres de la zone euro. En clair, les gouvernements de l'UE ont créé une banque centrale commune (la BCE) qui est leur propriété et lui ont, dans le même temps, laissé la liberté totale de jouer avec leur propre argent dans le marché mondial de la finance. Ce qui est troublant avec la crise grecque, c'est que les Etats de la zone euro se plient à la liberté de la BCE selon les statuts dont ils l'ont dotée lorsqu'il s'agit de prêter aux banques privées et, concernant la crise grecque, lui intiment l'ordre de rationner, voire bloquer les crédits. Car, comment expliquer le refus d'un délai supplémentaire à la Grèce à l'échéance du 30 juin pour un montant de 1, 3 milliard d'euros, alors que l'Etat grec disposait de 1,9 milliard d'euros de dépôt dans les fonds de la BCE ? Accusant le jeune chef de gouvernement grec, Alexis Tsipras, de fuir ses responsabilités et de ne pas vouloir rembourser la dette grecque dans les délais, ses collègues de la zone euro (et d'une bonne partie des autres Etats membre de l'UE) lui mettent une pression insoutenable pour qu'il accepte, sous le prétexte de réformes, une série de conditions supplémentaires qui mettront son pays sous le dictat définitif et irréversible de la spéculation financière mondiale. Ainsi, après avoir accepté des réformes structurelles telles que le prolongement de l'âge de la retraite de 63 à 67 ans, le relèvement du taux de la TVA de 13 % à 23 %, notamment dans le secteur touristique (10% du PIB grec), de privatiser les grandes infrastructures publiques ( ports et aéroports), le gouvernement grec est poussé à privatiser jusqu'aux secteurs publics les plus névralgiques : santé, éducation, culture et à réduire encore plus le salaire horaire minimum et de réduire de moitié le nombre de fonctionnaires et de bloquer tout nouveau recrutement dans le secteur public. En clair, les gouvernants de la zone euro forcent le gouvernement grec à se renier politiquement et d'entrer dans le rang du marché ultralibéral géré par la puissance et la logique des marchés financiers internationaux. Face à ce bras de fer, le leader de la gauche grec joue une vraie partie de poker- menteur : la mise est trop grosse (les prêts) s'ils se retirent de la partie. Ils doivent continuer à jouer, d'autant plus que le leader grec dispose encore d'un double-joker : le prestige de l'UE et la place géostratégique de la Grèce dans le jeu international européen. Autrement, l'UE se résumerait à un simple calcul de banquiers qui se joue des membres d'une même famille, sans profondeur politique, sans portée géostratégique et surtout dilapidant le socle de valeurs communes conquises après deux siècles de souffrances et de guerres, au final sans intérêt pour ses propres citoyens. A chaque fois que l'UE cède sous la gouvernance du monde de la finance, elle perd en valeur et en honneur et ouvre la voie au populisme et aux extrémismes de tout bord. Il est symptomatique de constater la montée des extrémismes et des populismes en Europe avec la progression de l'ultralibéralisme économique et financier. C'est dire combien la crise grecque ne se résume pas à une simple crise bancaire. Elle est révélatrice de l'affrontement de deux courants politiques majeurs : celui de l'émancipation des peuples, de la justice et de la solidarité à celui du calcul froid de la spéculation financière mondiale. Combien d'engagements ont été pris par les gouvernants des pays les plus riches (G 7, G 20, Europe etc.) au lendemain de la crise financière internationale de 2007-2008 ? Partout dans les rencontres au Sommet de telles institutions on répétait : régulation financière, taxe sur les transactions financières, lutte contre les paradis fiscaux, limitation du pouvoir des gros actionnaires etc. Combien n'a-t-on pas classé des pays en couleur noire, grise, demi-grise pour dénoncer leur complicité dans la dérégulation financière, la spéculation, voire la corruption ? A ce jour, hormis quelques coups « diplomatiques » tel l'échange des données bancaires où la lutte symbolique contre la fraude fiscale par quelques pays, rien ne freine à ce jour l'appétit vorace des spéculateurs financiers. Au point où ils sont en train de montrer leurs « crocs » pour dévorer ce qui reste de secteur public en Grèce en lui exigeant de brader ses « bijoux » de famille contre un plat de « lentilles ». Peut-être que la Grèce cédera et le gouvernement d'Alexis Tsipras quittera la table des négociations et remettra, encore ne fois, la parole au peuple pour un autre choix d'avenir. Peut-être que ses créanciers lui accorderont un suris en attendant une meilleure occasion de le « faire démissionner ». Dans les deux cas, c'est l'Europe tout entière qui se joue de son propre avenir. En sauvant la Grèce via un compromis politique, elle sauvera son propre avenir de puissance régionale. En abandonnant la Grèce aux mains de la violence et de la seule loi des marchés financiers, elle suivra pays, par pays, du plus faible au suivant, l'exemple grec et tuera son propre rêve de liberté, de justice et de solidarité. |
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