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Après
l'innommable acte terroriste de Sousse ayant visé explicitement des touristes
étrangers et ayant fait 38 victimes parmi eux, la Tunisie subit de plein fouet
le contrecoup de cette barbarie, par l'arrêt brutal du flux touristique et le
départ dans la panique de ceux qui sont déjà sur place, menaçant d'effondrement
les rentrées de devises de ce pays, dont l'économie est étroitement tributaire.
C'était cela l'objectif visé par cette opération kamikaze : mettre à genoux la révolution tunisienne qui n'arrête pas d'afficher des performances de plus en plus spectaculaires en matière de démocratie et de toutes valeurs universellement partagées et la principale d'entre elles : la souveraineté. Beaucoup a été dit à ce propos concernant le refus catégorique de la Tunisie de se soumettre aux convoitises des puissances impérialistes, notamment son alignement sur les plans colonialistes de l'Otan par l'ouverture de son territoire à l'implantation d'une base militaire de l'Africom. Mais ce refus ne constitue pas en soi la principale motivation de cet acte odieux que l'on pourra qualifier sans aucun doute d'«acte de guerre». La Tunisie est devenue un symbole et un exemple à suivre, un modèle pour les pays de la rive sud de la Méditerranée en matière de transition démocratique et d'affirmation de soi en tant que singularité culturelle régionale, produit d'une entité civilisationnelle millénaire. Un poste avancé, en quelque sorte, d'un bloc régional en devenir, dont les fondations trouvent leurs racines dans les ruines de la civilisation arabo-islamique agonisante. C'est ce bloc régional souverain en devenir, par son caractère menaçant pour les intérêts des puissances impérialistes dans la région, qui constitue la principale motivation de vouloir mettre ce symbole, qu'est la Tunisie, à genou. L'impérialisme a déjà fort à faire avec les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) auxquels ne cessent de se joindre d'autres pays dits émergents. Il ne saurait s'accommoder de l'émergence d'un nouveau bloc régional concurrent, qui serait régi par des débats contradictoires au sein de ses assemblées dans des régimes démocratiques, qui seraient enclins à négocier aussi bien leur souveraineté politique qu'économique, leur préférant des assemblées croupions, totalitaires et autoritaires, facilement maniables et perméables à la corruption. La preuve en est que le débat au sein des élus tunisiens avait conclu au rejet de l'installation d'une base militaire de l'Africom sur leur sol. L'opération qui consiste à faire barrage à l'émergence de ce bloc régional s'était déjà affirmée avec la contre-révolution menée par les puissances impérialistes contre le réveil des peuples de cette région pour l'accomplissement d'une révolution politique. Aidés en cela par les monarchies réactionnaires de la région, ayant depuis longtemps basculé dans leur camp. Depuis qu'ils avaient abandonné la lutte du peuple palestinien pour le recouvrement de sa souveraineté. En infiltrant les processus insurrectionnels par le soutien financier et logistique des hordes djihadistes, pour semer chaos et destruction, pour finir par imposer le statu quo, notamment en Libye, en Egypte, en Syrie, au Yémen, voire en Irak. Ils ont cependant échoué, aussi bien en Tunisie qu'en Algérie, pays sur lesquels la pression demeure constante. L'attaque contre le musée du Bardo ou celle de Sousse répondent à la même logique que celle opérée contre le complexe gazier de Tiguentourine ou l'enlèvement et l'assassinat d'Hervé Gourdel. Dans ce contexte, beaucoup d'Algériens ont manifesté spontanément leur solidarité avec les Tunisiens, promettant de déjouer frontalement le complot qui s'est abattu sur leur révolution. En effet, depuis l'annonce de l'infamante nouvelle de l'attaque de Sousse, le mot d'ordre est à la mobilisation générale sur les réseaux sociaux, promettant d'envahir en masse les lieux touristiques tunisiens pour passer les vacances et pallier la désertion des touristes étrangers, afin de soutenir l'économie tunisienne. Mais en réaction à cette mobilisation massive, des voix d'autres Algériens se sont élevées pour afficher une distance, motivée différemment selon les uns et les autres. Les plus significatives se résument : soit au reproche fait aux Tunisiens de n'avoir manifesté aucune solidarité active pendant les années de sang, soit que les Algériens devraient plutôt s'occuper à balayer devant leur porte, en se mobilisant contre les djihadistes encore présents sur leur propre sol, ou encore, se mobiliser pour instaurer chez eux un Etat de droit et parvenir à mandater eux-mêmes leurs gouvernants et non pas qu'il leurs soient imposés comme c'est le cas. A côté de ces principales motivations, il y a les sceptiques qui qualifient cette attitude d'émotivité irrationnelle, conditionnée par l'immaturité et la témérité excessive qui caractériserait généralement les Algériens, allant jusqu'à la comparer avec l'évènement d'Omdourman. Il n'est pas dans mon intention de disserter sur cette mobilisation et sur ces voix qui s'y opposent dans ce court article, encore moins prétendre apporter des réponses suffisamment argumentées, qui relèvent par certains aspects du domaine de la psychopolitique. Je me limiterai à donner mon sentiment global, dans lequel je considère que nous avons affaire à un état de frustration généralisé, aussi bien chez ceux qui se sont portés volontaires pour cette mobilisation que ceux qui s'en sont démarqués. D'abord une frustration liée au sentiment de solitude, d'isolement et d'indifférence de la part du monde extérieur devant leur souffrance à ne pas disposer de leur destin souverainement, qui fait dire aveuglement aux uns que les Tunisiens n'avaient pas manifesté de solidarité active pendant les années de sang. Comment le pourraient-ils, pris en étau eux-mêmes entre une mouvance islamiste larvée et une dictature qui réprime violemment toute tentative d'expression politique, fût-elle en solidarité avec un autre peuple. En refoulant le fait que les Tunisiens étaient parmi ceux qui avaient le plus soutenu activement la guerre d'indépendance. La frustration liée au sentiment de persécution, celle de ne pas avoir définitivement tourné la page des années de sang, par l'impunité dont bénéficient les ex-djihadistes. Ajouté à cela un désir de vengeance contre le laxisme apparent observé par le pouvoir vis-à-vis des djihadistes toujours actifs sur le sol algérien, ainsi que l'impunité des inquisiteurs qui officient publiquement sans s'inquiéter. On a l'impression que les uns veulent aller jusqu'en Tunisie pour exorciser les démons djihadistes qui les persécutent toujours, et les autres à reprocher à la conscience collective de ne pas agir pour éradiquer ce fléau chez eux. La frustration de l'échec, qui pourrait s'interpréter par le fait : qu'à défaut de faire la révolution chez eux, les Algériens se mobilisent pour sauver celle des Tunisiens, comme ils manifestent leur solidarité avec le peuple palestinien à chaque fois que celui-ci est agressé par l'occupant sioniste. Une frustration qui se nourrit aussi bien de l'échec de la transition démocratique initiée après 1988 que celle de la confiscation de la souveraineté populaire au tournant de l'indépendance nationale. Par-delà la solidarité inaliénable et sans condition avec les peuples qui luttent pour leur autodétermination afin de disposer d'eux-mêmes et reconquérir leur souveraineté, héritée de notre glorieuse révolution, dont les Algériens demeurent profondément imprégnés. La frustration induite par la jalousie ; celle exprimée par ceux qui dénient à la révolution tunisienne toute crédibilité, la qualifiant de complot impérialo-sioniste, qui seraient excessivement frustrés que les Tunisiens soient meilleurs pour avoir réussi une transition démocratique par le débat, sans violence, ni assistance. Au même titre que les nationalo-conservateurs adeptes du statu quo, qui trouvent dans la réussite de cette révolution une menace sur les privilèges qu'ils tirent de cette situation ! La frustration devant l'impuissance ; celle des sceptiques qui semblent exprimer leur désolation devant la conscience pré politique dans laquelle la grande masse de la population se trouve aliénée. Par-delà le fait d'avoir fait échouer les plans diaboliques des convoitises impérialistes en s'obstinant à continuer à subir la dictature plutôt que de succomber à leurs complots, notamment à l'occasion des marches de la CNCD, bien que la barbarie subie durant les années de sang ait joué à plein son rôle inhibiteur. Autant de frustrations qui ne sauraient justifier la démobilisation devant cette aide précieuse et ce soutien aussi vital à nos voisins et amis Tunisiens devant la tragédie qui les a frappés, menaçant les fondations de leur Etat et de leur révolution. Comme l'ont fait beaucoup de touristes européens, pour avoir également manifesté leur sympathie et leur solidarité avec le peuple tunisien, en refusant de céder à la panique et en choisissant de ne pas quitter la Tunisie, pendant que d'autres ont refusé d'annuler leurs vacances dans ce pays et continuent d'y affluer. D'autant que cette mobilisation bénéficiera en retour non seulement aux Algériens eux-mêmes, par l'expérience acquise dans leur participation indirecte à la révolution tunisienne, et d'éveiller un peu plus leur conscience politique, mais de permettre de maintenir la flamme du processus de transition démocratique en cours dans la région toujours allumée. |
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