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Invité en 2012 à
s'exprimer sur les ondes de la radio algérienne à propos des conséquences de la
chute du prix de pétrole sur l'économie nationale, Karim Djoudi, le ministre
des Finances d'alors, avait tiré la sonnette d'alarme et plaidé pour une
gestion prudentielle des dépenses publiques.
LIl avait, toutefois, écarté toute possibilité de ponction sur les dépenses, notamment les salaires des fonctionnaires, les transferts sociaux ou les subventions des produits de base, à savoir le lait, les céréales, le sucre et l'huile alimentaire. Une élection présidentielle plus tard, l'Algérie est réduite à puiser dans ses réserves de change pour assurer l'essentiel de son économie. Nous sommes en 2015, Djoudi, le lanceur d'alerte, n'est plus ministre des Finances tout comme son successeur Djellab, victime collatérale de Khalifa. C'est Abderrahmane Benkhalfa qui occupe le maroquin tout en continuant à plaider, avec beaucoup de conviction, pour l'ouverture du capital des banques publiques au privé. Va-t-il le faire, maintenant qu'il est aux affaires ? Selon les experts, « toute ouverture au privé se solde, certes, par quelques gains à court terme, mais aussi par des pertes structurales de long terme ». Et aux spécialistes de citer l'Islande qui a fait l'inverse, en nationalisant tout son système bancaire et financier après la crise de 2008, au moment même où l'Europe s'enlisait à cause de l'acharnement de la troïka (BCE-UE-FMI) à satisfaire un système financier privé, devenu le maître des politiques économiques mondiales ! Mais il ne viendrait pas à l'idée de ces organismes de demander un « nettoyage » des institutions organiques pour lutter, efficacement, contre la corruption à tous les niveaux. Dans l'histoire économique moderne, c'est la première fois que des Etats (Européens, en l'occurrence) tentent de faire face à une grave crise économique et financière en pariant sur l'austérité plutôt que sur la croissance (intervention de l'Etat pour relancer la machine économique). Les enseignements de la crise de 1929 ont démontrés, pourtant, que les conséquences du naufrage financier avaient été surmontées, en partie, grâce aux politiques actives de relance et d'implication des Etats. Tel n'est pas le cas aujourd'hui avec des gouvernements tétanisés à l'idée de subir la moindre mauvaise notation des agences spécialisées, à l'inverse de leurs citoyens qui rejettent cette politique. A cet effet, il est intéressant de prendre connaissance de ce sondage paneuropéen effectué par l'Institut Gallup ; à la question « l'austérité obtient-elle des résultats en Europe ? », seuls 39% des sondés répondent « oui » contre 51% « non ». Sans surprise, c'est en Grèce, à Chypre et au Portugal que les « oui » sont les moins nombreux. Et les seuls pays où l'austérité a vraiment la côte sont ceux d'Europe centrale et orientale qui n'appartiennent pas à la zone euro. Même les Allemands, réputés, pourtant, pour leur rigueur, n'y croient qu'à hauteur de 42% ! Avant de revenir en Algérie, un mot encore sur la Grèce, pour dire que le gouvernement de ce pays a mené un combat pour en terminer avec les mesures d'austérité imposées par ses créanciers : « on nous a demandé de mettre en place des mesures drastiques sans tenir compte du fait que celles-ci allaient exacerber davantage les inégalités sociales, dérégler le marché du travail, imposer des coupes dans les retraites, impacter sur la T.V.A et sur les produits alimentaires. En un mot, cette politique d'austérité ne poursuit qu'un seul objectif, celui d'humilier le peuple grec ! ». Depuis, la Grèce a rejeté les propositions de Bruxelles et se prépare à aller à un référendum pour décider de son avenir. Et l'Europe s'apprête à acter le « Grexit » (la sortie de la Grèce de l'Union européenne). De cette partie de bras de fer, il y a déjà un vainqueur, c'est le FMI, qui a réalisé, selon ce qui a été rapporté, 2,5 milliards d'euros de bénéfice sur ses prêts à la Grèce ! Chez nous, le terme « austérité » a été utilisé, une toute première fois, par le Premier ministre, en marge de l'inauguration de la 23ème foire de la production nationale. Il a annoncé que « le recrutement sera gelé en 2015 dans tous les secteurs de la Fonction publique », prémices d'un plan d'austérité auquel la population ne semblait pas s'attendre. Il s'en est suivi une panique dans les ministères et tour à tour, chaque responsable a tenté de rassurer : mon département n'est pas concerné, affirmait Nouria Benghebrit qui avait déjà fort à faire avec les grévistes du SNAPAP ; celui de l'Habitat Abdelmadjid Tebboune lui emboîta le pas, tout comme celui de l'Agriculture d'alors, Nouri Abdelwahab ou encore Amar Ghoul, qui ont mis en évidence la particularité « stratégique » de leur secteur respectif. A croire que nos ministres n'étalent leurs talents qu'à travers les dépenses publiques ! Le 6 janvier 2015, dans un effet de « rétropédalage » inattendu, Abdelmalek Sellal annonce que « la mesure de gel ne concernera pas certains secteurs comme l'éducation, l'enseignement supérieur, la formation professionnelle et la santé ; mieux, il est prévu, a-t-il annoncé, un renforcement de l'encadrement, sans compter le maintien des différents mécanismes et dispositifs d'aide à l'emploi et à la création d'activités pour les jeunes promoteurs ». Point d'austérité donc, mais une rationalisation des dépenses, réaffirme le Premier ministre, à l'occasion de son passage à l'émission « hiwar essaâ » : « notre politique consiste en la réduction de la facture des importations en réintroduisant la licence d'importation et en facilitant, par ailleurs, les conditions d'investissement public et privé, créateur de richesse », explique-t-il. Exit alors, l'austérité ? Pas si sûr avec cette nouvelle loi de finances complémentaire qui, semble-t-il, inquiète au plus haut point les Algériens. Elle interviendrait, nous dit-on, dans un contexte « d'austérité ». La LFC 2015, disent les plus pessimistes, va chercher l'essentiel de son financement dans le portefeuille des citoyens : la taxe foncière passerait au double tout comme celle des véhicules neufs ; on évoque, aussi et surtout, la mise en place d'une « carte de carburant », à partir de janvier 2016. Cette « trouvaille » a été confirmée par le ministre de l'Energie qui a tout de même tenu à apporter une nuance : « il ne s'agirait nullement de rationner la consommation de ce produit, mais de la rationnaliser ! ». Abderrahmane Benkhalfa a refusé, quant à lui, de commenter la mesure concernant le carburant en affirmant que « la LFC est toujours dans les laboratoires ; nous allons évaluer l'impact des soutiens aux entreprises, a dit le ministre ; pas d'austérité, mais plus de rigueur », a-t-il conclu sur les ondes de la radio nationale. Pour l'instant, le citoyen relève que la LFC 2015 prévoit, bel et bien, « une carte carburant ». A moins que les députés ne décident de retoquer l'article, la mesure est bien partie pour être mise en œuvre, avec toutes les incongruités bureaucratiques qui ne manqueront pas de suivre ! Les contribuables pensent que l'Etat a les moyens d'arrêter la contrebande des carburants aux frontières (près de 1 milliard $ tout de même) et qu'il n'a pas à recourir aux poches des citoyens. Et puis franchement, qui continue de penser qu'on peut encore gérer un pays par le rationnement ? De ce qui précède, force est de dire que l'heure est donc, bel et bien, à l'austérité. Le citoyen va devoir, encore, se serrer la ceinture, contrairement aux riches qui n'auront à payer d'impôts qu'à partir d'un plafond de fortune estimé à 10 milliards de centimes, contre 5 précédemment ! On parle, également, de facilitations fiscales incitatives et même « d'amnistie fiscale » pour débusquer ceux de l'informel ou pour pousser ceux qui ont de l'argent à investir en Algérie, pour augmenter la croissance et relancer la consommation, laisse-t-on entendre côté gouvernement. C'est la théorie du « ruissellement » ou « trikle down » comme l'appellent les experts ; elle est toutefois battue en brèche par le FMI, qui, dans une récente étude présentée le 15 janvier 2015, estime « que plus la fortune des riches s'accroît, moins forte est la croissance ; lorsque la part de gâteau des 20% des plus aisés augmente de 1%, le PIB progresse moins (-0,08 point) dans les 5 ans qui suivent ». Autrement dit, les avantages des plus riches ne « ruissellent » pas vers le bas. Aujourd'hui, le pétrole est au plus bas et l'exécutif est réduit à scruter les marchés internationaux des hydrocarbures, unique source de recettes du pays. Nous allons évaluer la situation tous les trois mois, à assuré Abdelmalek Sellal, dans une tentative de rassurer l'opinion publique. Il est hors de question, pour l'instant, d'abandonner la politique sociale, a déclaré, l'adaptateur du slogan « consommons algérien » Amara Benyounes, dans une interview accordée à un journal en ligne ; le propos a ajouté à la confusion (pour l'instant, a-t-il dit), ce qui laisse entendre qu'il est possible que cela se produise. C'est le moment qu'a choisi Louisa Hanoune pour critiquer, violemment, ce lundi 29 juin, la nouvelle politique économique du gouvernement, estimant « qu'elle va produire des effets néfastes pour le pays ; les informations dont nous disposons sur la LFC 2015 et la LF 2016 sont pour nous une source d'inquiétude ; le recours à la politique d'austérité prépare le terrain de Daesh en Algérie », a-t-elle prévenu lors d'un discours prononcé à l'occasion du 25ème anniversaire de la création de son parti. Pourtant, il est plus que temps, a rappelé un éditorialiste, de revenir ou plutôt d'aller vers des choix déterminants pour l'avenir, quitte à remettre en cause des « acquis populistes » comme celui qui consiste pour l'Etat de subventionner à tous crins et de manière indifférenciée, aussi bien le fabricant de chocolat ou de yaourt, que le salarié ou le retraité, à travers un prix soutenu par l'Etat, pour le sucre ou le lait. Nous n'entrons pas en période d'austérité, tente de rassurer de nouveau Abderrahmane Benkhalfa, nous sommes dans un nouveau contexte de rigueur budgétaire et de rationalisation de la dépense publique. Il n'est pas question, a précisé le ministre des Finances, à l'occasion d'une intervention effectuée sur les ondes de la radio nationale, d'aller vers des mesures d'austérité, ni de revoir le niveau des subventions et des dépenses liées à l'action sociale de l'Etat. Certes, l'évolution négative de la balance des paiements n'a pas atteint un rythme alarmant, mais l'Etat a déjà décidé d'agir sur la facture des importations en réduisant les dépenses superflues et en luttant contre les pratiques frauduleuses. Il est temps, a ajouté le ministre, de sortir du schéma actuel où la croissance n'est tirée que par la dépense publique. Décidément très prolixe, Abderrahmane Benkhalfa, le ministre qui, assurément, aime les chemises à boutons de manchettes, a révélé « que le gouvernement part en guerre contre l'utilisation de la « chkara » dans les transactions commerciales. A partir du 1er juillet, a-t-il dit, le paiement en espèce de plus d'un million de dinars est, rigoureusement, interdit. La mesure, a dit le premier argentier du pays, va mettre fin à l'utilisation massive du cash dans les paiements. Au même moment, un journal du soir publiait les résultats d'un sondage autour de la question « pensez-vous que l'Etat est capable d'imposer, au moins, aux supérettes et grandes surfaces, un TAP (terminal à paiement) pour que le client puisse payer avec sa carte (CIB) ; les internautes ont répondu « oui » à 29,5% et « non » à 66,97%. Edifiant, n'est-ce pas ? Aujourd'hui, on ne sait plus, au gouvernement, quel terme employer pour parler de la situation de crise dans laquelle se trouve le pays du fait de l'amenuisement de ses rentrées en devises. Un jour, on parle d'austérité, et pour changer on évoque la rigueur. Et pour mettre tout le monde d'accord, on sort un troisième concept « solidarité », et c'est le Premier ministre qui en fait l'annonce : l'année 2015, a-t-il dit, sera l'année de « la solidarité ». On n'en saura pas plus ! Personne n'est dupe toutefois, solidarité rimant, hélas, avec « austérité ». Le peuple va trinquer, car les spécialistes de la chose économique sont unanimes à dire que la récession est inévitable, puisque le principal investisseur, c'est-à-dire l'Etat, devra ronger son frein au plus tard à l'horizon 2017. La machine du développement s'enrayera, le carnet de commandes publiques se réduira comme peau de chagrin, impactant l'activité des entreprises et partant, la marché de l'emploi. Le gouvernement est obligé de puiser, encore et encore, dans les réserves de change pour maintenir son cap de dépenses, alors que du côté des administrations et institutions publiques, les habitudes persistent, le train de vie n'a pas été revu, compte tenu de la situation financière tendue : résidences d'Etat fermées et inoccupées, parcs autos des ministères plus que pléthoriques, charges de représentations et de déplacements prohibitifs, telle est la réalité qui appelle, normalement, à une plus grande rigueur dans la gestion et la gouvernance. Et de la rigueur, on peut donner, au moins, un exemple : à la suite d'un « droit de contestation », entré en vigueur en janvier dernier en Grande Bretagne, chacun peut interroger les autorités sur l'usage qui est fait d'un bâtiment public ; si l'administration compétente échoue à en justifier l'usage, elle sera forcée de le mettre en vente. Pour que la mesure ne reste pas un vœu pieu, le gouvernement vient d'ouvrir des pages internet listant quelques 31 000 édifices, de quoi libérer des sites pour stimuler la croissance et l'économie nationale. Quant à la bonne gouvernance, deux ministres du gouvernement Sellal nous en font la démonstration, eux qui n'ont de cesse d'appeler à « l'utilisation des matériaux locaux » dans les différents chantiers qu'ils inspectent ; en premier, celui de l'Habitat qui n'a pas manqué, par exemple, de tancer le chef d'une entreprise chinoise qui, pour le coup, a ri jaune et le ministre des Travaux publics qui en a fait de même à Béjaïa et à Constantine ; à la tête d'un département qui a, par le passé, défrayé la chronique, il est parti en guerre contre « les cadres qui ne suivent pas les projets », selon ses propres dires. Rigueur, austérité, quelle est, en définitive, la différence, sachant qu'une politique de rigueur est une politique économique qui prône la hausse de la fiscalité et la baisse des dépenses publiques dans le but de réduire le déficit. Quant à l'austérité, elle désigne une politique gouvernementale consistant à prendre des mesures visant à ralentir la demande des biens ou de services afin de limiter les risques inflationnistes ou de diminuer les déficits et la dette globale de l'Etat. La politique d'austérité va de pair avec une politique budgétaire agressive, destinée à faire augmenter les réserves fiscales tout en tentant de diminuer, au maximum, les dépenses publiques. Et dans les deux cas, ce sont les citoyens qui trinquent. Demandez aux Grecs ! |
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