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Suite à votre article du jeudi
30 avril 2020 paru dans «Le Quotidien d'Oran» et qui a pour titre «Le coût de
revient du pétrole de Hassi Messaoud est l'un des
plus chers au monde» : je voudrais apporter un avis différent. Loin de moi toute
hostilité à votre égard et, si fortuitement cela arrivât, je m'en excuse
profondément.
Je commencerai mes arguments par les coûts de production (prix revient) du baril de brut. Par la suite, en seconde partie j'aborderai la récupération assistée du brut (récupération secondaire) par injection d'eau. Je dois vous avouer être gêné dans cette première partie mais pas dans la seconde. Les coûts de production sont difficiles à cerner étant donné leurs caractères épineux. Ne l'oublions pas le pétrole est une " denrée " stratégique. Les coûts sont tenus secrets pour des raisons de positionnement sur le marché, des quotas de production et des prix de vente. Ils sont aussi confidentiels, relevant du " secret défense ", surtout chez certains gros producteurs étatiques. Quand ces coûts sont publiés ce n'est jamais innocemment et c'est dans un but précis. Pour toutes ces raisons les coûts qui sont avancés ci-après sont à prendre avec méfiance. " Ils donnent aux mensonges un accent de vérité " . Le Royaume-Uni pour son pétrole de la mer du Nord a un coût de production estimé à 52 dollars par baril, le Brésil à 48 dollars et le Canada, pour les sables bitumineux à 41 dollars. Le Nigeria, a un coût de production élevé 31 dollars. Les cinq supermajors i.e. : Exxon, Chevron, Shell, BP et Total ont un coût de production étrangement similaire, qui varie entre 4 et 5 dollars le baril. On dirait qu'il y a eu concertation pour afficher des coûts similaires. Le Cartel des Majors solide parce qu'uni, contre le Cartel de l'OPEP tiraillé de toute part parce que divisé. Par contre les pays du Golfe (Koweït, Emirats, Irak, Iran) ont des coûts bas, de l'ordre de 5 à 10 dollars le baril, légèrement supérieurs à ceux d'Arabie saoudite qui est de 2,80 dollars le baril. Mais il y a de fortes chances pou que les coûts des pays du Golfe soient similaires, position géographique oblige. Ces coûts datent de mars 2020 et sont pris de divers journaux et périodiques (HBJ, Forbes, IMF Data, etc.) Les coûts d'extraction, bien-sûr sont un critère important, la fiscalité est très importante aussi, c'est un autre outil de tripatouillage. On gonfle les coûts de production pour baisser les bénéfices nets et payer ainsi moins d'impôts. Par exemple, examinons le prix de vente de l'essence à la pompe. En Europe, le coût du pétrole ne représente que 30% dans le prix de vente et les 70% restants sont des taxes pour les Etats. La fiscalité que paient les producteurs aux Etats est encore beaucoup plus importante que les coûts de production eux-mêmes. J'ai l'impression qu'il y a trois ou quatre prix de revient qui sont soit gonflés soit étriqués, tout dépend de leurs destinations ciblées ; coûts de production destiné au Fisc, coûts de production destinés aux cotations boursières, coûts pour les actionnaires. Le quatrième coût, réel, le vrai, celui-là, ce sont les compagnies de production qui le détiennent. Les trois premiers coûts cités circulent, allègrement, dans la presse, sans que nous sachions à qui ils sont destinés et quelle est la finalité recherchée par leur parution. Par contre le quatrième coût, le vrai, celui-là, est couvé jalousement par les compagnies. Il est quasiment impossible de se retrouver dans un tel imbroglio. Mais essayons quand même. La Russie, le 2ème exportateur mondial a des coûts de production assez élevée, autour de 17 dollars le baril. Le coût moyen de la production du pétrole de schiste est de 50 à 60 dollars le baril aux USA, il est probablement subventionné par l'Etat américain pour aider au développement de ce nouveau type de carburant, qui revient très cher à exploiter. Étrangement c'est le même coût de production que celui des sables bitumeux du Canada. Deux coûts très proches pour deux méthodes d'extractions complètement différentes, En ce qui concerne les coûts des pétroles conventionnels aux USA, il m'a été impossible d'en trouver, publiés. La raison est peut être due à la diversification des méthodes de production de son brut. Il doit être, probablement, autour de 30 dollars le baril. Il semble que le brut de schiste (oil shale) est en train de devenir la ressource dominante de brut aux USA. Les coûts de production de l'Aramco d'Arabie me semblent e sous-estimés. C'est sûrement pour la rendre plus attractive pour sa récente entrée à la bourse (Tadawul ) de Ryad. Maintenant, s'agissant du coût moyen de production du brut algérien (Sahara Blend), le ministre de l'Énergie a indiqué qu'il est de 14 dollars le baril, et que l'essentiel de la production algérienne se trouve dans les champs de Hassi-Messaoud, qui lui a un coût moyen de production de 5 dollars tout au plus, le baril. Cette déclaration date du 23 avril 2020 lors du JT du 20h, sur l'ENTV, par le ministre de l'Energie. Ce coût est bas par rapport aux autres gisements algériens. La raison réside dans sa production plus importante. Plus la production est élevée, moindre est son coût de revient. Selon M. le président de la République algérienne, lors de sa conférence de presse du 1er Mai 2020, à 21h, sur la Chaîne de Télévision ENTV, le coût du baril du brut de Hassi Messaoud oscille entre 5 et 6 dollars. Il a reproché lors de cette même conférence, à certaines personnes, d'avancer des affirmations partiales. C'est à croire qu'il a lu votre article du jeudi 30 avril paru dans 'Le Quotidien d'Oran'. Comme vous pouvez le constater, seule l'Arabie a un coût de production inférieur et encore que de 2 dollars " de plus, en moins " seulement. Avancer que le " coût de production du pétrole de Hassi Messaoud est l'un des plus chers au monde " est certainement allé vite en besogne. Le Royaume Uni, le Brésil, le Nigéria, le Venezuela et le Canada sont les pays qui ont les coûts de production les plus élevés. Il y a un coût qui, me semble-til, est ignoré, c'est celui de vente pour l'équilibre budgétaire, le 'Breakeven cost' qui tient compte des volumes nécessaires pour couvrir les dépenses et permettre de faire un profit. Le comblement des dépenses est plus rapide quand la production est plus grande. Il est impératif, pour nous, de connaître le coût de production en temps réel et avoir la réactivité adéquate pour apporter les correctifs nécessaires rapidement. En ce qui concerne l'injection d'eau, vous affirmez : " Le programme de Hassi Messaoud qui était une expérience tentée par SN REPAL (devenue plus tard Elf) et CFPA (devenue Total) a été généralisé à tous les champs importants de Sonatrach, soit en injectant du gaz, soit en injectant de l'eau, soit en injectant les deux à la fois. Au lieu d'exploiter tranquillement un gisement, on a choisi la voie accélérée de son exploitation qui a montré ses limites». Une pareille affirmation ne doit ni être avancée à la légère ni être acceptée aveuglément. Heureusement que la récupération secondaire a été généralisée à tous les champs algériens. Concernant la loi «n° 86-14 du 19 août 1986 relative aux activités de prospection, de recherche, d'exploitation et de transport, par canalisation, des hydrocarbures,» que vous mentionnez dans le préambule de votre article, elle stipule dans son article 14 ce qui suit : «Le titulaire d'un permis d'exploitation est tenu d'appliquer à la délimitation, à la mise en production et l'exploitation, les règles et méthodes permettant de préserver les gisements, et d'assurer leur conservation ». Cela veut dire pour les pétroliers, en termes moins alambiqués, une préservation par injection d'un liquide, d'un gaz ou de produits chimiques. C'est la seule technique connue, pour le moment, pour " préserver et conserver les gisements. " Sur le champ de Hassi Messaoud, mis en production le 7 janvier 1958 avec 9 puits (4 REPAL et 5 CFPA) en service, l'injection pour la récupération secondaire de brut a d'abord commencée avec du gaz miscible à haute pression, en 1964, puis par une injection alternée d'eau et de gaz. La première étape de production dite, " production primaire " de tout gisement, se fait par la pression du gisement lui-même grâce aux gaz dissous dans le pétrole : c'est le " gaz drive " en anglais. Quand la pression du gisement baisse ce qui est inéluctable à cause du soutirage, le gaz qui est en solution dans le pétrole s'échappe. C'est comme, si vous me permettez la comparaison, lorsqu'on ouvre une bouteille de limonade, du gaz (co2) s'échappe amenant avec lui un peu de limonade, mais l'essentiel de la limonade reste dans la bouteille. Dans un gisement c'est pareil et si on laisse la pression chuter, il arrive un moment où la production de gaz l'emporte sur la production de pétrole, ce qui n'est pas acceptable pour un gisement censé produire du pétrole et non du gaz. D'où l'idée géniale, d'injecter de l'eau pour, d'une part, contrôler l'arrivée de gaz en le maintenant en solution dans le brut, et de l'autre créer un front d'eau qui accomplit un " balayage " du pétrole vers les puits producteurs. Certains gisements ont, en bas de leur structure des aquifères qui sont actives et qui font la même chose. Malheureusement ce n'est pas le cas de nos gisements. Ce cas d'aquifère active est très rare dans le monde. Concomitamment à l'injection, un suivi du gaz produit est essentiel à la préservation du gisement. Le gaz produit est contrôlé par un suivi du rapport gaz-huile (GOR). Tous les puits qui ont un GOR élevé sont fermés. Un GOR est élevé quand le gaz produit est supérieur au gaz initial qui est dissous dans le brut. J'espère ne pas avoir été barbant dans cette tentative d'explication. La première application de l'injection d'eau a résulté d'une injection d'eau accidentelle dans des gisements, par les pluies et par des débordements de fleuves, sur le champ de Bradford Field en Pennsylvanie USA. Des opérateurs ont remarqué que l'infiltration accidentelle d'eau dans des puits abandonnés a augmenté la production d'huile des puits producteurs adjacents. Les résultats extraordinaires tirés de ces injections d'eau accidentelles, mais naturelles a fait germer l'idée d'appliquer, de manière artificielle, ce qui a été fait par la nature. Des géologues ont suggéré, alors, d'injecter de l'eau et d'imiter la nature. La première expérience de récupération secondaire de pétrole a été donc appliquée sur le champ de Bradford Field, en Pennsylvanie, en 1896. Eh oui, en 1896 au 19ème siècle ! Comme vous pouvez le constater la REPAL/CFPA n'a pas expérimenté, comme vous dites, sur le gisement de Hassi-Messaoud. Cette décision d'injection n'a pas été faite " Ex nihilo ", elle est basée sur une longue expérience américaine, qui a donné des preuves de son efficacité. A l'époque cette méthode d'injecter de l'eau dans le gisement était interdite par la loi. Devant les résultats exceptionnels obtenus, cette méthode fut finalement légalisée, en 1921, par la législation de l'Etat de Pennsylvanie. Un autre exemple d'injection à grande échelle, est celui de l'East Texas Field qui avait 27.500 (je dis bien 27.500) puits producteurs avec des puits injecteurs (75 puits) dans l'aquifère en bas de la structure. La profondeur moyenne est de 1.000 m. C'est le second plus grand gisement des USA, hors Alaska, avec une superficie de 576 km² i.e. : 72 km de long et 8 km de large. Plus de 5 milliards de barils ont été produits, depuis sa mise en production en 1930 et il est toujours en service. En juin 1947, 82.000 m³ par jour sont injectés dans l'aquifère de l'East Texas Field, ce qui a permis de maintenir la pression dans le gisement à 110 bars. Il y a des centaines d'exemples comme ces deux-là datant de cette époque qui peuvent être cités. De nos jours des milliers, je dis bien des milliers, si ce ne sont pas des dizaines de milliers de champs de pétrole qui sont exploités de cette manière, à travers le monde. Ces informations ont été tirées d'un livre intitulé : «Pétroleum Production Engineering, par le Professeur Lester Charles Uren Professeur de Petroleum Engineering de l'Université of California». (pages 538 et 539). Chez nous cette technique de production a commencé en 1964 par la REPAL/CFPA pour Hassi-Messaoud, Un autre champ celui de Zarzaitine à In-Amenas a fait l'objet d'une injection d'eau en 1965 par la CREPS. Le volume d'eau prévu pour être injecté était de 30.000 m³ par jour. Le taux de récupération finale prévue est de 47% au lieu de 20% en production primaire «mode d'exploitation tranquille» comme vous le nommez dans votre article. Il se trouve encore aujourd'hui, certains pour mettre en doute cette technique et la rejeter en bloc. La production primaire «La production tranquille» que vous préconisez ne permet la récupération que 20% des réserves en place. La récupération assistée par injection d'eau, de gaz ou les deux permet d'augmenter, cette même récupération, de 40%, voire plus. Plus tôt on procède à l'injection mieux c'est. Le taux de récupération finale de Zarzaitine (In-Amenas) cité plus haut est prévu être de 47%. La production totale produite de 1960 à 2019 est de 150 millions de m³ soit 40,7% des réserves initiales en place. L'accord conclu entre Sonatrach et Sinopec (Chine) en 2007, vise même porter cette récupération à 50% des réserves initiales en place. Ce taux est 2.5 fois plus élevé que la récupération " tranquille ", qui est, je le rappelle, de 20%. Pour Hassi R'Mel le principe est similaire, sauf qu'il s'agit dans ce cas d'un champ de gaz et que dans ce gaz il y a des liquides (condensat) sous forme de gouttelettes. La richesse de ce gaz réside, non seulement, dans le gaz lui-même, mais aussi dans le condensat qu'il contient. Quand la pression chute due aux soutirages de gaz, des gouttelettes de condensat se détachent par précipitions dans le gisement, c'est ce qu'on appelle dans le jargon pétrolier «condensation rétrograde». Ce condensat rétrograde est perdu et ne sera jamais produit. Pour pouvoir garder ce condensat dans le gaz et pouvoir ainsi le produire, il faut empêcher la chute de la pression dans le gisement, et pour empêcher la chute de pression il faut injecter du gaz. C'est la raison pour laquelle la moitié du gaz produit est réinjecté. Ce volume étant insuffisant on a fait appel au gaz d'autres gisements, moins importants, comme le gisement d'Alrar, par exemple. Hassi-R'mel est un gisement géant. Le but de cette injection est de compenser les volumes de gaz et de condensat soutirés. La règle d'or de toute récupération secondaire, soit par injection d'eau, de gaz ou de tout autre produit, est de compenser le vide créé dans le gisement dû au soutirage en injectant un volume égal au volume soutiré, dans la mesure du possible (ce qui est difficilement réalisable en termes de volume). Le but recherché est de préserver au maximum la pression du gisement et la garder la plus élevée possible. Seule la pression permet de ramener le maximum de liquide du fond des puits vers la surface. Je ne sais plus quoi dire de plus devant de telles présomptions. Je suis à court d'arguments. Voilà, donc, mes commentaires à votre article. J'espère avoir été convaincant. Je vous souhaite un Ramadhan Karim à vous, à tous vos proches ainsi qu'aux lecteurs du Quotidien d'Oran. *Retraité Sonatrach/Amont-Aval |