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Cela fait une année déjà, depuis une semaine, qu'est mort en silence et
enterré sans aucune pompe, accompagné seulement de ses proches et de ses
intimes, notre frère et regretté Mohamed Senouci, co-lauréat du prix Nobel de
la Paix. Il est allé rejoindre sa dernière demeure, en ce 16 mai de l'année
2014.
Oui, il est parti dans la douleur des siens et dans le silence olympien des grands, de ceux qui se sont installés dans les vertus plutôt que dans l'éloge et l'encensement. Il est parti, dans la stricte intimité, lui qui alertait, indéfiniment, pour nous faire comprendre, avec la conviction du militant et la rigueur du scientifique, que notre planète est menacée, qu'elle est à l'orée de complications multiples qui se manifestent d'ores et déjà, et qui apparaîtront davantage, au fil des années, pour bouleverser notre environnement et le profaner encore plus, pour ne pas dire le souiller. A ce propos, il disait souvent que «l'homme n'est pas conscient qu'il est en train d'altérer l'équilibre de la terre et son harmonie, sans réfléchir aux conséquences». Il développait, avec la force de conviction qui était sienne, que l'environnement, la biodiversité et notre propre santé sont en péril si l'on continue à en jouir démesurément sans consacrer les efforts nécessaires et les moyens indispensables pour les préserver. Il évoquait à l'envi ce proverbe indien repris par Saint-Exupéry: «Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, ce sont nos enfants qui nous la prêtent». Ainsi, en ce 1er anniversaire de sa disparition, il est utile de le présenter très brièvement à nos enfants, à nos jeunes et aux moins jeunes, qui ne le connaissaient pas et qui seront étonnés, peut-être, d'apprendre que l'Algérie a eu quand même son prix Nobel de la Paix, en la personne du Pr. Mohamed Senouci, qui en a été co-lauréat, en 2007, avec M. Al Gore, ancien vice-président des USA, et l'ensemble des membres du GIEC, «Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat», dont il était l'un des membres actifs. En effet, prix Nobel de la Paix, car de tout temps, le Pr. Mohamed Senouci, climatologue de profession, a su être un grand militant de la cause écologiste. Et là où il se trouvait, dans d'importantes missions, au pays, comme à l'extérieur au niveau d'organisations internationales, il ne lésinait sur aucune expression pour éveiller les consciences, expliquer, sensibiliser et mettre le doigt sur les dangers qu'encourt notre planète. C'est dire sa préoccupation constante et persistante pour ce domaine auquel il a consacré une bonne partie de sa vie, après de brillantes études qui lui ont permis de mener tant de missions délicates et non moins passionnantes. Sa satisfaction morale et intellectuelle, il la trouvait auprès de ces centaines de météorologues et climatologues algériens et africains qu'il a formés, chez qui il a fait naître de véritables vocations et qui lui vouent, aujourd'hui encore, un respect infini. Il a eu, également, à répondre à d'innombrables sollicitations internationales, à diriger de nombreux projets et nous allons nous arrêter sur quelques-uns, parmi les plus importants, parce que sa carrière dans ce registre a été très riche, très élaborée. Nous citerons le Projet Nostrum-DSS (concernant la gestion stratégique des ressources en eau en Méditerranée) de 2004 à 2007 et le Projet Impacts des changements climatiques en Méditerranée (Circe) de 2008 à 2010. De même qu'il était membre du Projet de Recherche (Ricamare) sur les impacts des changements climatiques sur les ressources en eau en Algérie et coauteur de l'ouvrage collectif, intitulé «Changement climatique, enjeux et perspectives au Maghreb», Unesco, 2009. Et, parallèlement à son engagement au sein du GIEC, dans lequel il a œuvré en qualité de «reviewer» dans l'élaboration du 4e rapport (4th Assessment Report) de 2005 à 2007 (d'où sa distinction en tant que co-lauréat du prix Nobel de la Paix), il est devenu Point focal national pour ce groupe d'experts, depuis 2012 jusqu'à ce jour inévitable du I6 mai 2014 où son destin s'est accompli. Sa conviction du rôle nécessaire de la société civile l'a amené à fonder en 1993 l'Association pour la recherche sur le climat et l'environnement (ARCE) dont ses amis s'évertuent à poursuivre l'œuvre. Le Pr. Mohamed Senouci n'est plus, mais son souvenir demeure vivace chez ses enfants, sa famille, ses proches, ses amis et toute la communauté scientifique œuvrant sur le climat et l'environnement. Tous ceux-là, de même que l'ensemble de ses étudiants, et ils sont nombreux, ressentent un vide terrible. Il n'est plus, en effet, mais ses idées sont encore là, bien ancrées, indélébiles, dans ce vaste domaine de l'environnement où il luttait, inlassablement, honnêtement, sincèrement, pour que tous se débarrassent de cette obligeance mal placée, afin de dépasser les intérêts égoïstes des Etats. Ainsi, aujourd'hui, à l'approche de la Conférence de Paris sur le climat, en décembre 2015 (la rencontre de la dernière chance pour la planète, nous dit-on), gageons, sans risque de nous tromper, que le Pr. Mohamed Senouci aurait été certainement, si Dieu lui avait prêté vie, un acteur très actif dans ces assises, parce qu'il aurait défendu l'idée d'une participation et d'un engagement plus poussé des acteurs locaux et de la société civile en général. Mais aujourd'hui, en l'évoquant, nous disons: à chacun son destin. Et notre frère Mohamed a vécu le sien jusqu'à ce 16 mai de l'année 2014. N'est-ce pas que «le malheur est ce moyen que Dieu a trouvé pour reprendre la générosité aux âmes bonnes, l'éclat aux belles et la pitié aux sensibles», comme disait le diplomate et dramaturge Jean Giraudoux ? Il s'en est allé, convaincu de ses idées, de sa ligne de conduite, de son apport concret à ses semblables, en somme après une existence bien remplie, où il a occupé sa place dans ce monde, dans la société, avec droiture, engagement, générosité et humanisme. Avec piété également, lui qui trouvait dans la dévotion et la pratique de la foi une source de sérénité. Alors, il n'est peut-être pas superflu, en ce jour anniversaire, de nous arrêter sur ces valeurs ancestrales qui l'ont anobli, car il en possédait bien d'autres, assurément, lui qui vivait dans le perpétuel mouvement du don de soi et du sacrifice. Cependant, même s'il n'est pas opportun d'aller vers le dithyrambe, nous pouvons affirmer que notre cher Mohamed avait constamment cet immense plaisir à se rendre utile, avec la modestie des «Grandes âmes», celles qui refusent les louanges et vont dans le sens de cet éclat qu'il soit permis d'ajouter à la réussite de l'homme. Voici pour les jeunes, et les moins jeunes ? nous le répétons ? celui qui, jusqu'à son passage dans l'au-delà, n'avait rien perdu de sa contenance, de ses espoirs de voir notre monde plus sain, plus juste et plus équitable aussi?, celui que tous aimaient et qui faisait montre de capacités remarquables. Le Pr. Mohamed Senouci, un Homme de qualité, un savant de ce siècle, sage, pondéré et mesuré, a tiré sa révérence au moment où son pays, voire le monde entier, avaient encore besoin de lui. Et nous, c'est-à-dire ses parents, ses amis, ses élèves, que pouvons-nous dire, que pouvons-nous faire devant cette décision divine, si ce n'est d'élever une forte et pieuse prière en demandant au Tout-Puissant de t'accueillir dans Son Vaste Paradis. * Auteur |