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Une société sans charité est vouée à l'échec

par Timothy Radcliffe*

ROME - Chaque année à Pâques, les chrétiens se souviennent que lors de la dernière Cène, à la veille de la crucifixion de Jésus, l'espoir semblait perdu. La plupart des amis les plus proches de Jésus étaient sur le point de le renier et de l'abandonner. Tout ce qui l'attendait, c'était la torture et une mort atroce.

Dans ce moment de désespoir, Jésus s'est cependant offert à tous, en donnant du pain aux disciples et en disant : «Ceci est mon corps donné pour vous». Cet acte d'espérance s'est prolongé jusqu'au matin de Pâques, lorsque la vie a triomphé de la mort, l'amour de la haine et le don divin de la main de l'homme.

Alors que nous pleurons la mort du pape François, notre espoir, en ce dimanche de Pâques, est que même les plus petits actes de bonté peuvent porter des fruits au-delà de notre imagination. Souvenons-nous que face à 5 000 personnes affamées, les disciples n'ont pu rassembler que cinq pains et deux poissons. Mais cela a suffi pour nourrir tout le monde, avec la bénédiction du maître de la moisson.

Notre monde est en proie à la pauvreté et à la violence - des problèmes qui semblent impossibles à résoudre - à une époque où l'ordre mondial de l'après-guerre risque de s'effondrer. Les organisations caritatives chrétiennes - Catholic Relief Services, World Vision, Samaritan's Purse et Jesuit Refugee Service, pour n'en citer que quelques-unes - jouent un rôle admirable dans l'atténuation de ces souffrances. Alors que tant de personnes n'ont aucun espoir pour l'avenir, les efforts de ces organisations caritatives aux États-Unis et dans le monde sont fondamentaux pour notre foi.

Ce rôle deviendra encore plus important dans les années à venir, car les grandes économies réduisent leurs budgets d'aide à l'étranger, infligeant de profonds dommages aux personnes vulnérables, chacune d'entre elles étant créée à l'image de Dieu. La nouvelle initiative de suivi numérique de l'université de Boston estime que le gel quasi total du financement et de la programmation de l'aide étrangère des États-Unis depuis janvier a déjà entraîné la mort de plus de 68 000 adultes et de plus de 142 000 enfants.

Le judaïsme et l'islam insistent également sur le fait que la charité est un élément essentiel de la vie de foi, et non une option facultative. Le mot «charité » vient du latin caritas, qui signifie «amour». En ce sens, les œuvres caritatives expriment ce qui est fondamental pour notre dignité humaine : la capacité de donner librement et de recevoir des cadeaux sans honte.

Il est vrai que certaines aides peuvent être condescendantes et humiliantes, enfermant les personnes dans une culture de la dépendance. Mais ce n'est pas ainsi que travaillent la plupart de ces organisations caritatives. Au contraire, elles reconnaissent que les plus vulnérables et les plus fragiles d'entre nous témoignent d'aspects souvent oubliés de la dignité humaine : la résilience, la solidarité, la dépendance mutuelle, la confiance en Dieu et en l'autre, et la gratitude. Jésus dit que quiconque tend la main à «l'un de ces plus petits» la lui tend à lui.

Se détourner des plus pauvres, c'est rejeter Dieu. Avant tout, l'aide soutient la vie familiale, en particulier les femmes et les enfants qu'il devrait être impensable d'abandonner. Nikolaï Berdyaev, philosophe existentialiste russe, a écrit : « Le pain pour moi est une question matérielle; le pain pour mon prochain est une question spirituelle». Pour les chrétiens, l'acte ultime de don est illustré par le sang versé par le Christ sur la croix. Pour nous tous, religieux ou non, la charité est le sang qui donne la vie, qui circule dans le corps de la société, nourrissant la vie par sa bonté.

Dans ce contexte, les récentes informations publiées par Reuters, Bloomberg, le New York Times et le Financial Times, selon lesquelles le gouvernement américain pourrait imposer de nouvelles restrictions aux dons caritatifs, sont profondément inquiétantes.

La capacité des organisations caritatives, des bailleurs de fonds et des organismes philanthropiques à fonctionner et à apporter leur soutien sans entrave aux États-Unis et dans le monde est vitale non seulement pour ceux qui bénéficient de l'aide, mais aussi pour ceux qui la donnent. Une société dans laquelle les dons caritatifs sont délibérément restreints serait elle-même condamnée à la pauvreté, tant financière que morale.

Le pape François a consacré sa vie à servir les pauvres et à lutter contre l'injustice. Son dernier message de Pâques Urbi et Orbi mérite réflexion : « Je lance un appel à tous ceux qui exercent des responsabilités politiques dans notre monde pour qu'ils ne cèdent pas à la logique de la peur, qui ne conduit qu'à l'isolement des autres, mais qu'ils utilisent plutôt les ressources disponibles pour aider les nécessiteux, lutter contre la faim et encourager les initiatives qui favorisent le développement.»

L'espérance, la foi et la charité sont les vertus fondamentales du christianisme. Bien que beaucoup d'entre nous aient manqué d'espoir à Pâques, notre foi reste forte, tout comme notre engagement commun en faveur de la charité.



*Premier Anglais à être élu maître de l'Ordre dominicain mondial en 800 ans d'histoire, a été nommé cardinal par le pape François le 9 décembre 2024.