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En 2014, Abdelwahad Rahim, cofondateur et Président de l'Algerian
International Diaspora Association soulignait, dans le site de l'association,
que « Nous sommes nombreux a avoir réussi notre intégration dans tous les pays
où nous nous trouvons ». Ses propos illustrent à plus d'un titre les tentatives
d'influence exercées par les idées dites progressistes, portées par les élites
libérales intégrationnistes acquises à la culture occidentale, sur les esprits
prêts à les entendre. En effet, l'AIDA vise à :
« encourager l'implication de la diaspora en utilisant ses capacités, son savoir-faire, son influence et sa solidarité dans la vie sociale de chaque pays où elle est présente [ainsi qu'à] participer à la promotion de la diaspora en contribuant à son intégration et à son épanouissement dans la vie sociale de chaque pays où elle est présente ». Aussi au lendemain de la victoire électorale du Président sortant Abdelaziz Bouteflika, en mai de la même année, ce dernier indiquait-il, dans le cadre du Plan d'action du gouvernement pour la mise en oeuvre du programme du Président de la République, les grandes lignes de la politique extérieure ainsi que les actions en faveur de la communauté nationale établie à l'étranger (chapitre septième). « La communauté nationale à l'étranger a toujours constitué une préoccupation majeure de l'Etat algérien, qui s'emploie à renforcer les liens de cette communauté avec son pays d'origine [?]. Outre des mesures visant à assouplir les procédures de gestion consulaire, des actions seront engagées pour améliorer les conditions d'accueil des citoyens, le renforcement de la protection consulaire et judiciaire, soutenir le mouvement associatif algérien et créer des passerelles avec notamment les compétences nationales à l'étranger. » Ainsi, deux tendances contradictoires s'affrontent : l'intégrationnisme procédant de l'assimilationnisme de type colonial, d'une part, et le revivalisme suivant le mouvement « back to Africa » conduit par Marcus Garvey dans les années 1920, d'autre part. L'émergence de ce nouveau paradigme migratoire sous la forme du rapatriement, autrement dit, l'effet retour des migrations mean stream, réside dans l'échec des politiques assimilationnistes menées en France dans le cadre de la « tyrannie du national »[1]. Il n'est que de constater sur ce point les effets pervers de l'immigration : le déclassement social, le basculement dans l'indigence, le cantonnement dans des quartiers pauvres ségrégés, les réactions xénophobes, la déculturation et l'un de ses corollaires la déconstruction identitaire. Homi K. Bhabha[2] parle en ce sens de « mimétisme fétide » pour qualifier le comportement du « nouvel indigénat d'élite acquis au diktat de la culture occidentale prétendument universelle ». Ce faisant, selon l'historien indien, ce phénomène de « cultural translation », sous la houlette d'élites inféodées au prisme néo-colonial de nature ultra-libérale, participe de l'entreprise de légitimation de la domination culturelle et partant de l'aliénation à la culture occidentale par le consentement[3]. Plus encore, la vision même que l'on porte sur les migrations dites conventionnelles a changé. Un schéma entêtant, celui du mythe de l'El Dorado devenu nocif qui se trouve reconsidéré aujourd'hui par les « champs d'expérience » d'Algériens diasporiques. Autre lieu commun : l'idée que le rapatriement représenterait une forme de discrédit sinon un éveil sporadique ; bref, un processus embryonnaire à rebours d'un haut degré de conscience nationale. Or, on a pu souligner depuis le début des années 2000, concomitamment avec la fin de la « décennie noire », la prévalence des migrations vers l'Algérie, précisément, de jeunes diplômés issus des deuxième et troisième générations d'Algériens de l'étranger, qualifiés de « manipulateurs de symboles » appartenant à la nouvelle « classe créative »[4] et constituant sans doute de nouveaux agents de l'occidentalisme. Dans ce contexte, les migrations mean stream ne constituent pas des invariants historiques ou encore des formes de mobilités immuables : elles se révèlent évolutives et constitutives des nouveaux « horizons d'attente » d'Algériens de la diaspora motivés certes par un double sentiment mercantile et identitaire. Cette évolution symbolise de la façon la plus nette la mutation des représentations : alors que la France fut longtemps considérée comme le lieu irénique d'une « histoire imaginée »[5], les Algériens y voient désormais un territoire organique hostile en contradiction avec leurs intérêts. En effet, les mouvements migratoires, notamment brain drain, depuis la fin de la période coloniale, ont conduit tout bonnement à l'érosion de la fighting spirit dépossédant le pays de sa force vive. En tout état de cause, cette évolution récente est nécessaire compte tenu de l'état actuel de l'Algérie, affranchie du carcan colonial, et de la France, déclassée à la faveur de la mondialisation ou la « grande transition »[6]. [1] Gérard NOIRIEL, La tyrannie du National, le droit d'asile en Europe (1793-1993), Paris, Calmann-Lévy, 1991. [2] Homi K. Bhabha, Les lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007. [3] E. P. THOMPSON, Customs in Common : Studies in Traditional Popular Culture, London, Merlin Press, 1991. [4] Richard FLORIDA, The Rise of the Creative Class, New York, Basic Book, 2002. [5] Pierre BIRNBAUM, La France imaginée, Paris, Editions Fayard, 1998. [6] Pierre VELTZ, La grande transition : La France dans le monde qui vient, Paris, Seuil, 2008. |
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