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On peut affirmer que la Libye est un pays qui réunit les caractéristiques
d'un Etat défaillant. Depuis 2011, cet Etat a été démantelé par les acteurs
libyens eux mêmes. La sécurité du pays est l'otage de forces opposées, le
GNC(General National Congres) soutenu par des milices armées affiliées s'est
imposé dans les institutions à Tripoli, une décomposition territoriale du pays
est à l'œuvre imbriquant facteur tribal, logique d'intérêts et volontés
sécessionnistes. Les installations pétrolières ?nerf de la guerre et source de
trafics- sont en partie contrôlées par les milices, la production pétrolière
s'est effondrée et le territoire est devenu un marché d'armes à ciel ouvert
ainsi qu' une terre de parcours pour les groupes terroristes et les trafiquants
en tous genres.
Les acteurs politiques y sont souvent affiliés à des milices armées ou sont sous leur coupe de sorte qu'il serait difficile pour les acteurs politiques d'avoir le dernier mot dans le contexte d'une solution politique. Tout semble indiquer que La Libye a perdu le contrôle de son destin. Le gouvernement officiel installé à Tobrouk s'en remet pour l'heure à «la communauté internationale» pour l'aider à surmonter le conflit interne et à reconquérir la souveraineté du pays. Ce gouvernement n'ayant qu'un contrôle parcellaire du territoire, est toujours soumis à un embargo sur les armes et se voit privé des moyens de défense dont il dit avoir besoin pour assurer la sécurité dans le pays. Alors que les fournisseurs d'armes officiels se refusent à faire confiance aux autorités en place, arguant qu'un supplément d'armes compromettrait toute sortie de crise, les milices armées et les colonnes de «l'EI» sont abondamment approvisionnées. Les milices sont en surcapacité de nuisance et deviennent de facto des acteurs «politiques» à part entière. Donnée majeure récente, la pénétration en force de la légion «EI». Celle-ci risque fort de phagocyter les milices locales ou de s'allier avec certaines d'entre elles comme c'est déjà le cas (Ansar Sharia, le conseil de la shoura de la jeunesse islamique de Derna). C'est une menace réelle qui n'est pas sans conséquence pour la sécurité dans la région. Dans cette configuration globale, et dans les circonstances prévalant actuellement, le levier du dialogue politique rique fort d'être de peu d'effet sur le rapport de forces sur le terrain; il est encore moins évident qu'un gouvernement d'union nationale, encore virtuel à ce stade, pourrait renverser ce rapport de force militaire et parvenir à éjecter de Libye les terroristes surarmées affiliés à «daech». L'expérience algérienne a démontré la validité d'un préalable vieux comme les conflits: le dialogue intervient une fois assurée la victoire militaire sur les groupes armés. En Algérie, le dialogue sous ses diverses formes est intervenu en phase finale pour neutraliser le «terrorisme résiduel». Dans le cas libyen, se peut-il que l'Etat, désarmé et démembré, puisse, tout seul et sans moyens, gagner cette bataille aux plans politique et militaire alors même qu'elle prend une dimension de «proxy war»? La reconstruction d'un Etat fort d'une légitimité politique consensuelle prendra nécessairement du temps, alors que le compte à rebours a commencé. Malgré le soutien de «la communauté internationale» pour un dialogue inclusif, le dialogue même risque de marquer le pas au désavantage de la sécurité dans toute la région. Pour endiguer cette insécurité, certains pays ont évoqué l'option militaire. Les réticences immédiates qui se sont alors exprimées sont loin d'être infondées en raison de la complexité sur le terrain. D'autres redoutent les conséquences désastreuses d'une intervention étrangère. D'autres oppositions enfin ont pour objectif de laisser le temps à cette légion étrangère de prendre racines dans le Maghreb en profitant de la faiblesse extrême de l'Etat libyen. Ainsi, les bonnes et les mauvaises raisons donnent l'avantage à l'«EI» et laissent la Libye dans sa solitude au plan militaire. Il est vrai que les interventions militaires en Afghanistan et en Irak ne sont pas un modèle de réussite; ces coalitions internationales n'ont été ni victorieuses ni glorieuses: elles ont laissé derrière elles des pays dévastés où le terrorisme a éclos. On ne peut pas dire non plus que celle de l'Otan en Libye ait été plus glorieuse, ni affirmer que celle de la coalition internationale en Irak puisse contribuer à abattre «daech». Il y a ainsi une sorte de «dilemme stratégique»: le dialogue à lui seul n'est pas suffisant, une intervention telle que celle menée par les Etats-Unis ou l'Otan, s'avère en général contre productive, mais l'absence d'une «stratégie internationale» pour contrer l'«EI» aurait des conséquences non moins désastreuses. Les marges de manœuvre de la «communauté internationale» sont donc des plus étroites, alors que le temps qui passe joue en faveur de «l'EI». Il faut redouter qu'une occupation du vide désertique vienne ouvrir le chemin vers les frontières de la Tunisie et de l'Algérie, et facilite les jonctions entre djihadistes du Sahel. «L' EI» pourrait dans la foulée de cette percée dans le Sahara libyen réitérer sa stratégie de prise de contrôle des sites pétroliers comme elle pourrait le faire du site pétrolier de El Sharata, l'une des plus importante du pays, actuellement sous contrôle de Fadjr Libya dont une partie des forces s'est alliée à «l' EI». A la lumière de cette nouvelle donne, l'option d'une assistance à l'Etat libyen pour lui permettre de reconstituer ses forces ne revêtirait-il pas en un caractère d'urgence? La Libye a de fait plaidé devant le Conseil de Sécurité pour une «stratégie internationale» et regretté de n'être pas entendue lorsqu'elle demande une levée de l'embargo sur les armes et la mise en place d'un blocus naval empêchant les armes de parvenir aux terroristes à partir des zones côtières non contrôlées (l'Italie craint pour sa part une menace sur la station de compression de Mellitah et le gazoduc reliant la Libye à la Sicile). Les grandes puissances quant à elles misent sur l'aboutissement d'un dialogue politique inclusif n'excluant pas à priori des représentants des factions islamistes radicales, puisque la tendance se dessine pour légitimer les «autorités» de Tripoli formellement non reconnues par la communauté internationale (Le Maroc, le Qatar et la Turquie s'y emploient aussi, ainsi que les Etats Unis et la GB; les négociations en cours actuellement au Maroc se déroulent d'ailleurs entre les autorités reconnues et le congrès général national de Tripoli). Ne pouvant attendre l'issue du dialogue, le gouvernement reconnu vient d'introduire une demande de dérogation auprès du comité des sanctions de l'Onu pour acquérir des Mig, des tanks et des hélicoptères auprès de la Tchéquie et de la Serbie notamment. Par ailleurs, le Premier Ministre libyen vient de se déplacer en Jordanie en vue d'une coordination anti terroriste (se déplacera t-il en Algérie ?). Cette ligne politique traduit sans doute une volonté de ne pas s'impliquer davantage dans ce conflit. Les Etats Unis font profil bas suite à l'assassinat de leur ambassadeur et ont par ailleurs fort affaire au Moyen-Orient, tout gardant la main au plan diplomatique. L'UE de son côté est concentrée sur le conflit en Ukraine et son bras de fer avec la Russie et -non sans raison- n'est aucunement disposée à se lancer dans une nouvelle «aventure militaire» en Libye tout en projetant d'examiner la question au cours du sommet de la mi mars. Cette volonté d'un dialogue inclusif à la façon anglo-américaine, n'est pas sans rappeler les pressions exercées à l'époque sur l'Algérie afin qu'elle inclut des représentants des mouvements islamistes prônant la violence dans le cadre d'un dialogue de sortie de crise. La demande insistante des USA et de la GB en particulier s'inscrivent dans cette optique. C'est une «stratégie» que l'Algérie a pu contrer mais elle semble bien se renouveler face aux crises dans le monde arabe. A défaut d'une «stratégie internationale» consensuelle qui peine à se dessiner, les pays voisins de la Libye pourraient envisager une réponse rapide dans le cadre d'une «coalition régionale» dont l'objectif serait de prêter assistance au gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale en vue de renforcer ses capacités militaires. Cela pourrait se faire en accord avec leur doctrine et leurs moyens respectifs. Une réponse qui associerait l'Italie, qui en appelle à une réaction rapide, ainsi que la France dont la connaissance du Sahel et la présence sur le terrain sont des atouts certains pour combattre un terrorisme qui se métastase dans toute la région. * Ex Ambassadeur |
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