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Premier tableau. Un chaos ou quelque chose qui y ressemblerait. Du blanc,
plus ou moins sale, partout. Sur les arbres. Sur le bas-côté, sur les
glissières, sur ce qui reste de goudron encore visible, sur les voitures, sur
le pare-brise où les essuie-glaces peinent à balayer les flocons qui s'abattent
en rafales. Il est midi mais on dirait que la nuit est déjà tombée. Panique
générale. Les uns se rangent sur la bande d'arrêt d'urgence. D'autres stoppent
sans crier gare, les feux de détresse à peine visibles. Le code de la route a
beau l'interdire, les voici qui chaînent leur pneus sur place. Enfin, qui
essaient, doigts gourds, souffle court et mode d'emploi déjà trempé à la main.
Ça va au ski mais ça ne sait pas monter des chaînes. Ça va au ski mais ça veut
pas acheter des pneus alpins? Pneus que la législation s'entête d'ailleurs à ne
pas rendre obligatoires en ces hautes vallées et montagnes. Mais voici qu'un
chasse-neige entre en action. Puis un autre. Ils déblaient lentement, «jusqu'au
noir». Des excités de la moyenne horaire s'impatientent. Une, deux, ou trois
manœuvres dangereuses et les voici qui doublent les engins. On les retrouvera
quelques kilomètres plus loin, cul de travers sur la patinoire. De toutes les
façons, il n'y a plus rien à faire. Les tunnels sont fermés et, au pied d'un
col, quelque part à proximité des maquis de l'Ain, un camion, pourtant interdit
de circulation, s'est renversé. Sur 107.7, la radio bouqalaq (radio-stress), il
se dit que des centres d'accueil ont déjà ouvert, que lits et couvertures sont
prêts et que les volontaires de la Croix-Rouge font chauffer thé et café. Un
peu d'organisation et de générosité pour compenser beaucoup de
sous-développement et d'incivisme?
Deuxième tableau. Milieu de semaine, très très tard dans la nuit. L'homme se tient debout au milieu de la rue verglacée. Bras ballants, poings serrés, chemise ouverte, pantalon baissé jusqu'aux mollets et attributs pendouillant au grand froid. Il crie. Non, il hurle et la buée qui s'échappe de son gosier certainement bien rincé masque de temps à autre son visage rond. Avec son lourd accent cockney, il insulte le monde entier. Arsenal qui vient de perdre contre Monaco. Manchester City qui n'a pas fait mieux contre le Barça. Tout y passe. La France, les Français, les Arabes et les Noirs. Le bar-discothèque qui vient de le mettre dehors a droit aussi à son chapelet. Une femme, blonde, grosse doudoune et après-skis fluos, vient vers lui. Elle le supplie de se calmer et de la suivre. Elle aussi encaisseson flot d'injures avec le verbe en «f» comme virgule répétée à l'envi. Deux hommes font leur apparition, presque aussi saouls que lui, incapables de marcher droit, se laissant glisser mais en arrivant toujours à éviter la chute. Chaque insulte les fait rire aux éclats. Les voici d'ailleurs qui s'y mettent eux aussi. Les oreilles d'Arsène Wenger doivent siffler? Ils font ce qu'ils veulent chez nous commentera, le lendemain, un haut-savoyard avec amertume. Et d'assurer, l'air entendu, que la police et la gendarmerie ont reçu pour consigne d'être très tolérants avec ces touristes aux poches pleines de pounds et débarqués en force grâce aux compagnies low-cost qui relient leur île à Genève. Mais revenons au braillard. Epuisé, il s'est assis à même le sol. Ses potes essaient de le soulever. En vain car son derrièrecolle à la glace? Fou rire général. L'un d'eux propose d'uriner pour aider au dégivrage. Finalement, l'autre arrive à se relever seul. L'équipage raffiné s'éloigne, chantant la gloire des Gunners et promettant la guerre aux Monégasques. Troisième tableau. Température et soleil printaniers. La cohorte de glisseurs, dérapeurs, tout-schusseurs sans oublier les inévitables chasse-neigeurs ne cesse de défiler. On entend le crissement de leurs carres bien affutées, on suit leurs arabesques, harmonieuses et fluides pour certains, heurtées et saccadées pour d'autres. Un cours collectif s'engage au sommet d'une piste bleue. Dix ans d'âge au maximum. De futurs flocons, enfin pour celles et ceux qui réussiront à l'examen dont le moniteur ne cesse de leur rebattre les oreilles. Sont pas là pour se faire plaisir, ah ça non ! La petite médaille, faut bien la mériter, faut du stress même en vacances. Une pédagogie bien hexagonale... Le «mono» ouvre la voie, se retournant à peine. Derrière lui, deux ou trois mordus se disputent la primeur de son sillage. Eux, ont déjà compris le système. Il faut barrer la route à l'autre, ne pas hésiter à lui mettre un coup d'épaule s'il le faut. La classification de ceux qui suivent emprunte l'échelle de la prudence croissante. Celui-là, buste un peu trop raide, tête trop penchée en avant, cherche avant tout à ne pas tomber. Celle-là, a visiblement peur de la pente mais garde tout de même son équilibre. Et puis, il y a celui qui ferme la marche. Le pauvre chou a déjà quelques mètres de retard et peine à trouver la bonne trajectoire. Un ado surfeur, bonnet aux pompons multicolores, lui ferme brutalement le passage. Le gamin tombe. L'un de ses skis se décroche. Le temps de se relever, de rechausser, son groupe est déjà loin. Il hésite. Regarde autour de lui et finit par s'assoir dans la neige dont il fait quelques boules pour s'amuser. Les minutes passent. Des trois étoilesdéboulent. Il les regarde filer. Une monitrice s'arrête. Elle lui demande avec lequel de ses collègues il skie. Il ne sait pas. Il a oublié le prénom. Elle hausse les épaules et lui conseille d'attendre sur place. Vingt minutes plus tard, son groupe repasse enfin. Le moniteur s'arrête à grands effets. Remontrances immédiates aveccet avertissement pour conclure avant de rebasculer vers l'aval : «continue comme ça et tu n'auras pas ta médaille?». |
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