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L'Algérie revient à la théorie du crash

par Abed Charef

A défaut d'anticiper les changements, l'Algérie attend les crises pour prendre les grandes décisions. C'est le triomphe de la théorie du crash, la négation même de la politique.

Nabni a été battu à plate couture, écrasé. Le think-tank avait médiatisé l'image d'une Algérie ressemblant à un Titanic se dirigeant droit sur un iceberg, et appelé à changer de cap avant qu'il ne soit trop tard. Tel un mastodonte, le pays est difficile à manœuvrer. Il faut donc entamer les manœuvres bien avant d'aborder l'iceberg. Cinq années étaient nécessaires pour permettre au pays de mener les réformes nécessaires et accueillir en douceur une éventuelle baisse des recettes que procurent les hydrocarbures, selon les calculs de Nabni. Sinon, il ne sera pas possible de mener à bien les manœuvres pour éviter la collision.

Non seulement Nabni n'a pas été entendu, mais une nouvelle théorie, radicalement différente, vient de naître. C'est la théorie du crash. Le concept a été lancé par le ministre des Travaux publics, Abdelkader Kadi. Mardi dernier, ce dernier a affirmé que seul un « crash insurmontable » pourrait contraindre le pays à changer de cap. Commentant les investissements dans le secteur des travaux publics, et l'éventualité de restrictions à cause de la baisse des revenus du pays en devises, M. Kadi a affirmé que tous les programmes sont maintenus. A en croire M. Kadi, le président Bouteflika a été « clair » concernant les investissements prévus dans le nouveau plan quinquennal. Le chef de l'Etat a décidé de « ne pas toucher le programme » en cours. « Les programmes sont maintenus, sauf crash insurmontable. Là, il faudra revoir nos cartes », a déclaré M. Kadi, qui en a profité pour annoncer des investissements de plus de 50 milliards de dollars pour les seules routes durant le prochain quinquennat, soit l'équivalant du PIB de la Tunisie !

CHANGER ? POURQUOI FAIRE ?

La formule de M. Kadi résume bien la manière dont le pouvoir conçoit la gestion du pays. Il n'est pas nécessaire de lancer des réformes, de changer les choses, de se préparer à prendre des virages délicats pour l'avenir. Il n'est même pas utile de vérifier la rentabilité des investissements consentis, de se demander où va l'argent, et si le dollar injecté a un minimum d'effet sur l'économie du pays. Les alertes lancées par les économistes, les mises en garde du FMI et de la Banque mondiale sur le faible impact des investissements, les révélations sur la corruption et les immenses gaspillages laissent le gouvernement de marbre. Pour lui, tout ceci est bien superflu.

Anticiper, prévoir les crises, les contourner, prendre des décisions, parfois douloureuses, pour se prémunir contre les aléas économiques ne font pas partie non plus des plans du gouvernement, qui se contente de poursuivre sur la voie actuelle, du moins tant que cela est possible. Tant que l'argent est disponible, tant que le pétrole coule et que l'argent continue à se déverser. Seul un crash pourra remettre en cause cette ingénieuse stratégie.

Un crash auquel le pouvoir ne croit pas. On peut rencontrer, au sein du gouvernement ou dans les allées du pouvoir, des hauts responsables qui évoquent une telle éventualité. Mais dans son fonctionnement global, le gouvernement s'interdit une telle éventualité. Personne n'osera évoquer la question avec le président Bouteflika, si tant est que les ministres ont l'occasion de rencontrer et de débattre avec le président de la République.

AVANCER PAR LES CRISES

Du reste, même si le président Bouteflika a pu, dans un moment de rare lucidité, affirmer que la démarche économique du gouvernement a échoué, et que les changements successifs de constitution n'ont pu apporter la bonne formule politique, ceux qui officient au sein du pouvoir sont convaincus, dans l'ensemble, que ce qu'ils font est positif. Et puisque leur action débouche sur des résultats bénéfiques pour le pays, il est inutile de changer de méthode.

Face à une telle impasse, d'où pourrait venir la solution ? De In Salah ? De l'opposition ? Des stades de foot ? De la rue ? Des casernes ? De partout, sauf du gouvernement, du Parlement ou de ce qu'il faut bien appeler les grands partis, ceux qui remportent les élections. La solution attendue ne peut plus venir des institutions, qui se sont progressivement disqualifiées. Qui croit en une solution venant d'un Parlement sans pouvoir, qui ne peut censurer le gouvernement, et dont les élus sont convoqués par SMS pour voter un projet de loi dont ils ne connaissent même pas le contenu ?

Dans un pays « normal », les institutions apportent des solutions aux problèmes de la société. Elles organisent le débat, favorisent l'émergence des meilleurs choix et offrent au pays plusieurs alternatives parmi lesquelles les électeurs peuvent choisir. En Algérie, les institutions sont devenues le problème. Leur fonctionnement, en dehors de la loi ou à côté de la loi, dépouille le pays de sa capacité de gérer. Ce qui explique l'impasse dans laquelle se trouve le pays. Et qui, paradoxalement, valide la théorie du crash : l'Algérie a toujours avancé par des crashs. Le 1er Novembre a été une rébellion du CRUA contre l'appareil du PTLA, en 1962, une autre rébellion de l'état-major contre le GPRA, en 1965, un coup d'Etat en bonne et due forme, en octobre 1988, la rébellion de la rue contre l'Etat. Et 2015 ?