|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
La plus belle manière d'honorer la mémoire des victimes du terrorisme en
Algérie est de manifester notre solidarité aux autres victimes, quelles que soient
leurs origines, nationalité ou croyances. Nous en avions tellement besoin dans
les années 90.
Peut-on répondre à une lâcheté par une autre lâcheté ? Peut-on justifier une colère par une autre colère ? Peut-on se prévaloir de la générosité, du partage et de la solidarité en manifestant du ressentiment, de la rancune, voire de la haine ? Adopter de telles réponses ou attitudes c'est un peu la loi du talion, « œil pour œil, dent pour dent. »L'émotion qui a submergé la France au lendemain des attentats du 07 janvier a laissé très vite apparaître des sentiments de révolte, d'indignation et de colère. Et lorsque la colère envahit les cœurs, la raison se brouille et laisse le champ libre à toutes les frustrations inconscientes, les dérives communautaires et les amalgames absurdes et dangereux pour la cohésion et la paix sociales : la colère est aveugle. Les réseaux sociaux ont (et continuent) d'illustrer cette étrange et paradoxale cassure entre les indignés du terrorisme quel qu'il soit et d'où qu'il provienne et ceux qui lui trouvent une justification, notamment, dans l'anathème qui offense l'islam et son prophète. Entre les deux expressions, une troisième « voix » ambiguë : celle qui reproche à la France et au reste du monde de ne pas manifester avec autant d'ampleur et d'amplitude leur solidarité aux milliers de victimes du même terrorisme qui endeuille encore, aujourd'hui même, d'autres peuples fragilisés à travers le monde, en Afrique, dans les pays arabes et ailleurs. Si le reproche est juste dans sa forme, autorise-t-il à critiquer la mobilisation qui eut lieu en France ? Autrement dit, si « l'autre n'a pas su ou mesuré toute ma douleur, dois-je adopter la même attitude envers lui lorsque la douleur le frappera à son tour ? » Une telle réponse ne me différenciera en rien de lui. Par contre, le fossé entre nous se creusera d'avantage. C'est l'un des objectif des terroristes : séparer les communautés, les monter les unes contre les autres. La France des années 90, celles du feu et du sang en Algérie, avait deux visages : celle de la France officielle, non pas seulement « mitterrandiste », mais aussi « chiraquienne », cohabitation entre gauche et droite oblige à partir de 1993. Cette France officielle s'est cachée les yeux et entretenait le doute sur le « Qui tue Qui ». Même frappée sur son sol en décembre 1994 par les terroristes du sinistre GIA (détournement de l'avion d'air France), elle a continué à « amalgamer » le peuple algérien et les terroristes. Et puis, il y avait la France populaire, non officielle : elle a manifesté autant qu'elle le pouvait sa solidarité et son soutien aux algériens. Y compris lorsque l'hydre terroriste frappait le monde de la presse : visites à Alger de syndicalistes de la presse en pleine période de chaos, reportage de journalistes, visite de soutien de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), nombreuses conférences de sensibilisation et d'alerte en France et ailleurs menées par beaucoup d'associations et de comité de soutien aux algériens. Certes, ça n'avait pas l'ampleur des manifestations de Paris du 11 janvier, mais oublier cette vague de solidarité, qui au demeurant s'était étalée sur plusieurs années et non pas sur deux jours, n'est pas juste. Et s'il fallait sortir par millions dans les rues aujourd'hui, nous n'auront pas le temps de rentrer chez nous un seul jour, tant le terrorisme abject frappe quotidiennement partout ailleurs, en Afrique, au Pakistan, en Afghanistan, en Syrie, en Libye et ailleurs encore. 134 enfants ont été déchiquetés par des bombes en Afghanistan voilà moins d'un mois ; plus de 2.000 enfants femmes et jeunes ont été assassinés par la secte Boko Haram au Nigeria et au nord du Cameroun ; chaque jour des morts en Syrie ; à intervalle régulier l'Etat d'Israël massacre des palestiniens en otage à Ghaza. Le drame terroriste est quotidien, là où les failles sécuritaires le lui permettent. Certes, le reste du monde n'a pas et ne manifeste pas autant de mouvement de solidarité. Mais, nous faisons partie du monde et nous n'avons pas, nous aussi, manifesté notre soutien. Nos gouvernants, du chef de l'Etat aux responsables locaux, se taisent et sont absents aux enterrements des soldats et agents de sécurité qui tombent encore aujourd'hui dans des embuscades terroristes dans nos montagnes. Seules quelques entrefilets dans la presse rappellent leur sacrifice au nom de la patrie. Les français, peuple et responsables politiques, ont réagi de concert dans une mobilisation nationale qui leur fait honneur. Lui reprocher de ne pas manifester de la même façon lorsque le terrorisme frappe ailleurs est une mauvaise foi. Parce que le reproche se retourne aussi contre nous. Nous ne manifestons même pas pour nos propres victimes du terrorisme. Ce qui s'est passé en France doit nous interpeller et donner l'occasion au monde entier à montrer la même indignation, la même solidarité et les mêmes manifestations à chaque fois que le monstre du terrorisme frappe dans une quelconque contrée dans le monde. Pour que cela ne se reproduise plus, pour que le monde libre n'abandonne plus jamais, sur une quelconque contrée de ce monde, d'autres humains à la haine et la barbarie du terrorisme. Pour qu'aucune personne en ce monde de violence politique ne se sente seule face à l'injustice, la violence et la barbarie. Souhaitons et espérons de toutes nos forces que le drame de « Charlie Hebdo » soit, enfin, le déclencheur d'une prise de conscience internationale sur la réalité du terrorisme international, notamment celui prôné au nom de cette belle religion qu'est l'islam. Cet islam qui nous invite, dans de très nombreux versets, à la solidarité, à l'aide et l'assistance au pauvre et au paria, au respect des autres croyances et religions, à la tolérance et surtout au Pardon. Soyons dignes de l'islam du pardon et de la solidarité. En manifestant notre soutien au peuple français (sans s'embarrasser des récupérations politiques de certains partis) nous manifestons notre mobilisation contre le terrorisme, contre l'ignorance, contre la haine et la violence du racisme. Nous manifestons notre attachement, avec le reste du monde libre, à la liberté pour laquelle il nous reste encore un long chemin difficile à parcourir. Nous, algériens, nous aurons (et avons) besoin de cette solidarité et de cette présence à nos côtés. A Paris nous avons manifesté aussi pour nos propres deuils passés. Et que Dieu nous en préserve pour l'avenir. |
|