Ce qu'il y a de si particulier pour fêter l'avènement de la nouvelle
année amazigh, c'est peut-être ce caractère presque personnalisé, loin des feux
de la rampe et autre récupération. Ainsi, chaque foyer a accueilli l'évènement
avec ses moyens propres, ses croyances enracinées depuis la nuit des temps.
Pendant que les officiels marquent la célébration par des festivités, en
essayant de lui apporter un cachet plus au moins populaire. Les familles,
elles, prises comme entités sociales et dans leurs diversités ont donné à ce
rendez-vous annuel, une certaine intimité, en puisant certes dans une mémoire
collective, préférant du coup, la chaleur de chez soi, souvent des moments de
halte, des repères que les gens font revenir l'instant d'une fête, comme pour
se dire dans le présent que les aïeuls leur ont légué quelque chose de
précieux, un don à préserver. Yanneyer, c'est donc ce moment charnière, du
passage d'une époque à une autre, une mince frontière entre les « nuits blanches
» et les « nuits sombres » où dit-on « renaitre tout oud(plant) », selon un
calendrier agraire, c'est le renouvellement du cycle de la vie, un éternel
recommencement qu'on doit s'y préparer, un changement de temps, de climat. La
vie quotidienne fait sa mue, nos mères et grand-mères aimaient recevoir le
nouvel an amazigh, avec générosité et convivialité, mais sans faste excessif,
un repas, des nouveaux habits, du henné et beaucoup d'encens pour faire
éloigner les mauvais esprits, croit-on. Aussi, les populations locales, dans
certaines localités reculées de notre pays essaient de perpétuer ces
traditions, en dépit de l'agression d'une sorte de modernisme envahissant, le
chant, la musique, les dialectes locaux sont autant d'expressions et pratiques
pour se situer dans l'espace, pour ne pas oublier, se replonger dans ses
racines, se ressourcer. Un repas traditionnel, la « barboucha », en
l'occurrence, agrémentée de denrées du terroir, qu'on faisait emmagasiner en
prévision de l'hiver, c'est un moment unique pour les membres de la famille
rurale de se mettre autour de la « meida » et se remémorer le temps qui passe,
les histoires héroïques des ancêtres, le geste de tel ou tel héros d'un conte
fabuleux. De Ferkane, la verdoyante oasis, jusqu'aux fins fonds des Aurès, en
passant par le Sahara des N'memchas, Stah Guentis, El Aouinet et Ouenza au
nord, les réjouissances en l'occasion continuaient de faire durer le bonheur et
l'espoir annoncés par ce nouvel an berbère 2965.