|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Les marchés
hebdomadaires de nos campagnes et zones rurales ne dégagent désormais plus
cette odeur naturelle de la bouse comme produit du terroir de nos étables
d'antan. Nos bêtes domestiques en sont d'ailleurs la véritable cause.
Leur absence en ces lieux, constatée depuis peu, porte un grand coup de poignard dans le dos de nos paysans, qui accusent déjà très difficilement les contrecoups de la dèche née de cette grave sécheresse de l'année agricole en cours. L'épidémie de la fièvre aphteuse conjuguée à la faiblesse du volume des moissons des acteurs du monde rural diminuent donc de façon drastique et systématique leurs moyens d'intervention et autre marge de manœuvre. Déjà otages des caprices de l'inévitable Dame nature, ils le sont désormais vis-à-vis de ce mal endémique et très tragique qui décime, une à une, et d'un seul trait, toute leur fortune placée en ces bêtes domestiques, d'où ils tirent d'ailleurs l'essentiel de leur subsistance et substantielle économie. Mais, depuis que ces grands oiseaux de fer succombent de leur très haut ciel et si lointain univers et perché nid de la voute céleste ou grand itinéraire de notre bel Azur, gisant par terre tels ces cadavres de moucherons ou de vulgaires pucerons, écrasés déjà à l'aller par un seul coup sec de balais d'un essuie-glace très meurtrier faisant son va-et-vient incessant et continu, entre la sphère superficielle du verre et le très mobile caoutchouc qui la protège, le monde des animaux, ici bas terré et très tranquille dans ses étables et bergeries, se réveillant aussitôt en sursaut, ne peut donc plus tenir la moindre comparaison. Ne pouvant malheureusement, en signe de défaite ou d'au revoir, battre de l'aile tels ces gros oiseaux métalliques, pressés de rendre l'âme dans leur descente aux enfers, les fers aux pieds , à l'image de ces petits volatiles plumés, atteints dans leur propre chair par des chasseurs-braqueurs plutôt invisibles à l'œil nu, en véritables carnassiers de ces immenses objets faits à base d'acier, ces animaux domestiques, souffrant de cette autre peste nouvelle, crient leur douleur, gémissant dans leur continu et grave malheur . Cette mort qui sait si habilement s'attaquer même à ce monde de grands volatiles d'oiseaux de fer, mais aussi à ces longs et très rapides reptiles, décomposés en de wagonnets stratifiés, affranchis de leurs luxuriantes travées et ligne de rails, faits à base de ces aciers nobles et très souples, fins et spéciaux, n'épargne désormais plus encore ces tracteurs de bestiaux de fortune très anciens, affichant eux aussi la puissance de leurs solides muscles et de la chair bien entretenue et très rodée à ces pénibles et ardus travaux de la ferme, nourrie à base d'orge et de fourrages de nos champs céréaliers. Ces derniers craignent tous au moment de leur coucher nocturne cette mort subite ou intrépide venir sur ses grands chevaux ou par cette porte dérobée, au petit matin, les cueillir et les ravir à leur maître et à la vie, tels ces encombrants déchets ménagers ou animaux nuisibles à dorénavant à jamais les extirper de la demeure du fermier. Ils vivent tous cette dure hantise de la véritable crise, cette autre peur terrible de demain, sinon de cette angoisse de poisse du très suspect lendemain. Dans le prolongement de cette frayeur stupide ou intrépide, subie par ces animaux de somme, de bovidés laitiers ou de taurillons destinés à l'engraissement, c'est notre alimentation de tous les jours qui est désormais en réel danger ; même si l'essentiel de notre lait nous par vient en poudre séchée de l'autre rive de la Méditerranée, plus exactement ce territoire de l'occident. Mais le plus dur à craindre a plutôt trait à cette viande ovine et ?plus ou moins - caprine qui accusera cette potentielle très forte demande, conjuguée exceptionnellement à son exponentiel prix indexé à la conjoncture du moment, notamment à l'approche de la période de ce sacrifice suprême à l'occasion du tout prochain Aïd El Adha. Ainsi, à la saignée enregistrée au niveau du cheptel bovin, pour cause d'épidémie terrible de cette fièvre aphteuse, succèdera, sans nul doute, cette autre saignée de l'inévitable hémorragie qui concernera toutes les bourses des populations algériennes, les éleveurs en premier. Faut ?il encore rappeler que le mois du Ramadan, l'Aïd El Adha et, à un degré moindre, le pèlerinage et les fêtes de mariages, souvent estivales, demeurent des opportunités de grand choix pou l'éleveur en vue d'écouler le produit de toute une année d'engraissement pénible et très couteux, tenant compte de l'effet de la sècheresse qui sévit dans le pays et de l'évolution à la hausse de tous produits de base des matières premières liées à l'activité et à la profession. Et si, en dépit de tous ces très contraignants aléas naturels et parfois structurels liés à la profession, l'on vient donc jusqu'à leur fermer leur seul espace de mouvance et de contraction de leurs transactions commerciales, l'initiative engagée à la hâte sur le terrain, sous prétexte de prémunir le monde rural de ce danger imminent qui guète notre cheptel ovin et bovin, risque, à la longue ou à terme, de tuer pour de bon nos campagnes et zones rurales, pour cause de cette absence totale de terrain d'expression de leurs échanges. Si, en ville, tout est ramené à la seule proportion, dimension ou besoin propre à l'être humain, son mieux-vivre ou bien-être ; en milieu rural et campagnard, c'est plutôt l'animal qui vole la vedette à son maitre, puisque tout est synchronisé ou orchestré autour des éléments de nature à le mettre en valeur afin que son maitre en tire le meilleur profit possible, chose qui fait tout naturellement l'économie de base de ces petites contrées plus ou éloignées des grands centres urbains. Mais les marchés hebdomadaires de bestiaux ou souks ruraux ne constituent pas seulement cet espace d'échanges purement commerciaux, dans la mesure où ils constituent, grâce ou en dépit de l'apport très conséquent de la science dans la modernisation de la vie à l'intérieur de nos campagnes, cet élément régulateur de leur quotidien ou ce thermomètre indispensable à leur raison d'être, métier, culture et autres comportements humains? Lieu de rassemblement hebdomadaire des populations campagnardes ou nomades, le souk rural hebdomadaire, en plus de son caractère de lieu d'échanges de prédilection, celui-ci constitue cette pierre angulaire sans laquelle il n'existerait réellement ou manifestement plus aucune vie au sein de nos immenses plaines et très hautes montagnes. De plus, interdire la tenue hebdomadaire des souks dans nos campagnes n'est autre qu'ôter la vie à nos braves paysans qui défient le très rude climat, en sus du sous-développement chronique que subissent leurs bourgs et tous petits hameaux. Pivot central de leur vie, le marché hebdomadaire les tire, une fois tous les huit jours, de leur isolement, de leur solitude, de leur manoir, de leurs champs, de leurs étables, écuries, bergeries et autres soucis de la vie, afin de les propulser dans cette autre atmosphère de véritables retrouvailles, le jour de semaine venu ou enfin revenu, à de nouveau négocier cette autre affaire, tenter cette autre expérience, nouer cette énième relation, faire dans cette très ancienne tradition? A lui seul, le souk est une mini organisation sociale territoriale, affranchie de toutes les nuances en rapport avec sa topographie économique, typologie, traditions ancestrales, coutumes liées à la nature de la géographie et à l'histoire de la région et autres paramètres socioculturels qui l'identifient comme une entité structurée et très autonome? Interdire la tenue hebdomadaire du souk à une tribu ou ensemble de bourgs c'est comme priver un congrès d'abeilles de leur ruche habituelle d'où la communauté tiré tout ce miel succulent et très utile. Jeu ou lieu de transit, de croisement, de transvasement ou de simple échange de leurs produits, besoins vitaux, occupations naturelles et autres préoccupations quotidiennes, ce marché qui les réunit chaque semaine les unit davantage autour de leur métier et avenir économique de leur région. Chacun y trouve donc son compte ou cet autre besoin de communiquer au sujet de son métier, de l'activité de la contrée, dans l'espace réservé au développement de ses relations avec ses pairs, voisins ou clients et vendeurs venus d'autres lointains horizons. On y trouve de tout et y côtoie parfois des gens que nous rencontrons pour la toute première fois, aux côtés de ceux que l'on voit très souvent ou durant toute l'année. Le souk hebdomadaire brasse chaque semaine toutes ces populations rurales, lui parvenant de ses régions environnantes d'où ils tirent l'essentiel de leur subsistance, mais surtout où ils tissent le nécessaire de leurs relations. Privés injustement de leur seul lieu d'échange de leurs produits du terroir, que constitue ce grand réservoir de nos zones rurales habituées à ces conditions déjà difficiles de leur quotidien besogneux et très fructueux, nos paysans connaissent le désarroi de cet émoi d'expectative au sujet de leur très critique situation économique qui les jette en de vulgaires ou expiatoires proies à ces autres charognards de notre agriculture de choix. Notre paysannerie souffre vraiment le martyre de ces lois et autres décisions scélérates ou très désuètes qui les exposent à ce changement très brusque et inconvenant de leur quotidien, de nature à les pousser à désormais complètement abandonner cette pourtant noble et très pérenne fonction. Ils sont d'ailleurs très conscients qu'un pays qui dispose de toute cette considérable rente pétrolière n'a plus jamais besoin de leur du produit, pourtant si vital de leur misérable ou très problématique agriculture. Pour preuve : il n'y a qu'à jeter un très furtif ou fugitif coup de balais visuel de notre délaissée Casbah sur cette grande rade de navires étrangers échouant au port d'Alger afin d'y léguer leur très volumineuse embarcation ! On y trouvera en quantités industrielles ces laits en poudre, ces beurres en vrac, ces fromages en portions, ces margarines en petites barquettes et même ?tenez-vous bien !- cette viande congelée en carcasse entière et petits colisages ! De quoi dire, en fait, merci à ce providentiel conteneur qui nous vient de l'extérieur et surtout adieu à notre agriculture ! L'image aurait été, au demeurant, magnifique, si notre agriculture ne pouvait tenir la comparaison, et si surtout si le brut du sous-sol algérien n'était pas mis à rude contribution ! Raison pour laquelle le bon paysan craint justement ce mauvais temps ! A l'heure où ce ciel, désormais en colère, nous jette tous ces projectiles en acier très dangereux sur nos têtes et grand territoire, et ces autres gros colis en fer nous inondent tous les jours de ces autres produits agricoles manufacturés à l'étranger, notre viande a perdu de sa saveur, nos laits de leur propriété lactée et notre agriculture du goût de son terroir. Le grenier de Rome fait à présent la manche à l'Europe ! Devenu cette poubelle de la France, l'Algérie a-t-elle définitivement raté sa vocation, sinon à jamais perdu la raison ?! |
|