|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Le culot et
l'arrogance, peut-être même l'outrance de celui qui s'estime être en position
de force... C'est ce qui vient à l'esprit quand on entend les propos du patron
des patrons français Pierre Gattaz. " Le modèle social (français) a vécu.
Il n'est plus d'actualité " a-t-il ainsi déclaré en formulant plusieurs
propositions-revendications censées provoquer le redémarrage d'une économie
atone. Autorisation du travail le dimanche ou la nuit, suppression de deux
jours fériés, salaires inférieurs au smic, fin de la semaine des trente-cinq
heures, modération salariale : c'est ce que le Medef vient de poser sur la
table après avoir déjà obtenu du gouvernement 41 milliards d'euros de réduction
d'impôts et de cotisations sociales.
Pour Gattaz, il serait temps de casser " les tabous " et de remettre en cause un modèle social dont les bases remontent aux acquis arrachés par le Front populaire en 1936. Certes, il n'a pas proposé de réintroduire le travail des enfants mais à l'entendre énumérer ses exigences on se dit que ce n'est qu'une question de temps? Dans un contexte de morosité générale avec un chômage qui continue de battre des records et un gouvernement de plus en plus impopulaire, le président du Medef semble donc persuadé que c'est le moment où jamais d'en finir avec un modèle jugé trop coûteux. Pour résumer la situation, on pourrait dire que le patronat n'a désormais plus peur de rien. En multipliant les cadeaux fiscaux (lesquels sont tout de même appelés à être compensés par les ménages des classes moyennes) en faveur des entreprises et cela sans exiger formellement des contreparties, le gouvernement Valls s'est mis dans une position de faiblesse dont il lui sera difficile de sortir. Quant aux syndicats, ils sont aux abonnés absents, incapables de prendre la mesure d'une conjoncture potentiellement explosive où la relative quiétude sociale n'est préservée que parce les amortisseurs de l'Etat providence fonctionnent encore. Enfin, car il faut bien le rappeler, la " menace " rouge n'existe plus, le capitalisme ayant triomphé de l'espérance communiste tandis que la gauche socio-démocrate s'est rangée docilement aux dogmes néo-libéraux comme en témoigne le maintien d'une politique d'austérité qui ne donne pourtant aucun résultat, pas même celui de réduire les déficits pour faire respectivement plaisir à la Commission européenne, à Berlin et aux agences de notation. Il faut replacer les propos de Gattaz dans une perspective historique et se rappeler que le patronat français n'a jamais consenti les acquis sociaux majeurs de manière spontanée. Ces derniers ont toujours été obtenus à la faveur d'une confrontation avec les syndicats suivie, au final, par une intervention de l'Etat. Pour dire les choses autrement, c'est le triple legs du Front populaire, du programme du gouvernement de la Libération et de mai 1968 que le Medef veut faire disparaître aujourd'hui. Camarade réveille-toi, ils sont en train de prendre leur revanche? Faut-il rappeler que le patronat était violemment opposé à l'instauration des congés payés en 1936, arguant notamment que cela engendrerait l'oisiveté et la paresse chez les salariés ? Faut-il rappeler, en remontant plus loin dans le temps, que ce même patronat a défendu jusqu'au début du XXème siècle le travail des enfants au nom de la compétitivité par rapport à la concurrence européenne ? On dira que les mentalités et les idées ont évolué. Peut-être mais le vieux fond hostile aux " porteurs de casquettes " n'a jamais disparu. Il est évident que la France a besoin de ré-forme notamment une modernisation de sa fonction publique et un meilleur emploi de l'argent du contribuable. Mais faire porter la responsabilité de la stagnation aux acquis sociaux - la prochaine cible de la revendication patronale étant la sécurité sociale mise en place en 1945 - n'est pas juste. Car s'il est une chose dont le Medef ne veut jamais parler c'est de sa propre responsabilité dans la situation économique actuelle. Indécence des salaires pour de grands patrons dont certains ont pourtant mené leurs entreprises dans le précipice sans jamais rendre de comptes pour cela. Logique financio-boursière omniprésente et dividendes versés aux actionnaires qui ne cessent d'augmenter d'une année sur l'autre ce qui, au final, prive l'entreprise de moyens d'investir et de se développer sur le long terme. Incompétence de dirigeants dont la morgue (ah, l'université d'été du Medef et ses mines satisfaites) le dispute à l'ignorance d'un monde qui évolue et où les pré-carrés n'existent plus. Incapacité à innover pour doper les ventes du " made in France ". Voilà aussi pourquoi l'économie française tourne mal. Et il n'y a pas que cela. Quand le Premier ministre Manuel Valls affirme qu'il aime les entreprises, on a envie de lui demander lesquelles ? Les grandes ? Celles dont les conseils d'administration sont tenus par une poignée d'hommes ? Ou les petites ? Ces PME qui souffrent, qui se font écraser par leurs gros donneurs d'ordre, qui sont incapables d'accéder aux marchés publics autrement que par le biais de la sous-traitance ? De manière régulière, des rapports sont publiés pour critiquer la dureté des rapports entre grandes et petites entreprises, notamment en ce qui concerne les délais de paiement ou les pratiques interdites (usage des marges arrière par exemple). De cela, le Medef ne parle guère, préférant diffuser l'idée selon laquelle le responsable, c'est le salarié, ce privilégié qui ose défendre ses droits? On aurait tort de penser qu'il ne s'agit-là que d'une affaire franco-française. La généralisation dans le monde, certes inégale, des acquis sociaux du vingtième-siècle doivent beaucoup à ce qui s'est passé dans ce pays. Ce qui s'y passe actuellement n'est pas anodin. Cela dessine ce que sera le monde de demain à l'heure où des expressions comme Etat-providence ou droits sociaux passent pour obsolètes. |
|