Comme une langue obscure revient encore sur une dent
pourrie. Quand le chroniqueur manque d'inspiration, il revient vers Cheikh
Chemsou. L'évangéliste « coranisé » de la chaîne tv Ennahar. Rire jaune et
expérience masochiste. Pour voir et écouter ce qu'est devenu le Sens dans le
pays, en un demi-siècle d'indépendance provisoire. Donc des gens sont morts,
d'autres ont abandonné leurs études pour prendre le maquis, des millions de
nuits blanches à apprendre, des gens qui ont eu faim, des grands discours, de
la gloire, des budgets d'écoles faramineux, pour en arriver à produire cet
homme-là, son prêche, sa vision comique du monde, son populisme et sa
légitimité plébéienne. Des années à demander la liberté et l'ouverture du champ
audiovisuel pour qu'on nous sert cette quincaillerie en guise de preuve de
démocratie ? Cheikh Chemsou n'est pas seulement un échec de l'école, du
politique ou de la liberté, c'est un échec du sens collectif. Du but dans la
vie d'un pays entier. Une démocratie qui ne sert pas à la liberté mais à ce que
ce rabatteur de foules puisse condamner les femmes qui consomment un cornet de
glace en public, qui interpelle le wali de Sidi Bel-Abbès pour avoir reçu miss
Algérie, hurlant « pourquoi n'accordez-vous pas d'audiences aux habitants des
bidonvilles ? » Discours abouti du populisme, de la haine, du sexisme et de la
bêtise. C'est donc cela le but de ma nation, le dessein éblouissant de la
guerre d'indépendance ? Regarder avec affliction ce projet national habillé en
mode Errissala version friperie ? S'attrister. Se tourner vers l'horizon,
interroger un vol d'oiseaux puis se sentir lourd et vidé : ce pays va vers son
moyen-âge. En galopant. Cheikh Chemssou est un produit national collectif : du
régime, du voisin, de vous, de moi, de l'école, d'Ennahar et son patron agité,
des livres mauvais, des imam-satellites, des réformes scolaires et du manque de
liberté. C'est donc cela, vous dit la voix de la feuille morte : un milliers
d'années à attendre la liberté, pour en arriver à regretter la chaîne unique et
la RTA ? Le martyre mène donc au comique et pas au Paradis ?
Gloire donc de l'échec. Du populisme. De la haine de soi. De
la bigoterie. En gros, ce n'est pas après le massacre de 1000 personnes à Had
Chekala que le chroniqueur s'est posé la question de la viabilité de ce pays ou
de son avenir. Mais après avoir regardé la dernière danse de ventre de ce clown
halluciné. Car là, on est dans l'impasse. Dans le mur. Dans le délitement. Il y
a le Daech par le sang et il y a le Daech par le comique aussi. Une génération
entière est donc née pour grimacer sous nos fenêtres et menacer par sa foule
les rares libertés qui nous restent. Payée, encouragée, audacieuse et menée
comme une armée pour s'emparer de ce qui reste du pays et le manger au nom du
droit d'Allah ou du Bras. Donc c'est cela l'indépendance et la liberté :
Chemssou le comique ? Des TV de haines et de manipulations de troupeaux ? Des
journaux jaunes ? C'est donc Chemssou le modèle de mon fils, le représentant de
ma race, la voie de mon Salut, le but de ma nation, le produit de mes guerres,
le butin de mes martyrs et l'avenir de mon sens dans la vie ? 3000 ans
d'attente pour ça ? Pour offrir un peuple à un loufoque ? De la colère. Non, je
me laisserai pas faire : il parle, j'écris. Il hurle, je crie, il agite son
Coran, j'agite ma vie, il menace avec sa barbe, je l'épile; il piétine le
sacré, je déchire son turban; il condamne, je le déchausse et le catapulte.
Mètre par mètre, ce pays est à moi, le sien est un psychotrope. Dieu ne devrait
pas être une maladie, mais un choix. Trop d'importance à un clown ? Non, il a
bénéficié justement de trop de négligence de notre part.