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Le lundi 14 août,
Donald Trump a été officiellement inculpé par la
procureure du district du comté de Fulton en Géorgie après l'accord d'un grand
jury. C'est la quatrième affaire dont fait l'objet l'ancien Président Donald Trump. Depuis la première, la même question juridique se
pose, peut-il se représenter aux prochaines élections présidentielles pour
lesquelles il est donné vainqueur par les sondages ? Une question très
étonnante, presque burlesque, mais qui pourtant est réellement dans l'ordre du
droit américain.
En moins de six mois les quatre inculpations à l'encontre de Donald Trump sont d'une gravité extrême. Dans n'importe quel autre pays démocratique dans le monde, il n'y a aucun doute qu'un seul des chefs d'accusation mènerait à une condamnation pénale lourde assortie d'une inéligibilité à vie. La première réaction d'un profane en droit serait de penser que ce grand pays démocratique bafoue les bases fondamentales de celui-ci. Pourtant si la question se pose c'est qu'il y a des arguments juridiques qui la font poser légitimement. Exposons les différentes affaires dans leur contenu avant d'entreprendre une réflexion sur cette épineuse et troublante question juridique. Quelles affaires et quelles accusations ? La première accusation est du niveau étatique c'est-à-dire relevant de poursuites par un État de la confédération. Nous l'avons précisé en préambule, il s'agit de l'inculpation dans l'État de Géorgie. Donald Trump et dix-huit autres personnes de haut rang dans la hiérarchie gouvernementale sont accusés d'avoir tenté de renverser le résultat électoral de la présidentielle en Géorgie. Des témoignages l'accusent mais surtout la preuve par une conversation téléphonique dans laquelle le Président avait demandé au gouverneur de l'État, le républicain Brad Raffenperger, «Je veux trouver 11 780 voix». Ce chiffre correspondait exactement au nombre de voix manquantes pour décrocher la majorité des grands électeurs de l'État. L'élection présidentielle est un scrutin indirect, la population vote pour des Grands électeurs qui éliront à leur tour le Président. Mais ce qu'il faut savoir est que le parti qui arrive en tête dans un État rafle tous les sièges. D'autre part, la Géorgie est l'un des swing states, c'est-à-dire susceptible de faire basculer les résultats nationaux dans un camp ou l'autre. Conformément à une loi de Géorgie, la procureure les avait inculpés «d'extorsion et association de malfaiteurs», soit un crime dont la sentence est l'emprisonnement pour une durée de cinq à vingt années. La seconde inculpation est également très grave, il s'agit de l'affaire de l'assaut du Capitole. Elle est de la compétence juridictionnelle fédérale. Après avoir essayé de renverser le vote des Parlementaires (encore !) pour la validation des résultats de l'élection, le Président est accusé d'avoir exploité et attisé la colère des manifestants qui ont pénétré violemment dans l'enceinte du Congrès le 6 janvier 2020. Après validation par un grand jury, le procureur Jack Smith a inculpé le Président d'une liste de chefs d'accusation impressionnante et éminemment graves. Complot frauduleux contre les États-Unis (diffusion de fausses informations sur la fraude et les machines à voter, pressions sur la justice et sur le vice-président pour l'inciter à rejeter les votes dans les États gagnés par le rival, Joe Biden, désignation de «faux grands électeurs» dans ces États) ; Complot pour priver les électeurs de leur droit de vote; Complot pour faire obstruction à une procédure officielle de certification de la victoire du rival à la présidentielle. Puis, toujours au niveau fédéral, l'affaire des documents classifiés découverts à la résidence de Donald Trump en Floride, à Mar-a-Lago. Une loi fédérale oblige tous les présidents à remettre les documents classifiés dont ils ont été destinataires. Donald Trump a été inculpé sur trente-sept chefs d'inculpation. Il est, comme à son habitude, dans la démesure jusqu'à ces procès qu'il théâtralise médiatiquement et, bien entendu, plaidant non coupable. Enfin, la dernière affaire, celle de l'actrice X, Stormy Daniels. Vu les chefs d'accusation précédents, on serait presque à penser à une affaire marginale et comique du burlesque Donald Trump. Sauf que nous avons à faire à une élection aux présidentielles des États-Unis et que dans ce pays de puritanisme protestant, le moindre écart aux valeurs morales de la famille par une relation extraconjugale a fait tomber des dizaines d'hommes politiques en les interdisant de tout vote de confiance des électeurs ou en les obligeant à la démission de toute responsabilité, privée ou publique. Ce qui n'est pas illégal est la tentative de monnayer le silence de l'actrice ainsi que certaines autres personnes par des sommes assez convaincantes. Ce silence lui permettait de ne pas voir sa campagne électorale de 2016 être compromise. En revanche ce qui l'est du point de vue de la loi est d'inscrire ces sommes dans les comptes de son entreprise comme «frais juridiques». Là également, Donald Trump fait du Trump, il nie et plaide non coupable. L'impossible empêchement par le droit américain Face à cette situation inédite, il est bien évident que dans le cas où un inculpé se présente à la Présidence (voir un condamné si les tribunaux le décident dans les prochains mois) on doit se retourner d'abord vers la Constitution. L'article II de la Constitution américaine prévoit des conditions très claires pour l'accession à ce poste suprême, être âgé d'au moins 35 ans, résider aux États-Unis depuis au moins 14 ans et en être un citoyen de naissance. Comme dans tous les droits des pays démocratiques, c'est l'organe judiciaire le plus haut qui juge si la liste est limitative ou non. Dans des affaires similaires touchant des membres du Congrès, la Cour suprême avait précisé que pour accéder à des postes électifs, les conditions citées dans la Constitution sont un «plafond constitutionnel». Cela voulait dire en déduction que la liste concernant un candidat à l'élection présidentielle était limitative et qu'aucune condition supplémentaire ne pouvait être ajoutée. Nous voilà dans une impasse juridique et, au vu de ce que nous dit le droit américain, Donald Trump pourrait être condamné et incarcéré que cela n'y changerait rien. Nous sommes devant une probabilité inouïe où le président de l'État le plus puissant au monde (il l'est encore) serait emprisonné et pourrait exercer son mandat. Puisque la Cour suprême n'a aucune marge de manœuvre pour en décider autrement tant que le cas ne lui est pas soumis, il faut aller rechercher la moindre des traces de réponse dans les autres dispositifs du droit américain. Il faut éliminer la possibilité de destitution du Président par la procédure de l'impeachment. Ce n'est pas tant la très difficile mise en œuvre (elle a échoué une fois contre Donald Trump) qui l'élimine mais tout simplement parce qu'elle est prévue pour un président en place, ce qui n'est pas le cas d'un candidat comme l'est Donald Trump. C'est également le cas des deux notes de service du ministère de la justice américaine, en 1973 puis en 2000, qui préviennent des conséquences d'une fonction présidentielles lorsque celui-ci est incarcéré. Mais là encore, nous voyons bien qu'il s'agit d'un président en fonction et non d'un candidat. Ces deux textes avertissent du risque ultérieur que cela occasionnerait «le spectacle d'un président inculpé essayant encore d'exercer ses fonctions de chef de l'exécutif dépasse l'imagination» et «une interférence physique avec l'exercice par le président de ses fonctions officielles qui équivaudrait à une incapacité». Ces incapacités seraient notamment le risque de diffuser des documents secrets dans un lieu d'incarcération ou le temps que consacrerait le président à sa défense et aux différentes comparutions, incompatibles avec la fonction. Ces deux textes mettent en garde mais ne produisent aucun effet juridique. Il reste alors une dernière possibilité, celle où la Cour suprême revienne sur sa précédente décision et rajoute le cas d'empêchement dans l'interprétation de la Constitution. Cette possibilité est improbable et n'a aucune chance d'empêcher Donald Trump d'être candidat car il faut une décision d'un tribunal puis une autre décision en appel ainsi qu'un pourvoi auprès de la Cour suprême. Il serait déjà élu depuis longtemps et nous serions face aux questionnements cités précédemment pour un président en fonction. Enfin, dans le cas d'une incapacité de gouverner, il reste l'application du 25e amendement qui prévoit qu'un président peut être démis de ses fonctions si le vice-président et une majorité du cabinet déterminent qu'il est «incapable de s'acquitter des pouvoirs et devoirs» de la fonction. Le président peut contester la décision, mais si le vice-président et le cabinet persistent, il appartient alors au Congrès d'ordonner la destitution du président par un vote des deux tiers des deux chambres. Nous avions déjà assisté au refus de Mike Pence, son Vice-Président, de le mettre en œuvre et cela risque de se reproduire. Et surtout, toujours cette rengaine, c'est une disposition qui concerne un président élu et non un candidat. Donald Trump pourrait-il s'auto-amnistier ? C'est vraiment le dernier point à explorer dans sa faisabilité juridique. Le cas n'a jamais été tranché ni par une décision judiciaire ni par le débat des spécialistes. L'argument le plus convaincant pour répondre négativement est que l'un des fondements de la procédure judiciaire est «on ne peut être juge et partie». Comme toujours, les tribunaux peuvent en juger autrement dans un cas d'espèce qui leur est soumis. Et même si cela arriverait nous serions encore face à une éventuelle décision de la Cour suprême. Tout est possible mais hautement improbable. D'autant que l'argument déjà invoqué du temps judiciaire nous remettrait dans la situation d'un président élu et non d'un candidat. En conclusion, face à un mur qu'il semble impossible de franchir, nous pourrions alors nous poser la question du pourquoi d'une telle situation dans un pays de droit. Personnellement je choisirais l'énoncé de deux hypothèses. La première est que la démocratie fonde son droit par l'existence d'un arbitre suprême, celui qui possède en première et dernière instance la souveraineté populaire, le peuple. Par ce principe, les Américains estiment que seul le peuple peut trancher en acceptant ou non la candidature d'un citoyen inculpé ou incarcéré (suivant le temps de la décision) par le bulletin de vote. On pourrait cependant rétorquer par ce que nous avions déjà précisé. Cette souveraineté est exercée dans un système électoral indirect laissant peu de place à un décompte de la majorité des suffrages exprimés. La Constitution américaine a voulu privilégier le choix des États car l'objectif des «Pères fondateurs», rédacteurs de la Constitution, était de construire un État fédéral. La seconde hypothèse, très personnelle, est que ces Pères fondateurs ont oublié le cas d'un candidat inculpé et, encore plus, incarcéré. Cela était probablement impossible pour eux de croire qu'un citoyen dans un tel cas pourrait oser le faire. Ils ne pouvaient croire en l'existence d'un personnage comme Donald Trump et d'une forte proportion d'Américains qui légitiment un personnage comme lui. Les créateurs de Hollywood sont en train de réaliser leur plus grande production de film comique. Et Donald Trump, grand acteur, n'a finalement fait que suivre la devise de son prédécesseur en la personnalisant «Yes, I can». *Enseignant |
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