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Le sujet porte sur les savoirs
traditionnels et les expressions culturelles traditionnelles, dans le champ
conceptuel et juridique des droits culturels et leur rapport à la propriété
intellectuelle. La question ou du moins la problématique réside dans la relation
juridique établie entre la notion de « protection », qui ressort du paradigme
de la propriété intellectuelle et la dimension « sauvegarde » qui relève de la
sphère du patrimoine culturel immatériel. Deux notions qui mettent en vis-à-vis
l'OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, mandatée pour la
mission de protection) et l'UNESCO pour celle de sauvegarde.
Les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ces deux notions, par les Etats africains, relèvent, en priorité, d'un manque d'harmonisation et de mise en synergie des instruments normatifs de l'OMPI et de l'UNESCO. Dans une courte rétrospective sur le processus d'adaptation ou plutôt de réajustement du concept « propriété intellectuelle » à la réalité africaine, il se dégage, qu'en l'espace d'un demi-siècle, après les indépendances, les pays africains sont restés encore attachés aux modèles juridiques occidentaux, tels le droit français et anglais sur la propriété intellectuelle et le droit américain du copyright. Une situation de fait, qui s'expliquait, au départ, par ce besoin urgent d'accéder et de parvenir rapidement à la modernité et au développement et continue à se justifier, aujourd'hui, par la nécessité d'assurer et de garantir les conditions d'éligibilité à l'économie mondiale, dans un nouveau contexte mondialisé. Un inventaire des actions entreprises et des investissements consentis par l'Afrique, dans le domaine de la propriété intellectuelle, notamment en matière de renforcement des capacités juridiques, institutionnelles et organisationnelles, en comparaison avec les atouts et les avantages engrangés, laisse apparaître un écart considérable et un manque à gagner considérable. La propriété intellectuelle demeure un sujet ésotérique, très spécialisé, non prioritaire et éloigné des réalités vécues par la majorité des Africains (pauvreté, analphabétisme, guerres, maladies). Les stratégies adoptées, jusque-là, n'ont pas pu aboutir à la construction d'une conscience et d'une dynamique d'appropriation politique et sociale de la « propriété intellectuelle », en tant que facteur et vecteur de développement. Nous rappelons, ici, les quelques importantes stations traversées, dans le vaste champs de la propriété intellectuelle en Afrique, depuis l'OAMPI, premier Office africain et malgache de propriété industrielle, créé en 1962, dans le cadre de l'accord de Libreville, ancré à la Convention de Paris pour la propriété industrielle et sa transformation en Office africain de la protection intellectuelle (OAPI), à travers l'accord de Bangui, l'élargissant, une première fois, en 1997, à l'ensemble des droits afférents à la propriété intellectuelle et, une deuxième fois, en 1999, à de nouveaux telles les obtentions végétales, les indications géographiques et les œuvres littéraires et artistiques. L'OHADA (Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires) est créée par le traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique, signé en 1993 à Port Louis à Maurice et modifié à Québec au Canada en 2008. Il y a aussi, l'OPAPI (Organisation régionale panafricaine de la propriété intellectuelle) et les différents textes qui en découlent, l'Accord de Lusaka de décembre 1982, les Protocoles respectifs de Banjul relatifs aux marques de novembre 1993, de Swakopmund sur la protection des savoirs traditionnels et des expressions du folklore d'août 2010. Le sujet sur la « Pertinence du système de la propriété intellectuelle en Afrique », examiné par les ministres africains de la Culture, réunis à Dakar en 2015, était une convocation à un nouveau regard et un examen critique sur la propriété intellectuelle en Afrique, à la lumière des nouvelles stratégies de développement formulées, notamment par l'Union africaine, le NEPAD et l'UNESCO, face aux enjeux et défis du continent africain au sein des objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Deux alternatives se dégagent pour aborder la question des savoirs traditionnels et des expressions culturelles traditionnelles, dans leur relation à la propriété intellectuelle : - la première consiste à poursuivre l'effort d'approfondissement et de renforcement des dispositifs de protection existants, élargis aux savoirs traditionnels et aux expressions culturelles traditionnelles, en garantissant la continuité paradigmatique, la philosophie positiviste de la « propriété intellectuelle » fondée sur le principe du droit d'auteur; - la seconde, au contraire, appelle à dépasser le mécanisme strict du droit d'auteur, fondé sur la propriété individuelle, pour accéder à un système plus global et intégral, fondé sur le principe philosophique, éthique et forcément juridique de « l'appropriation collective », nécessitant un changement de paradigme, avec tout ce que cela implique en termes de reformulations politique et stratégique. Ces alternatives avaient déjà été suggérées par le passé, d'abord en 1982, à l'occasion de l'adoption des « Dispositions types de législation nationale sur la protection des expressions du folklore contre leur exploitation illicite et autres actions dommageables », adoptées par l'OMPI/l'UNESCO, puis en 1992, à l'occasion de l'institution de la « Convention sur la diversité biologique ». En 2002, les travaux de la 3e session du Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle, relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore dans le cadre de l'OMPI, qui se sont déroulés à Genève, avaient abouti à l'idée d'un « système sui generis de protection des savoirs traditionnels ». Ces travaux avaient parfaitement situé les éléments de la problématique et suggéré des lignes directrices conceptuelles et méthodologiques, pour une vision globale et intégrale de la propriété intellectuelle. Il est apparu que les systèmes de protection existants (droits de la propriété industrielle, droits d'auteur et droits connexes, droits d'obtentions végétales...) étaient inadaptés pour servir la protection des savoirs traditionnels et des expressions culturelles traditionnelles. En réalité, les rapports de force dominants ont toujours penché vers la première alternative, fondée sur le principe des droits d'auteurs, considérant qu'il n'y avait pas suffisamment d'expérience, aux échelles nationale et internationale, pour accéder à un nouveau paradigme, que la question était prématurée et qu'il fallait plutôt continuer à utiliser plus efficacement le système existant en l'approfondissant dans le sens d'une plus grande précision des mécanismes. Devant cette situation, les pays africains étaient invités à évaluer leur capacité (masse critique) pour formuler une approche de la propriété intellectuelle fondée sur le principe de l'appropriation collective « système sui generis de protection des savoirs traditionnels ». L'Algérie avait déjà souscrit aux règles et mécanismes convenus de la propriété intellectuelle, dans sa définition formelle du droit d'auteurs et droits voisins : ordonnance relative à la protection des droits d'auteur et droits voisins (n° 03-05 du 19 juillet 2003), qui a défini les droits d'auteur et les droits voisins, ainsi que les œuvres littéraires ou artistiques protégées et fixé les sanctions des préjudices subis par la violation de ces droits. Plus six (06) autres ordonnances relatives, respectivement, à la concurrence (n° 03-03 du 19 juillet 2003), aux marques (n° 03-06 du 19 juillet 2003), aux brevets d'invention (n° 03-07 du 19 juillet 2003) et à la protection des schémas de configuration des circuits intégrés (n° 03-08 du 19 juillet 2003). A cela, il faut ajouter l'ordonnance relative aux dessins et modèles (n° 66-86 du 28 avril 1966), l'ordonnance portant adhésion de l'Algérie à la Convention universelle sur le droit d'auteur de 1952, révisée à Paris le 24 juillet 1971 (n° 73-26 du 5 juin 1973), l'ordonnance relative aux appellations d'origine (n° 76-65 du 16 juillet 1976), l'ordonnance relative au dépôt légal (n°96-16 du 2 juillet 1996. A l'échelle des engagements internationaux, nous citerons la Déclaration universelle des droits de l'homme (art.11 de la Constitution de 1963) et le décret présidentiel portant adhésion de l'Algérie, avec réserve, à la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, du 9 septembre 1886, complétée à Paris le 4 mai 1896, révisée à Berlin le 13 novembre 1908, complétée à Berne le 20 mars 1914 et révisée à Rome le 2 juin 1928, à Bruxelles (n° 97-341 du 13 septembre 1997). En adoptant des lois nationales et en souscrivant à des instruments internationaux, pour délimiter le paysage juridique de la propriété intellectuelle, l'Algérie s'est gardée d'emprunter la seule voie du droit d'auteur, en ouvrant une large perspective à l'endroit de la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, se mettant sur les deux versants de l'OMPI et de l'UNESCO. C'est ainsi qu'elle a été le premier pays à avoir ratifié la Convention de l'UNESCO de 2003 sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, pour signifier son engagement à investir dans le champ conceptuel de la culture immatérielle et de l'oralité. Il faut souligner, ici, que cinq (05) ans avant l'adoption de la Convention internationale de 2003, sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, l'Algérie avait produit une loi sur la protection du patrimoine culturel (Loi n°98-04 portant protection du patrimoine culturel), dans laquelle les biens culturels immatériels sont définis « comme une somme de connaissances, de représentations sociales, de savoir, de savoir-faire, de compétences, de techniques, fondés sur la tradition dans différents domaines du patrimoine culturel représentant les véritables significations de rattachement à l'identité culturelle détenues par une personne ou un groupe de personnes ». Ces biens concernent les domaines suivants : « l'ethnomusicologie, les chants traditionnels et populaires, les hymnes, les mélodies, le théâtre, la chorégraphie, les cérémonies religieuses, les arts culinaires, les expressions littéraires orales, les récits historiques, les contes, les fables, les légendes, les maximes, les proverbes, les sentences et les jeux traditionnels ». Cette loi avait même précisé les domaines d'intervention de la sauvegarde des biens culturels immatériels, « l'étude, la sauvegarde et la conservation des expressions et matériaux culturels traditionnels... notamment : - la constitution de corpus et banques de données concernant le patrimoine culturel immatériel par l'identification, la transcription et la classification, la collecte, l'enregistrement par tous moyens appropriés et sur tous supports auprès de personnes, groupe de personnes ou de communautés détentrices du patrimoine culturel immatériel; - l'étude des matériaux recueillis par des scientifiques et institutions spécialisées pour approfondir la connaissance et repérer les références identitaires socio-historiques; - la sauvegarde de l'intégrité des traditions en veillant à éviter leur déformation lors de leur transmission et diffusion; - les matériaux de la culture traditionnelle et populaire collectés font l'objet de mesures de conservation appropriées à leur nature de manière à en conserver la mémoire sous toutes ses formes et la transmettre aux générations futures; - la diffusion de la culture immatérielle, traditionnelle et populaire par tous moyens : expositions, manifestations diverses, publicitaires, toutes formes et tous procédés et moyens de communication, création de musées ou sections de musées; - la reconnaissance des personnes ou groupe de personnes détentrices d'un bien culturel immatériel dans un des domaines du patrimoine culturel traditionnel et populaire ». Des difficultés de mise en œuvre L'adoption de cet arsenal juridique, national et international, ancré aux principes et orientations de l'OMPI/UNESCO, s'il s'est montré satisfaisant au regard de l'autorité administrative (l'Etat), face à ses engagements institutionnels, est, par contre, sans effet face aux attentes des détenteurs et gardiens de savoirs traditionnels et d'expressions culturelles, qui font valoir une autre approche de la protection et de la sauvegarde, celle de leur droit à contrôler et à bénéficier de l'usage de leurs savoirs traditionnels et leurs expressions culturelles traditionnelles. Cette question ne relève pas du champ de la Convention de l'UNESCO de 2003, qui n'agit qu'au titre de l'identification, de la documentation et de la promotion. La Convention n'a aucun mandat sur la propriété intellectuelle. Ce mandat est du ressort de l'OMPI, qui est appelée à assurer la protection des droits des détenteurs, mais l'OMPI n'est jamais parvenue à accéder au stade de la protection de la propriété intellectuelle des détenteurs de savoirs traditionnels et des expressions culturelles traditionnelles; elle n'a pas dépassé le niveau de la préservation et de la sauvegarde, tel qu'énoncé dans la Convention UNESCO. Cette situation de chevauchement et de télescopage OMPI/UNESCO est lourde de conséquences. Paradoxalement, en enregistrant, documentant et en publiant des éléments du patrimoine culturel immatériel, selon les orientations de l'UNESCO, pour des objectifs de viabilité et de transmission générationnelle, nous participons, en même temps, à l'obstruction de la voie qui conduit à la protection de la propriété intellectuelle. En rendant de plus en plus accessible le patrimoine culturel immatériel, nous l'invitons à rejoindre le domaine public et, donc, le soustraire du détenteur de ce produit. Parfois même, ce sont les institutions ou les spécialistes, parties prenantes de l'enregistrement et de la documentation qui se substituent, sous des formes diverses, au détenteur de savoirs traditionnels et aux praticiens, en matière de propriété intellectuelle. L'UNESCO et l'OMPI sont appelées à accorder et harmoniser leurs instruments pour consacrer les missions qui leur sont dévolues, la protection (propriété intellectuelle) et la sauvegarde (patrimoine culturel). |
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