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D'Alep, en Syrie, à Oran
durant toute une carrière professionnelle, et à travers toute l'Afrique, au nom
des droits des femmes.Hommage à ma mère, à une grande
dame algérienne, militante et profondément dévouée à l'Algérie, à la protection
et la promotion de la femme algérienne et africaine, Madame Fatha
BETTAHAR née SAÏDI, présidente d'honneur de l'Organisation panafricaine des
femmes.
Mme Fatha Bettahar est née le 27 août 1936 à Alep en Syrie, de mère syrienne et de père algérien. A l'Ecole normale d'Oran, où elle a entrepris ses études, elle a réussi à s'imposer par son sérieux et son travail auprès de ses professeurs et à se faire respecter de ses camarades françaises, lesquelles au départ craignaient de s'en approcher ou même de lui adresser la parole, vu les appréhensions, préjugés et injustices sociales de l'époque coloniale. Mme BETTAHAR, dont l'éloquence s'est remarquée très tôt, que cela soit dans son parcours académique et son parcours professionnel, maîtrisait avec brio la langue de Molière, avait un très bon niveau en arabe et un niveau d'anglais fonctionnel. Après de brillantes études couronnées par de nombreux prix d'excellence obtenus chaque année à l'Ecole normale d'Oran, elle y décroche son baccalauréat scientifique avec mention (1955). Elle y poursuivra une année de spécialisation en tant qu'institutrice d'application (1956). Plus tard, elle entama également des études de droit dont une année à la faculté d'Oran, 1970-1971. Une épouse, une mère, une professionnelle : la dame moderne et authentique Tout en menant une carrière florissante, elle était tout aussi investie dans sa vie personnelle et familiale. Elle épouse l'homme d'affaires, El Habib Bettahar, en décembre 1956 et de cette union sont nés cinq enfants, Rachid, Amira, Amir, Redouane et Ramzi. Ces cinq enfants ont réussi leurs études universitaires et sont fiers du parcours professionnel et politique de leur maman exceptionnelle, qui a su être toujours présente malgré ses nombreuses et importantes obligations nationales et internationales. En plus d'avoir été une épouse parfaite, mère affectueuse et aimante, elle a également été une grand-mère remarquable pour ses douze petits-enfants. Elle a su être présente aux moments importants, autant pour les petits bonheurs que pour les moments plus difficiles. Par son soutien et ses conseils, elle leur a appris à être forts et leur a transmis toute sa force, son courage ainsi que son enthousiasme à relever tous les défis de la vie. Chasser le naturel, il revient au galop est une expression qui illustre bien le fait que Mme Bettahar était une pédagogue visionnaire. Celle-ci a, au cours de sa retraite, renoué avec les plaisirs de l'enseignement et de l'aide aux devoirs pour accompagner le parcours scolaire de ses petits-enfants. Ces instants, en plus d'être instructifs, étaient des moments de complicité de grandes qualités. Tes petits-enfants t'en remercient profondément, ce fut une chance indescriptible de t'avoir eu comme grand-mère. Une carrière multi scalaire : nationale et internationale Après une carrière dans l'enseignement comme institutrice (1956-1964), directrice (1964-1974) puis inspectrice d'école (1988), elle s'est impliquée dans les associations comme responsable au comité d'Oran du syndicat des enseignants, responsable au comité du mouvement de la paix, responsable au comité de l'Union nationale des femmes algériennes (UNFA) d'Oran puis secrétaire générale de l'UNFA d'Oran. Au lendemain de l'indépendance, le rôle de l'UNFA et de ses membres était différent de l'actuel. En effet, à cette époque, en raison des diverses injustices de la colonisation, la majorité de la population féminine algérienne avait un niveau d'alphabétisation très faible. Mme Bettahar s'est très vite impliquée au sein de l'UNFA pour se consacrer à la formation de la femme algérienne, à l'instar des autres membres de l'organisation. Ayant eu la chance d'avoir fait partie des rares Algériennes à bénéficier de l'enseignement de l'Ecole normale, elle a préféré renoncer à poursuivre ses études universitaires pour se consacrer à l'éducation des femmes algériennes en milieux urbain et rural, par dévouement pour son pays. Elle a très vite saisi l'importance d'un transfert de connaissance à l'endroit des femmes issues de milieux défavorisés, pour leur permettre de gagner leur autonomie et favoriser l'épanouissement de leurs foyers. Elle a, notamment, participé à la création d'écoles de couture et de tapisserie dédiées aux femmes, contribuant ainsi au développement et au dynamisme de la société algérienne. Mme Bettahar était visionnaire et a participé à penser les politiques de santé, en matière d'espacement des naissances. Ces politiques publiques se sont concrétisées, entre autres, par la création de trois centres d'espacement des naissances dans les villes d'Alger, d'Oran et de Constantine en 1967. Il y a lieu de rappeler que dès l'indépendance, lors de l'élaboration de la Constitution, l'accès à l'éducation a été inscrit comme droit, et ce, dans une logique égalitaire et sans discrimination à l'égard du genre. Toutefois, ces pionnières formées ont travaillé corps et âme pour que les futures générations de femmes algériennes évoluent au sein d'une société plus égalitaire et qu'elles soient en grand nombre à des postes de responsabilité. Mme Bettahar a été une actrice et un vecteur d'amélioration pour la condition féminine, dans la droite ligne de l'effort des militantes de la première heure dans la lutte pour l'indépendance et contre la colonisation. Au niveau national, Mme Bettahar a occupé les fonctions de : - secrétaire générale de l'UNFA d'avril 1974 à septembre 1978; - présidente de la sous-commission de la médiation à la commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l'homme (CNCPPDH, 2001- 2016). Dans son parcours professionnel, il y a lieu de souligner qu'après avoir pris sa retraite, l'Algérie a de nouveau fait appel à son expérience et à sa sagesse en lui proposant le poste de présidente de la médiation à la CNCPPDA dirigée par M. Farouk Ksentini. Par amour pour son pays, elle a toujours répondu présente à chaque fois qu'elle a été sollicitée. Au niveau international, Mme Bettahar a aussi été : - secrétaire générale de l'Organisation panafricaine des femmes (OPF) de juillet 1974 à 1980 (premier mandat, élue à Dakar en 1974); - secrétaire générale de l'OPF de 1980 à 1986 (deuxième mandat, élue au congrès en Libye en 1980); - fin de son deuxième mandat, octobre 1986, à Luanda en Angola; - présidente d'honneur de l'OPF, nommée lors du 8ème Congrès à Harare (Zimbabwe) en date du 31 juillet 1997. Elle a participé à de nombreuses conférences et rencontres internationales : - participation à toutes les sessions de la Conférence des chefs d'Etat de l'OUA et de ses Conseils de ministres en tant que secrétaire générale de l'OPF (organisation dotée du statut d'observateur auprès de l'OUA et des Nations unies). Cette décision d'accorder à l'OPF le statut d'observateur, lui aura valu de pouvoir orienter certaines décisions prises en faveur de l'émancipation de la femme. Il convient de rappeler que les femmes sahraouies ont rejoint l'OPF avant même que la RASD ne soit membre de l'ex-OUA (actuelle UA), c'est dire le dynamisme, le respect et l'esprit d'équité et de justice sociale de Mme BETTAHAR qui comptait autant pour elle que pour ses chères sœurs africaines. - Participation aux conférences organisées par le mouvement de la paix (FDIF) et l'Organisation de solidarité des peuples d'Afrique et d'Asie (l'OSPAA); - symposium des femmes à Moscou (1967); - symposium des femmes en Albanie (1968); - participation au 3ème congrès de l'OPF à Alger (1968); - Participation au Conseil des femmes guinéennes (1969); - participation au processus préparatoire du Congrès mondial des femmes africaines (Mogadiscio 1975); - organisation d'un symposium à Varsovie (Pologne 1975); - participation à des rencontres internationales de femmes à Moscou, en Tchécoslovaquie, Bulgarie, Hongrie (1975 et 1985); - participation au Congrès des femmes cubaines (décembre 1974); - participation au Congrès mondial des femmes (Berlin 1975); - participation à une conférence sur la promotion de la femme sous le parrainage du président Sékou Touré (février 1977); - participation à la Conférence mondiale des femmes (Nairobi 1985); - organisation de conférences de solidarité avec les mouvements de libération en tant que secrétaire générale de l'OPF dans plusieurs pays africains dont l'Algérie, la Libye, la Tanzanie, le Madagascar, le Mali, le Congo, le Sénégal, la Gambie, le Cameroun et enfin le Burundi en 1982 lors de la célébration du 20ème anniversaire de l'OPF; - ouverture d'un centre de formation à Luanda pour les Mouvements de libération en lutte (1980); - participation au 35ème Sommet de l'OUA tenu à Alger en 1999, en qualité de présidente d'honneur de l'OPF, membre de la délégation de l'Organisation panafricaine des femmes; - participation à la préparation et à la tenue du Conseil de l'OPF et du Forum pour la paix à Alger en octobre 1999; - participation à la 4ème Conférence des femmes à Addis-Abeba en novembre 1999; - participation à la célébration du cinquantième anniversaire de la création de l'Organisation de l'unité africaine (ex-OUA), organisée à l'occasion du 21ème Sommet de l'Union africaine, qui s'est déroulé du 22 au 27 mai 2013 à Addis-Abeba (Ethiopie). Mme Bettahar Fatha a su éveiller les esprits, plaider la cause de la femme africaine et influencer de multiples orientations politiques qui ont eu des impacts positifs sur les vies de milliers de femmes africaines. Elle était une femme ouverte au monde, elle a sillonné le continent africain, visitant villes, villages et contrées éloignées, à une époque où peu de dames (y compris parmi les ressortissantes des pays visités !) osaient s'y aventurer. Le voyage et la quête de la promotion et de la protection de la femme africaine faisaient partie intégrante d'elle. Malgré son impressionnante notoriété et les hautes fonctions assumées, elle demeura une femme simple, modeste et humble s'émerveillant devant les petites choses de la vie, le sourire d'un enfant, l'éclosion d'une rose dans le jardin, les réussites professionnelles et personnelles de ses enfants et collaborateurs. La légitimation et reconnaissance d'un combat humaniste et d'une parole politique Mme Bettahar a reçu de nombreuses décorations au niveau national et international pour récompenser son talent de tribun et son militantisme dans la promotion des droits de la femme. Par ses combats, elle a participé à faire des femmes algériennes et africaines des actrices émancipées, capables de contribuer au développement du continent et de leurs pays respectifs. Ses combats étaient multidimensionnels et couvraient les domaines de l'éducation, de la santé, de l'entreprenariat et de la finance. Décorations nationales : - décernée par Mme la ministre chargée de la Solidarité nationale le 31 juillet 1999, à titre de reconnaissance des 12 années de militantisme consacrées à la promotion de la femme africaine, en sa qualité de secrétaire générale de l'OPF; - décernée par l'UNFA d'Alger, pour toute cette carrière consacrée au développement de la femme, à la paix et pour les causes justes, le 8 mars 2000. Décorations internationales : - médaille de Cuba « l'Ordre de mérite de Anna Bettancourt » décernée par le président de la République de Cuba, Fidel CASTRO en novembre 1974, au même titre que Valentina Terechkova, première cosmonaute et Angela Davis qui a lutté contre l'apartheid et d'autres femmes non moins méritantes; - médaille du « Commandeur de l'Ordre national » décernée par le président de la République de Guinée, Ahmed Sékou Touré, le 19 novembre 1983, en remerciement pour son dévouement et son implication pour les droits de la femme en Afrique; - médaille du « Chevalier de l'Ordre national du Mali » décernée par le président de la République du Mali, Alpha Oumar Konaré, le 29 juillet 1999, pour son militantisme et ses douze années au service de l'OPF; - distinction remise à l'occasion du cinquantième anniversaire de la création de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), en hommage aux dix (10) femmes africaines qui ont marqué par leur engagement et parcours inlassable l'Organisation panafricaine des femmes (OPF). La première à s'exprimer à cette occasion parmi les dix femmes honorées a été Mme Bettahar au titre de l'Algérie, suivie de Mme Neto (Angola), Mme Assetou (Sénégal), Mme Zuma (Afrique du Sud) et Mme Johnson (Libéria). Le samedi 25 mai 2013, avant de rejoindre la salle de conférences où se déroulaient les festivités de ce cinquantenaire de l'UA, Mme Fatha Bettahar a accordé un entretien à la Radio nationale chaîne I, pour apporter son témoignage sur l'apport du militantisme des femmes algériennes à la promotion de la femme africaine, avec le soutien de l'Etat algérien (moyens financiers, siège et prise en charge de l'administration? à Alger pendant plus de seize années consécutives). L'interview a été diffusée à la Radio nationale le même jour. A l'occasion du cinquantenaire de l'UA, il a été décidé que les portraits des dames pionnières fondatrices de l'Organisation de la femme africaine qui ont été honorées, rejoignent ceux des militants africains à l'instar du regretté président Ahmed Ben Bella, du président sud-africain Nelson Mandela, de l'ancien Premier ministre Patrice Lumumba et tant d'autres. Le portrait de ces dames se trouve au sein du siège de l'Union africaine aux côtés des grands chefs d'Etat africains. Elle a eu droit à son trophée à l'occasion du cinquantenaire de l'UA qui lui a été remis dans son domicile par Mme Nouria Hafsi, secrétaire générale de l'UNFA et vice-présidente de l'OPF au titre de l'Afrique du Nord. Un dernier hommage lui a été rendu le 8 août 2021 par la présidente de l'OPF, Mme Eunice Lepidj de Namibie, lors de la conférence de soutien internationale à la militante Soltana Khaya. La présidente de l'OPF a rendu un grand hommage et a fait part de la perte d'une grande pionnière et membre fondatrice de la Panafricaine des femmes. Mme Nouria Hafsi représentante de l'Algérie, Mme Koite Assetou du Sénégal et d'autres militantes n'ont pas manqué de regretter le départ de cette grande dame qui aura marqué cette organisation et les militantes qui ont eu le bonheur de la connaître et d'apprendre à ses côtés. Pour ma part en tant que sa fille, je voudrais lui dire combien mes frères et moi, nous l'avons aimée, et combien nos enfants qui ont eu le bonheur de la côtoyer et d'apprendre à ses côtés garderont d'elle le plus beau souvenir. Le souvenir d'une dame non seulement élégante dans sa manière de parler, de nous raconter ses déplacements et aventures et de nous faire part de tout ce qu'elle a pu apprendre durant ses voyages en Afrique et dans le monde. Elle a toujours été si humble et gentille, voulant aider tout un chacun s'il lui était possible, aspirant toujours à réconcilier les uns avec les autres même quand il s'agissait de situations bien complexes et pourtant elle continuait à faire du bien autour d'elle, mais c'était notre maman qui était exceptionnelle. Elle aimait tellement l'Algérie. Mes enfants, mon époux, mes frères et leurs familles respectives la regretteront tout comme moi, mais ma grande consolation est qu'elle a certainement rejoint sa maman chérie, mon père aussi et toutes les personnes qui nous ont déjà quittés et qui comptaient tant pour elle et qu'un jour à notre tour, nous nous retrouverons si Dieu le veut. Madame Fatha Bettahar nous a quittés le 4 août dernier. Elle allait fêtait ses 87 ans le 27 du même mois mais Dieu en a voulu autrement. Elle repose au cimetière Djenan Essfari de Sahaoula, à Alger. A Allah nous appartenons et à Lui nous retournons. |
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