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La presque
totalité des pays du Maghreb souffrent d'un taux de chômage élevé dont les
jeunes, les personnes instruites et les femmes sont les principales victimes.
Bien que certains aspects structurels des dysfonctionnements du marché du
travail se retrouvent dans d'autres régions du monde, la dynamique du marché
dans cette région est cependant unique en son genre, dans la mesure où le
marché comporte à la fois des rigidités et une population active en rapide
expansion.
La coexistence de ces deux facteurs impose un fardeau écrasant aux gouvernements des pays de la région. Au Maghreb, il faudra créer 16 millions d'emplois environ pour les nouveaux demandeurs et 22 millions environ pour satisfaire à la fois les demandes des chômeurs et celles des nouveaux arrivants sur le marché. Dans les pays du Maghreb, le développement des marchés du travail est en général limité par une croissance insuffisante (Tunisie) ou trop lente (Maroc) ou bien exposé à l'instabilité de la croissance (Algérie) au niveau macro-économique ainsi qu'aux effets de politiques commerciales restrictives et du manque d'incitations pour le secteur privé. Depuis quelques années, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie ont obtenu d'excellents résultats en matière de création d'emplois. À la faveur de taux de croissance économique d'environ 5,4% par an en 2003 et 2004, les pays du Maghreb ont réduit le chômage qui a baissé de près de quatre points de pourcentage depuis l'année 2000. Malgré ces progrès, on peut se demander dans quelle mesure la baisse actuelle du chômage se maintiendra. Nombre des emplois créés depuis quelques années sont temporaires et dans l'ensemble, le niveau de création d'emplois au Maghreb paraît artificiellement élevé par rapport à la reprise récente de la croissance. L'élasticité de l'accroissement des emplois par rapport à la croissance de la production est en moyenne de 0,9, autrement dit bien supérieure aux moyennes internationales de croissance dans une perspective à plus long terme. Bien que le rapport emploi-production varie d'un pays à l'autre, cette accélération du rythme de création d'emplois par rapport à la croissance de la production donne à penser que les succès récemment remportés dans la lutte contre le chômage ne pourront pas être maintenus. Passer d'une économie dominée par le pétrole et instable à une économie plus stable et diversifiée. L'Algérie doit opérer une troisième transition pour stabiliser et diversifier son économie, grâce à une meilleure gestion de ses ressources pétrolières et un élargissement de la base de production de ses activités économiques. À cette fin, elle devra mettre en place des institutions et prévoir des règles budgétaires qui protègent les dépenses publiques de l'instabilité des cours du pétrole. Elle veillera aussi à sauvegarder les recettes pétrolières pour en faire profiter les populations lorsque les ressources pétrolières diminueront. Il faudra aussi améliorer l'efficacité des dépenses publiques en mettant en place un meilleur système de budgétisation qui privilégie les résultats et l'obligation de rendre des comptes. La diversification des activités de production se voit assigner un rang de priorité de plus en plus élevé. Une meilleure gouvernance est essentielle pour assurer la transition. Il convient de redéfinir le rôle que doit jouer l'État dans l'économie. Si l'État n'est plus l'employeur de premier ressort, il peut alors devenir un partenaire plus actif pour la création et le maintien d'opportunités d'emploi. L'État doit se doter de nouvelles capacités pour être en mesure d'administrer efficacement les programmes sociaux destinés à pallier les dysfonctionnements des marchés du travail et à protéger les travailleurs pendant la période de transition économique. Les pays du Maghreb doivent veiller à la crédibilité de leurs pouvoirs publics et développer les aptitudes des institutions étatiques à gérer le processus complexe et de longue durée du changement. Pour être plus précis, ces pays ont besoin des instruments institutionnels et réglementaires qui leur permettent de gérer le processus ardu de transition économique dans un contexte d'instabilité économique et de vulnérabilité sociale. Ils doivent instaurer des mécanismes de primauté du droit assurant la responsabilisation et la transparence au niveau des pouvoirs publics, notamment en matière de budgétisation et de politique budgétaire permettant aux citoyens d'examiner à fond la façon dont le gouvernement s'est acquitté de sa mission et de lui demander des comptes. La réforme du contrat social est un facteur essentiel pour l'avenir des marchés du travail. Au Maghreb actuellement, le contrat social à des fins de redistribution offre la sécurité d'emploi à une minorité de travailleurs, mais il entraîne en revanche la réduction des salaires et des niveaux de vie. Le contrat social est important dans la mesure où il maintient les programmes dont bénéficient les travailleurs démunis, mais les filets de sécurité ont atteint, voire dépassé les limites de leurs capacités. Face à la réduction des recettes de l'État et aux prévisions du déficit d'emploi le plus élevé du monde, le contrat social existant ne peut plus être maintenu. Pourtant, pour assurer la crédibilité des réformes, il faudra tenir compte des besoins sociaux des travailleurs et veiller à ce que la nouvelle donne économique soit jugée socialement acceptable par les citoyens. À cette fin, un engagement politique renouvelé s'impose pour la défense des politiques sociales dont la valeur est généralement reconnue, un nouveau contrat social liant la réforme aux principes de lutte contre la pauvreté, d'égalité et de sécurité des revenus. Un nouveau contrat social aura des avantages à long terme. Il assurera l'équilibre entre l'assouplissement nécessaire du marché du travail et les droits des travailleurs, en contribuant à éviter les bouleversements et les conflits sociaux, en donnant la possibilité aux travailleurs de jouer un rôle positif pour faciliter la transition vers des systèmes plus souples de production et la coordination entre eux. En outre, le contrat prévoira des mécanismes de soutien aux travailleurs amenés à s'adapter aux changements de la structure des emplois résultant du passage à des économies plus ouvertes exigeant de nouvelles compétences et s'appuyant davantage sur les nouvelles technologies de l'information. Ces avantages ne seront acquis qu'à condition de bien comprendre comment seront organisés les marchés du travail de demain. Au niveau microéconomique, l'évolution défavorable du marché du travail s'explique dans une large mesure par la réduction de la demande du secteur public, et la lenteur de la croissance du secteur privé. Les taux de chômage sont généralement les plus élevés chez les nouveaux demandeurs d'emploi jeunes dont le niveau d'instruction est moyen ou supérieur. Les chômeurs sont donc essentiellement ceux qui auraient eu une chance d'entrer dans l'administration publique après un certain nombre d'années d'emploi garanti dans le secteur public. Les taux de chômage en revanche sont faibles pour les demandeurs sans aucune instruction scolaire et qui ne peuvent prétendre à un emploi dans le secteur public. Le chômage résulte aussi dans une mesure non négligeable du fait que les travailleurs ayant atteint un certain niveau d'instruction de type scolaire ont des anticipations d'emploi optimistes alors que leurs qualifications ne sont guère prisées dans le secteur privé. Cette situation est liée au fait que les systèmes d'éducation dans les pays du Maghreb ont privilégié la filière de l'emploi dans le secteur public plutôt que l'acquisition de compétences recherchées par le secteur privé. Bien que le recrutement par le secteur public ait diminué depuis quelques années, et qu'il y ait moins d'écarts entre les salaires de ce secteur et l'extérieur, la structure du marché du travail reste segmentée. Les travailleurs continuent à être attirés par les avantages non salariaux tels que la sécurité d'emploi et la protection sociale, ce qui les incite à attendre d'obtenir un emploi dans le secteur public au lieu de chercher du travail dans le secteur privé. Voilà pourquoi les nouveaux demandeurs d'emploi instruits sont prêts à attendre leur tour pour devenir fonctionnaires. Le rôle prépondérant de l'État comme employeur crée des rigidités dans la structure des salaires, ce qui fausse les incitations sur le marché du travail. Puisque le secteur public a tendance à récompenser les demandeurs ayant atteint un certain niveau d'éducation scolaire, ceux-ci sont encouragés à accumuler ce genre de qualifications même si elles n'améliorent pas leur productivité et sont sous-estimées par le secteur privé. La concentration de travailleurs instruits dans l'administration publique non productive qui en résulte est une des explications majeures de la faible contribution du capital humain à la croissance économique au Maghreb. Bien que des mesures aient été prises pour réduire l'emploi dans l'administration publique ce secteur reste important du fait de sa taille et de son rôle de gestionnaire de l'économie (et en particulier de l'emploi). Dans les trois pays du Maghreb, la rationalisation de l'emploi dans le secteur public a progressé au cours des années 90 et les niveaux des effectifs dans ce secteur sont jugés plus élevés si on les compare à ceux d'autres pays de la région MENA. En Algérie l'emploi dans le secteur public se situerait à 29% (1999) d'après les estimations, contre 56.6% en 1990. En Tunisie où il était de 25% en 1989 il a baissé à 21,9% (2001). Le Maroc a maintenu l'emploi dans le secteur public au niveau le plus bas soit 9,9% (1999) alors qu'il était de 12,6% en 1991. Cependant, en Algérie la création d'emplois dans le secteur public était à l'origine de 36,6% de la croissance totale de l'emploi entre 1996 et 1999, alors qu'en Tunisie le secteur public n'entre que pour 4,6% seulement dans la création d'emplois. Ces pays considèrent encore que le secteur public est un des principaux créateurs d'emploi. C'est seulement au Maroc que la suppression d'emplois dans l'administration publique s'est traduite par une diminution réelle de la part de l'emploi du secteur public dans la croissance totale de l'emploi. Un meilleur fonctionnement du marché du travail passe par la réforme du cadre institutionnel et réglementaire. Les propositions des pouvoirs publics qui visent à atténuer les pressions sur le marché et créer de meilleurs débouchés doivent s'attaquer aux rigidités structurelles et examiner en particulier le rôle de l'État en tant qu'employeur et régulateur du marché du travail. Pour être efficace et durable à long terme, le recentrage des incitations en faveur de l'emploi dans le secteur privé doit se fonder à la fois sur l'encouragement et la dissuasion. Les diverses mesures visant à réduire la part de l'emploi dans le secteur public vont de l'attrition naturelle et du gel des recrutements, jusqu'à l'attrition accélérée provoquée par d'importants ajustements de salaires ou par la suppression de certains avantages et au dégraissage officiel des effectifs par le biais de licenciements. Les pouvoirs publics devraient également apporter des modifications à l'environnement réglementaire qui va dans le sens de la promotion de la croissance du secteur privé et de l'investissement tout en protégeant les travailleurs qui risquent d'être pénalisés par ces réformes. L'intervention de l'État sur le marché du travail s'est étendue au secteur privé à des fins de protection sociale et de justice pour les travailleurs. Qu'elles portent sur les contrats de travail, les salaires minimum, les indemnités de départ, les licenciements, le droit syndical, ou le cadre des négociations collectives, ces réglementations du travail visent à protéger les travailleurs contre les actions arbitraires ou injustes des employeurs tout en palliant les défaillances éventuelles des marchés dues à un manque d'information ou d'assurance contre les risques. Ces dispositions sont favorables aux travailleurs mais elles augmentent aussi les dépenses de fonctionnement des entreprises privées, ce qui entraîne une baisse de la productivité et de la croissance. Les règles et procédures rigides qui imposent des coûts excessifs et un fardeau de tâches administratives aux entreprises risquent de les décourager d'entreprendre une restructuration. Le défi que pose la création d'emplois exige l'adoption d'une approche globale des réformes, même si les priorités et l'ordonnancement des mesures doivent varier d'un pays à l'autre en fonction de la situation initiale de chacun, notamment leur dotation en ressources, les progrès déjà accomplis en matière de réformes et la qualité des institutions. La nécessité d'une approche globale n'enlève pas sa valeur à la notion de progressivité pour faire avancer l'exécution du programme de réformes. Il ne faut pas non plus sous-estimer l'importance de choisir l'ordonnancement approprié des réformes pour donner au programme toutes ses chances de succès. Une telle approche toutefois conditionne la vision de ce qui est requis pour rétablir les opportunités économiques et assurer le bien-être des populations. Les pays du Maghreb ont besoin d'une transformation de large portée de leurs économies afin de renforcer les ressorts essentiels de la croissance économique et trouver des possibilités viables de création d'emplois destinés aux millions d'hommes et de femmes qui afflueront sur le marché du travail au cours des deux décennies à venir. Il y a très peu de chances, et il est même peu souhaitable, que le secteur public reste la source principale de création d'emplois à l'avenir, bien que l'État puisse continuer à procurer des emplois à une minorité de nouveaux demandeurs d'emploi. Du fait des contraintes budgétaires et de la faible productivité de la main-d'œuvre, toute expansion de l'emploi dans le secteur public entraînerait des coûts budgétaires accrus et ne suffirait pas à absorber les chômeurs et les nouveaux diplômés qui se bousculent pour entrer dans l'administration. À moins d'une accélération de la croissance de l'emploi dans le secteur privé formel, les nouveaux arrivants, de plus en plus nombreux, risquent d'être canalisés vers l'économie informelle. Les rapports de la région sur l'emploi, les échanges et la gouvernance font valoir que si les pays du Maghreb veulent accélérer la création d'emplois et la croissance, ils doivent résoudre des problèmes d'ordre politique et institutionnel afin de réaliser trois recentrages fondamentaux et interdépendants de leurs économies: ?Passer d'une économie dominée par le secteur public à une économie dominée par le secteur privé. ?Passer d'une économie fermée à une économie ouverte. ?Passer d'une économie dominée par le pétrole et instable à une économie plus stable et diversifiée. Si l'État ne veut plus être l'employeur prioritaire, il peut alors s'impliquer davantage comme partenaire dans la création et le maintien des opportunités d'emploi. Il est essentiel que l'État joue un rôle actif pour l'amélioration des services sociaux, surtout la santé, l'éducation et la sécurité sociale, visant à créer les conditions permettant aux travailleurs de prospérer et aux économies de croître à un taux suffisamment rapide pour alimenter la création d'emplois. Le soutien de l'État sera nécessaire pour transformer les institutions où sont actuellement représentés les travailleurs en un véritable système de négociation collective. L'État devra se doter de nouvelles capacités pour administrer efficacement les programmes sociaux qui auront pour but de surmonter les dysfonctionnements des marchés du travail et de protéger les travailleurs pendant la période de transition économique. L'achèvement des réformes va dépendre de la crédibilité des pouvoirs publics et de l'aptitude des institutions de l'État à gérer un processus de changement complexe et de longue haleine. Au Maghreb, les gouvernements sont handicapés par le fait que leurs institutions organisées auparavant pour soutenir des politiques axées sur la redistribution et les interventions ont du mal à s'adapter à leurs nouvelles tâches, aux exigences des nouvelles orientations et au nouveau cadre réglementaire. Les gouvernements ont besoin de disposer d'instruments institutionnels et régulateurs pour gérer la période difficile de transition dans un climat d'instabilité économique et de vulnérabilité sociale. Aussi, les réformes de la gouvernance sont-elles essentielles pour permettre aux gouvernements de concevoir et réaliser de façon crédible un nouveau schéma des relations entre l'État et la société. Pour s'acquitter des tâches qu'implique cet objectif, les pouvoirs publics devront faire preuve d'un certain sens de l'initiative, de créativité, de compétence qu'il faudra cultiver avec détermination dans toute la région. Pour aller de l'avant, les gouvernements eux-mêmes devront créer des liens entre les résultats économiques et la qualité de la gouvernance. Ils doivent mettre en place des mécanismes de défense de la primauté du droit pour assurer qu'à leur niveau l'obligation de rendre des comptes et la transparence soient respectées (notamment en matière de budgétisation et de politique budgétaire). Ainsi, les citoyens seront-ils en mesure de contrôler la façon dont l'État s'acquitte de ses tâches et de demander des comptes aux responsables. |
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