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Le management: parent pauvre de l'innovation
Bien que 85% des dirigeants estiment que l'innovation est primordiale pour rester compétitif, les entreprises n'y accordent qu'environ 10% de leur temps. Si 54% des collaborateurs suggèrent de nouvelles idées à leurs managers, seulement 11% d'entre elles sont prises en considération. Selon un sondage Ipsos de 2013, l'innovation est confiée à 72% aux fonctions Recherche & Développement, Qualité et Marketing, ce qui représente entre 5 à 8% de l'effectif. Les autres fonctions ne seraient-elles pas concernées par la recherche de nouvelles idées ? Quand on parle d'innovation, on pense en premier lieu aux innovations technologiques ou à la création de nouvelles offres. D'ailleurs, les classements des entreprises innovantes sont basés sur le nombre de brevets déposés. Mais très rares sont les décideurs qui parlent d'innovation managériale ! Et lorsqu'il est état d'innovation managériale, les évolutions portent avant tout sur l'organisation et les systèmes d'information. Les «principes collaboratifs» arrivent en dernière position alors que c'est très certainement dans cette direction que se situe la véritable (r)évolution du management. En effet, il ne suffit pas de «greffer» une nouvelle théorie de management pour qu'elle prenne, il faut que tout le corps l'accepte. Si Toyota est l'exemple par excellence du Lean management, on ne peut pas en dire autant d'autres entreprises pour lesquelles cette expérience s'est soldée par un véritable fiasco. Quelle en serait la raison ? Tout simplement parce que, chez Toyota, le Lean management n'est pas une méthode mais une philosophie, une manière de fonctionner et de se comporter fortement ancrée chez tous les salariés, quelles que soient leurs responsabilités. Vers un renouveau managérial? Une tendance se dégage nettement: celle de la valorisation de «l'intelligence humaine». Ces dernières années auront été marquées par un nouveau courant de pensée: le management collaboratif (parfois intitulé coopératif ou démocratique). Contrairement à la perception «X» de la théorie de McGregor, le management collaboratif repose sur un état d'esprit «Y» qui part du principe que les salariés ont des capacités, du goût pour le travail, le sens des responsabilités et l'envie d'être associés aux projets de l'entreprise, donc qu'il est possible de leur faire confiance. Genèse du management collaboratif Du latin collaborare, la collaboration désigne l'idée de «travailler en commun pour gagner des bénéfices». Par conséquent, elle ne s'oppose pas au principe de subordination (le salarié reste sous la responsabilité de l'entreprise). Le principe du management collaboratif n'est pas nouveau. L'association des salariés a émergé à travers plusieurs concepts de management, sans pour autant représenter un «courant de pensée managériale» à part entière. Dans un premier temps, à travers un statut juridique de 1947, la Société Coopérative et Participative (SCOP). Les décisions importantes sont prises lors d'assemblées générales où tous les salariés votent (1 salarié = 1 voix). Puis, dans les années 80, l'implication des salariés s'est manifestée: - Au sein de «Cercles de qualité»: démarche basée sur la réunion de personnes directement concernées par un problème dans le but de trouver des solutions et stopper les gaspillages. - Au travers de «Groupes d'expression des salariés» sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail suite aux lois Auroux de 1982. Ces deux mesures étaient principalement axées sur l'incitation des salariés à faire preuve d'initiatives sur la manière de réaliser leur travail, sans avoir pour autant de latitude décisionnelle ni d'aptitude à s'exprimer en dehors de leur périmètre de responsabilité. La mise en avant du système collaboratif s'est par la suite manifestée par le biais de «boîtes à idées» ou de méthodes de «brainstorming» (remue-méninges) dans les années 90 où chacun était invité à exprimer, au sein de groupes de travail spécifiques, des idées originales, sans jugement, ni critique. Cependant, une fois les idées émises, seuls les experts métier étaient décisionnaires de la mise en œuvre car cette méthode était avant tout orientée sur l'amélioration des processus actuels. Il faudra attendre le début des années 2000 pour percevoir les bénéfices du management collaboratif, notamment à travers des exemples d'appropriation par certaines entreprises qui étonnent par leurs capacités à développer leurs performances, même et surtout en temps de crise. Les 4 piliers du management collaboratif, les «4C» Le management collaboratif repose sur 4 piliers. Certains sont une réponse aux limites de pratiques managériales devenues inopérantes (confiance, convivialité), d'autres sont un alignement aux valeurs, systèmes et attentes émergents (co-créativité, choix). 1er pilier: la CONFIANCE La confiance est une croyance spontanée ou démontrée de la valeur (morale, affective ou professionnelle) d'une personne qui fait que l'on est incapable d'imaginer de sa part de la tromperie ou de la trahison. 4 principes favorisent le renforcement de la confiance: - LE SENS : Le sens peut se définir comme une direction vers laquelle toutes les énergies doivent s'orienter mais aussi le but ultime de la raison d'être de l'entreprise, de sa valeur, de sa particularité, de ce qu'elle apporte à son environnement. L'engagement d'une personne dépend fortement du sens qu'elle donne à sa contribution. Mobiliser par le sens suppose, non seulement d'afficher une vision mais aussi d'animer par la finalité (pour quoi) plutôt que par l'activité (comment). - L'AUTHENTICITE: La sincérité, la transparence et l'authenticité dans les relations contribuent à renforcer la confiance entre les acteurs de l'entreprise. La méfiance est le résultat, soit d'une peur ou d'une appréhension de l'avenir, soit d'un doute de l'information ou de la véracité d'un comportement. Dans tous ces cas, il importe d'instaurer un processus qui favorise l'expression des interrogations et qui permette aux intéressés d'avoir des réponses honnêtes. - LA PROXIMITE : La confiance repose sur la capacité à pouvoir échanger et partager avec les personnes concernées rapidement et simplement, quel que soit le statut ou la fonction. Cela suppose d'être aux côtés de ses équipes. - LA VALORISATION : Il s'agit de reconnaître la contribution du salarié, non pas en fonction de son statut mais de sa valeur ajoutée. La valorisation peut s'exprimer sous différentes formes telles que la reconnaissance auprès d'un groupe, l'association à un projet transverse, l'intégration à un cycle dédié aux potentiels. Une personne sera d'autant plus en confiance qu'elle constatera que ses efforts et sa contribution sont reconnus. 2e pilier: le CHOIX Le choix peut être résumé comme la liberté donnée à une personne à s'engager de manière volontaire, en connaissance de cause et en assumant les conséquences. 4 principes favorisent le renforcement du choix: - L'ENGAGEMENT: Un bon niveau de collaboration repose sur l'envie manifeste et partagée de s'impliquer en toute connaissance de cause. C'est à cette condition que le contrat doit être signé et régulièrement «revisité». Plusieurs moments sont propices à cette évaluation: au moment de la sélection d'un candidat, à l'issue de la période d'essai, lors du parcours d'intégration, lors des entretiens d'évaluation et des entretiens de carrière. - LA LIBERTE: Il s'agit de la latitude laissée aux salariés de s'organiser comme ils le souhaitent pour atteindre leurs résultats. La liberté porte sur le «comment» (organisation du travail) et non sur le «quoi» (missions) et le «pour quoi» (finalité) et doit faire l'objet d'une négociation préalable. - LA RESPONSABILITE: Si l'accent mis sur le bien-être est un des fondements du management collaboratif, sa contrepartie est la responsabilité (personne n'en parle !). Elle se traduit par la capacité d'une personne à assumer ses actes, que les résultats soient positifs ou négatifs. - LA FLEXIBILITE: Les entreprises doivent apprendre à remettre en cause ou assouplir leurs modes d'organisation. Par ailleurs, l'innovation ne peut se faire que par l'expérimentation, ce qui doit amener les entreprises à autoriser les salariés à explorer de nouvelles pratiques, de nouveaux procédés. La flexibilité repose également sur une réallocation des ressources permanente au regard des évènements imprévus. 3e pilier : la COOPERATION La coopération désigne l'idée d'agir, de travailler conjointement avec une ou plusieurs autre(s) personne(s). 4 principes favorisent le renforcement de la coopération: - LE SOUTIEN: Le soutien (psychologique et technique) est l'un des piliers de la prévention des risques psychosociaux. Se sentir soutenu permet d'être rassuré et facilite le développement professionnel. - LA CO-CREATIVITE: Les innovations viennent rarement d'une seule personne mais plutôt d'un processus d'agrégation d'idées échangées entre plusieurs personnes. La co-créativité consiste à autoriser chaque personne dans l'entreprise, quel que soit son statut ou son métier, à émettre de nouvelles idées. Cette démarche est souvent parallèle au processus décisionnel traditionnel et permet d'éviter les rétentions d'informations ou les blocages d'un manager avide de pouvoir. - LA COMPLEMENTARITE : L'évolution d'un groupe passe par les apports réciproques des différents membres du groupe entre eux (âge, culture, formation, sexe?). La conformité et la modélisation freinent l'innovation. La diversité est très souvent source d'enrichissement et il importe de favoriser les échanges de points de vue, d'expérience et de compétences. La mobilisation de la somme des talents individuels optimise la performance collective. - LA TRANSVERSALITE: La transversalité horizontale (entre fonctions) et verticale (entre niveaux hiérarchiques) facilite la réactivité, la résolution des problèmes, l'innovation et la bonne entente. Au contraire, la division du travail et le cloisonnement freinent la collaboration et favorisent les luttes de pouvoir. Le rationnel divise alors que le relationnel (ré)unit. La transversalité consiste à faire tomber les barrières afin de renforcer la solidarité et l'esprit d'équipe. 4e pilier: la CONVIVIALITE La convivialité désigne la qualité et le caractère positif et agréable des relations entre personnes. 4 principes favorisent le renforcement de la convivialité: - L'AMBIANCE: L'atmosphère de travail, fortement influencée par les valeurs, l'organisation et la nature des relations entre les acteurs de l'entreprise contribue à l'épanouissement des salariés. Il s'agit tout autant de l'infrastructure que des conditions de travail. Les enjeux du management de demain reposent sur l'aptitude à créer un bon climat de travail. - LE PLAISIR: Au-delà de l'ambiance et du cadre de travail, le plaisir éprouvé à réaliser ses activités est une des conditions majeures de la performance d'une personne. Il s'agit ici de se concentrer davantage sur ce que la personne aime faire (talent) que sur ce qu'elle sait faire (compétence). Il vaut mieux miser sur ses points forts que lutter contre ses points faibles (voir notre article «Management des compétences et des talents: quelles différences ?»). - LA CELEBRATION: L'organisation d'évènements (vœux, stratégie, projet, date anniversaire?) permet à l'entreprise de renforcer les liens et de solidifier le sentiment d'appartenance. Les célébrations sont souvent des moments privilégiés où les salariés peuvent se découvrir autrement qu'à travers le rôle qu'ils incarnent dans l'entreprise. - L'EQUILIBRE: D'une manière générale, le bien-être s'obtient lorsqu'une personne a trouvé son équilibre au sein de ses différents domaines de vie (travail, famille, en soi, réseau social?). C'est toujours dans l'excès que se trouve le problème. Etre gentil est une bonne chose, être trop gentil revient à être dépendant. Etre courageux est une vertu, être intrépide peut s'avérer dangereux. Consacrer du temps à son travail est important, se sacrifier pour son travail risque de mettre en péril sa vie personnelle (et avoir des conséquences négatives sur sa performance professionnelle). A bien y réfléchir, ces 4 piliers sont du «bon sens paysan» et demandent très peu d'investissement financier. Mais c'est parce qu'ils remettent en cause «l'ordre» établi qu'il est difficile de les intégrer. Le management collaboratif est davantage une démarche communautaire que collectiviste. Nombre de dirigeants y aspirent mais constatent souvent une «levée de boucliers» de leur management. Management collaboratif et méritocratie L'omniprésence du digital est un fait indéniable. Les outils numériques permettent de partager l'information plus rapidement, d'optimiser le travail d'équipe, et rend l'organisation à la fois plus transparente et plus accessible. Le management devient donc moins pyramidal et plus collaboratif, les échanges plus horizontaux et la liberté d'entreprendre s'en trouve facilitée. Les jours des hiérarchies pyramidales sont-ils comptés ? La décentralisation annihile-t-elle toute forme de hiérarchie ? Allons-nous progressivement entrer dans l'ère de la gouvernance et de la gestion décentralisée ? Pourrions-nous aller jusqu'à imaginer des organisations où le rôle de chacun n'est absolument pas prédéfini ? Pourrions-nous aussi nous faire à l'idée qu'une personne puisse imaginer une tâche, la proposer, la réaliser et se faire évaluer par la communauté ? Eh oui, comme les temps changent vite ! Au sein des nouvelles organisations interactives, proactives et collaboratives, le poids d'un individu au sein du groupe n'est plus corrélé à un statut acquis lors de la signature d'un contrat, par exemple, mais à ses actions. Les promotions ne se négocient plus, elles se bâtissent. L'idée sous-tendue est de permettre de créer collectivement de la valeur et de la redistribuer en fonction des contributions de chacun, sans aucun patron. Concevoir un monde où le travail ne rime plus avec contrat mais avec valeur. Plus vous vous investissez dans un projet donné, plus votre rétribution sera importante. En résumé, c'est travailler plus pour réellement gagner plus. Les collaborateurs sont libres de créer ou rejoindre un projet et d'y travailler. Les contributions de chacun sont documentées pour pouvoir ensuite rétribuer chaque participant à la hauteur de son investissement. La fixation des objectifs et la définition des missions n'incombent plus au top management. Vous n'êtes pas à un poste précis, vous êtes un contributeur aux multiples casquettes, compétences et envies. Vous vous autogouvernez. «Cette idée est inspirée des projets collaboratifs en open source, où chacun participe de manière spontanée», dixit Primavera De Filippi. De quoi se responsabiliser, optimiser l'utilisation de ses compétences et laisser libre cours à sa créativité. Avec un tel système de collaboration, les individus ne travaillent pas pour quelqu'un mais coopèrent dans un même but. C'est bien la qualité du travail fourni qui détermine la hiérarchie. De quoi en faire un modèle de méritocratie c'est-à-dire où le mérite détermine la hiérarchie. Transition progressive Excepté si l'entreprise se crée sur ce modèle, la transition vers un mode de management collaboratif doit se faire progressivement. Il vaut mieux privilégier la politique des «petits pas» plutôt que de se lancer dans une réforme globale (plutôt que de s'engager dans une réorganisation en «cellules», développez dans un premier temps la co-créativité ou renforcez la proximité de votre management, ce sera déjà très bien !). Contrairement aux autres modes de management, il n'existe pas de modèle ou de méthodes. Il s'agit avant tout d'un état d'esprit, d'une autre vision du travail. Chaque nouvelle pratique collaborative doit être le fruit d'échanges et d'expérimentations. Pratiques managériales innovantes Authenticité, audace, souplesse, inventivité,? mais aussi confiance, engagement et responsabilité, plaisir et bien-être (convivialité et bonne ambiance), agilité et liberté, collaboration et créativité-innovation. Tout le monde s'accorde à dire que nos entreprises (aussi bien privées, publiques que mixtes) doivent se réinventer pour se différencier. Mais quand on parle d'innovation, on pense stratégie, offre, organisation et très rarement management. Pourquoi ? Vous, qui découvrez cet article, aimeriez-vous travailler au sein d'une entreprise où: - les missions que l'on vous confie sont passionnantes ? - les relations sont authentiques et basées sur la confiance ? - vous disposez d'un niveau d'autonomie et de liberté suffisant ? - les équipes sont solidaires et les collaborations entre services constructives ? Est-ce le cas ? Si oui, sachez que vous êtes de votre temps et que l'entreprise à laquelle vous rêvez est certainement innovante dans le sens où ses pratiques modernes ont fait d'elle une «pépite» en matière de pratiques managériales. A suivre *Consultant en management |
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