Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Tout récemment,
les différentes directions de la santé à travers le pays ont été destinataires
d'une instruction* émanant du ministère de la Santé portant organisation de
gardes dans les cabinets privés.
Un moment pas du tout fortuit pour diffuser cette instruction, le département ministériel est sous les feux de la rampe depuis l'affaire de l'hôpital de Ain Oussera qui a été sortie de son contexte pour alimenter des médias et une certaine presse avides de sensations, heureux de mettre le feu sur l'huile et qui se sont mus en autorité judiciaire aptes à juger et condamner des faits dont ils ne prennent même pas la peine de comprendre la teneur et d'en vérifier la réalité, relayés en cela par des réseaux sociaux prêts à en découdre dès qu'il s'agit d'un service public. L'instruction* stipule que le secteur privé assurera des gardes dans les cabinets les jours ouvrables de 16 heures jusqu'au lendemain à 8 heures, soit 16 heures, et de 08 heures du matin jusqu'au lendemain à 08 heures les jours fériés et week-ends, soit 24 heures! Loin est l'intention de se dérober du devoir de ce qu'on devrait plutôt appeler une permanence et non une garde, nous pouvons aisément conclure que l'initiateur de cette instruction ne s'est pas du tout douté des difficultés d'application et de l'intérêt même à en tirer si ce n'est qu'un effet d'annonce pour ne pas se faire traiter d'immobilisme face à une situation alarmante. Le mal est profond et ce n'est pas des décisions irréfléchies prises à la hâte qui vont solutionner ce problème devenu inextricable après des années de rafistolage et de fuite en avant. Cette instruction semble être une réponse au déficit que connait le secteur public en personnel après les départs massifs en retraite et retraite anticipée déclenchés par la décision prise par l'ex-Premier ministre M. Sellal et dont nous commençons à mesurer seulement les conséquences dans le secteur de la santé. L'objectif non déclaré de cette instruction est de répondre aux urgences face à la défaillance du secteur public décrié par les usagers. Nous allons donc doucement décortiquer cette instruction qui porte en elle les germes de son échec prévu et prouver son inefficacité et même sa dangerosité. Les citoyens qui s'adressent aux urgences médicochirurgicales peuvent être classés en plusieurs catégories selon les cas. - Il y a d'abord ceux, les plus nombreux, qui nécessitent de simples consultations qu'ils n'ont pas pu ou pas voulu faire durant la journée ; ceux-là pourront s'adresser aux centres de santé qui devront assurer des permanences au-delà des heures de travail, les cabinets privés pourront servir d'appoint quand il y a un manque de structures pour répondre aux sollicitations et encore si les citoyens sont disposés à régler les honoraires majorés pour la circonstance habitués qu'ils sont pour beaucoup d'entre eux aux actes gratuits, cette dernière catégorie optera dans tous les cas pour le service public ; les urgences vitales resteront l'apanage exclusif de l'hôpital et dans tous les cas une simple consultation pourra toujours attendre le lendemain. - Ensuite il y a les urgences vraies engageant le pronostic vital tel un abdomen chirurgical, un infarctus, un accident cérébral ou traumatique, une urgence obstétricale ; dans tous ces cas de figure, les cabinets ne sont pas dotés en moyens humains et matériels pour y faire face ; au contraire, cela pourrait engendrer des dépenses supplémentaires pour les consultants qui se feront délivrer en contrepartie une lettre d'orientation vers le service des urgences sans compter les difficultés de transport et d'accès (beaucoup de cabinets sont situés dans des immeubles sans ascenseur ) en plus des désagréments causés aux voisinage, mais ce qui est encore plus grave, c'est la perte de temps qui pourrait être préjudiciable au patient dans ces cas où les minutes comptent ! Revenons aux modalités de garde - Assurer une présence au cabinet pour une durée de 12 à 24 heures au décours d'une journée de travail astreignante est quasiment inhumain surtout pour des médecins d'un certain âge à la santé fragile et qui pour beaucoup d'entre eux ont quitté d'ailleurs les hôpitaux affaiblis par tant d'années de souffrance, de stress permanent et de gardes dans des conditions assimilées parfois au travail forcé. -Assurer une garde dans un cabinet exige la présence d'un personnel auxiliaire, infirmier ou réceptionniste, durant toute la durée de garde ! Je mets alors au défi si quelqu'un pourrait en trouver des volontaires et même s'il en existe le coût serait à la charge exclusive du médecin ! Même si aucun patient ne se présente. -Beaucoup de cabinets se trouvent dans des zones où la sécurité est aléatoire à partir de certaines heures de fin de journée ; qui va alors assumer la responsabilité d'assurer l'intégrité physique des médecins surtout quand il s'agit de femmes au moment même ou le personnel médical et paramédical est agressé dans l'enceinte même des hôpitaux ? Allons-nous nous affecter des éléments de la BRI auprès de chaque cabinet ? -Le médecin qui assurera une garde pourra t-il faire son travail correctement le lendemain ? Sinon va-t-il prendre une récupération au détriment de son gagne-pain ? Qui va l'indemniser ? -Ensuite comment vont être rythmées ces gardes ? La disparité entre les grandes villes et les petites ne permet pas une organisation équitable. Deux possibilités : Soit organiser une garde par spécialité ? Dans ce cas ce sont les médecins qui exercent dans les régions de déserts médicaux qui vont en pâtir le plus ! Sachant qu'au niveau des grands centres urbains, les villes sont dotées de nombreux centres hospitaliers, d'établissement spécialisés, de cliniques privées; la rotation de la garde sera très faible vu le nombre de médecins concentrés qui y exercent, au contraire des villes de l'intérieur où la présence même de ces spécialistes est un sacrifice, leur faible nombre les obligera a assurer des gardes des nuits en continu ! Et n'allez pas nous dire qu'ils gagnent plus car, au contraire, ils subissent une pression fiscale plus importante, la qualité de vie est moins attrayante, la population n'est pas prête à mettre plus dans la santé; il n'y a qu'à comparer les honoraires pour une même spécialité entre praticiens exerçant dans ces villes et ceux dans les grandes métropoles. À moyen terme, personne ne pourra tenir le rythme et ils seront contraints à quitter les lieux, aggravant encore la situation de pénurie en plus de décourager des nouveaux à venir s'y installer. Deux possibilités : Soit organiser une garde par spécialité ? Soit l'autre alternative qui est de mettre tous les médecins généralistes sur une liste et les spécialistes sur une autre: Dans ce cas et pour ces derniers, l'intérêt de la spécialité ne sera que loufoque; un cardiologue ne pourra rien faire par exemple à une parturiente prête à accoucher qui se présente à sa consultation ! De même qu'un gynécologue sera désarmé face à un infarctus! L'instruction laisse quand même au médecin spécialiste le choix de contracter une convention avec le secteur public qui le dispense ainsi des gardes au cabinet ! Un dilemme plutôt qu'un choix! Car il faut savoir que cette convention irréaliste et dégradante souffre de nombreux couacs qui découragent la majorité des professionnels de s'y aventurer. D'abord concernant la rémunération qui obéit à un cadre réglementaire qui n'a pas évolué depuis des décennies ; c'est 120 da, je précise bien cent vingt dinars de l'heure pour un médecin privé qui assure une activité dans une structure publique! Certains gestionnaires conscients de cette aberration ont tenté de contourner cela en comptabilisant l'intervention du médecin libéral comme une garde rémunérée au maximum 5000 da ! Et même ! Imaginez qu'un gynécologue appelé à pratiquer ne serait ce que trois ou quatre césariennes durant sa garde cela équivaudrait à 1000 da par intervention! Une somme dérisoire que n'importe qui la filera à quelqu'un venu lui régler sa parabole mal orientée ! Alors que ce même établissement est prêt à facturer sans compter l'intervention d'un chauffagiste ou un mécanicien venus faire une réparation de routine ! Le cadre juridique l'autorise! -Ensuite signer cette convention c'est se faire condamner soi-même et être à la merci de n'importe quel administratif ou apparatchik qui désire se faire consulter ou consulter ses proches sans débourser le sou ou prendre un rendez-vous comme le commun des mortels au cabinet ! Ce sera une autre forme de servitude inacceptable. Ce sont-là des faits avérés par le passé et non des suppositions. Les décideurs au plus haut sommet ont toujours trouvé les moyens de faire appel à des missions étrangères rémunérés en devises auxquelles on assure la sécurité, le logis et même l'immunité ! Alors autant en faire au moins de même pour les nationaux si on veut que le secteur devienne attractif et contribuer à stopper l'hémorragie ; et si le contexte économique ne peux plus le permettre, alors qu'on fasse participer les citoyens dont beaucoup sont prêts à faire des sacrifices pour une prise en charge efficiente de leur santé ; chaque travail mérite salaire. Il ne faut pas surtout jeter la corporation médicale en pâture à la vendetta du peuple désinformé sur le qui-vive en jouant sur la corde du nationalisme, de l'humanisme et des sacrifices de la société pour leur formation ! Ces médecins sont restés dans leurs pays durant les années noires de son histoire alors qu'ils pouvaient être ailleurs, ils ont accompli pour beaucoup d'entre eux le service national et civil dans des régions les plus reculées au prix de leur stabilité familiale de leur santé mentale et parfois même de leur sécurité, ils ont passé une partie de leur vie dans les hôpitaux, certains ce sont installés non pas pour le gain mais par épuisement ou contraintes de santé, d'autres ont fui les problèmes chroniques des structures hospitalières en manque de moyens et de considération, d'autres, et c'est vrai, ont été attirés par une rétribution plus intéressante qui leur permette de vivre décemment après des années d'études, de privation, de service civil et militaire ; nous ne pouvons pas les blâmer pour cela, ce sont des citoyens comme d?autres et ils n'ont pas à recevoir de leçons de patriotisme de personnes dont le parcours a souvent été un échec et qui ont profité des largesses du système sans rendre compte. Le peuple est assez mûr pour qu'on traite avec lui de ses problèmes dans la confiance et la transparence loin du populisme et de la démagogie. Ce sont là les raisons qui découragent les médecins d'opter pour la convention et qu'il va falloir prendre en considération si vraiment on veut trouver des solutions durables et consensuelles. A défaut d'obliger les médecins libéraux à se faire conventionner, reste le dernier subterfuge pour contraindre ces professionnels à exercer contre leur gré pour régler les problèmes du secteur public, c'est le recours aux réquisitions, solution de facilité qui a été pervertie et qu'au lieu d'être une exception dans des situations de catastrophe naturelle ou d'épidémie, est devenue malheureusement une manière de gestion réduisant les spécialistes à un état d?esclavagisme moderne ; On oblige quelqu'un par la force à travailler sans être décemment rémunéré. La gestion du secteur de la santé doit obéir à une stratégie transparente, scientifique, qui associe les concernés; les libéraux ont toujours été tenus à l'écart des problèmes de santé (le Quotidien d'Oran**), ils n'ont jamais été considérés comme des vrais partenaires mais plutôt comme un secteur parasite qui vit à l'ombre du secteur public; on fait appel à eux quand on est face au mur à coup de circulaires et d'instructions arbitraires, on les diabolise à outrance au point qu'il sont devenus l'ennemi à abattre; une fois le secteur public achevé, c'est au tour du privé de payer les frais d'une absence de politique clairvoyante et responsable. Notes: *instruction n°5 du MSP relatif au service de garde des médecins privés * *Le quotidien d'Oran du 06-08-2015 : un secteur ignoré. |
|