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Fuir n'est pas
une solution. Il faut savoir s'imposer. Alice Parizeau
Fuir le pays serait-il devenu le propre de l'Algérie ? Y a-t-il pays au monde où le désir de fuir, déguerpir, foutre le camp, aller ailleurs, émigrer, partir vivre sous des cieux pas forcément plus cléments, etc., est plus pressant que chez nous ? A peine savons-nous marcher que l'envie de décamper nous happe. C'est à croire que la fin du monde commencera chez nous et c'est à qui s'embarquera le premier sur l'arche de Noé. Les premiers mouvements de fuite d'Algérie eurent lieu dans les années soixante et ne concernaient pas des Algériens à proprement parler, mais les « repliés d'Algérie » ou les français d'Algérie qui volontairement ou sous contrainte se ruèrent en masse dans les bateaux pour (re)gagner la France. Il y aurait eu environ 260 000 départs. Refus de l'indépendance, peur des représailles, et la fragilité du lien entre ces rapatriés et la terre d'Algérie sont autant de motivations mises en avant pour expliquer cet exode. Ces hordes de rapatriés renfermaient en leur sein des Français, des Juifs, mais aussi des dizaines de milliers d'autochtones que leur engagement au côté de la colonisation a définitivement arraché à la terre natale. La longue nuit coloniale, toute la barbarie subie par l'autochtone et la cruauté de la guerre d'Algérie permet-il de concevoir une quelconque algérianisation de toute cette population hétéroclite que le colonialisme a sciemment essayé d'implanter en Algérie ? Bien avant cela, d'autres bateaux embarquèrent des Algériens que la misère arrachait aux leurs et envoyait en métropole pour y trimer qui dans les fonderies, qui dans les mines de Pas-de-Calais, et les huileries et raffineries de Marseille qui employaient la main d'œuvre kabyle à partir de 1905. A partir de 1912, entre 4 000 et 5 000 Algériens débarquent en France pour constituer le premier mouvement de migration significatif. Le mouvement s'accentue avec la Première Guerre mondiale, mais aussi la Deuxième Guerre pour la reconstruction de 90% des autoroutes françaises, un logement sur deux, et une machine sur sept. Ce qui est communément appelé la décennie noire et/ou les années quatre-vingt-dix voit apparaitre une autre forme de fuyards, les réfugiés politiques qui trouvent asile en France qui accorde 19 623 statuts, l'Allemagne reçoit 44 000 tandis que l'Angleterre abrite 11 600. Le Canada et les USA ont eux aussi ouvert leurs portes à travers une politique d'immigration sélective dont la fameuse cagnotte que des milliers d'Algériens attendent à l'arrivée de l'automne. Il va sans dire que cette immigration permet auxdits pays d'écrémer les candidats à la fuite en tablant sur les gens ayant au moins une douzaine d'années d'instruction. Toutefois, la plupart des diplômés qui s'en vont en Amérique du Nord se recyclent ou font une autre formation pour pouvoir rester dans l'orbite de leur spécialité quand ils ne dévient pas carrément vers des métiers en deçà de leur compétence. Ces immigrants figurent pourtant dans le lot des cerveaux dont la fuite constitue un casse-tête pour tout le monde. Il n'y a pas que les cerveaux algériens qui fuient leur pays ; les pays de l'hémisphère Sud, en particulier l'Afrique, offre le gros des contingents de cerveaux qui s'en vont gagner le Nord et/ou les pays industrialisés tels la France, la Grande Bretagne, les USA, Canada, l'Australie, la Nouvelle Zélande, etc. L'Europe connut et continue à connaître elle aussi un exode vers l'Amérique et l'Australie. Ayant fui l'Allemagne en 1933 pour échapper au nazisme à destination des USA, Albert Einstein est devenu le plus célèbre prototype du cerveau ayant fui son pays. Si la fuite d'Einstein a, semble-t-il, profité non pas uniquement au pays d'accueil, mais au monde entier, en est-il de même pour les cerveaux africains? L'expression originelle ?brain drain' est apparue en Angleterre après la Seconde Guerre mondiale suite au départ massif de médecins, physiciens et biologistes britanniques aux Etats Unis coupables de « parasiter les cerveaux d'autres pays » comme cela apparait dans le Rapport de la Royal Society en 1963. L'acception de l'expression brain drain ou fuite de cerveaux ou encore fuite du capital humain (terme préféré en économie) s'est élargie pour englober et les étudiants et les professionnels qui se destinent au Nord qui en a grandement besoin pour pallier, entre autres, au vieillissement de sa population. Bien sûr des facteurs objectifs sont invoqués pour expliquer ce phénomène de fuite. Des facteurs répulsifs (conditions sociopolitique contraignantes) et d'autres attractifs (meilleur rémunération, liberté, etc.) qui constituent de toutes les façons les deux faces d'une même médaille. Les pays du Sud font, bien entendu, le lit des facteurs répulsifs tandis que les pays du Nord constituent l'attrait. Victimes d'un déphasage criard entre ce que leur formation et savoir requièrent et ce que la société leurs propose, les cerveaux algériens fuient dans tous les sens et fuient avant même d'avoir mûri. En effet, chaque année des centaines, voir des milliers d'étudiants postulent pour le visa d'étude avant même d'avoir fini leur études. Un climat délétère qui vous découragerait les hommes d'affaires les plus résilients ne peut que dégoûter des chercheurs, ingénieurs, penseurs, et autres intellectuels qui ont besoin de sérénité pour servir leur pays. Parce que le savoir et la technologie de l'écrit ne nous sont -toujours- pas familiers, il est tout à fait plausible que celui qui a accès à ces technologies se retrouve intrus chez lui et forcé à fuir pour devenir prophète ailleurs. Sous-payés, méprisés et atrophiés par des pratiques administratives moyenâgeuses, nos ?cerveaux' se retrouvent forcés de plier bagages pour aller éclore au Nord. On peut s'appesantir à loisir sur les raisons et les motivations qui poussent ces ?cerveaux' à quitter le sol natal, vendre leur biens, quitter amis et famille, répudier ses traditions et mœurs, s'offrir à la déchirure et la nostalgie qui vous ronge jusqu'à la fin, mais on ne va pas se laisser à idéaliser cette fuite. Pour beaucoup, le pays n'est qu'un tremplin pour un pays plus développé comme la France, la Grande Bretagne, Canada, les USA, etc. Paris et Beyrouth sont la terre d'accueil de nos écrivains, chanteurs et même comédiens. Il est vrai que les conditions de travail et de vie ne facilitent guère la tâche de celui ou celle qui veut se consacrer à la recherche ou tout autre activité mentale qui ne peuvent s'accommoder avec la bureaucratie, le mépris des vigiles et toutes les entraves qui découragerait Prométhée lui-même, mais l'aisance et les facilités mises à leur disposition en Occident ne sont pas venues suite à la fuite de leur cerveaux. Que dire de tous ces cerveaux occidentaux qui tournent le dos au cocon de leur pays pour s'engager avec des ONG pour guérir les enfants du tiers-monde, les nourrir, etc., alors que les médecins de ces pays mêmes prennent le chemin inverse pour soigner les gens du Nord. N'était la saignée que connaissent Le Québec, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou encore l'Allemagne, on en serait à se demander si cette notion de fuite des cerveaux n'est pas un (autre) mythe occidental ou un caprice de l'histoire comme la globalisation et le colonialisme qu'on nous a décrits comme inéluctables. « Les cerveaux » français sont-ils ingrats avec leur mère patrie ?, se demandent les rédacteurs du rapport du Conseil d'analyse économique en France. Si les diplômés français sont accusés de profiter de la gratuité de l'éducation chez eux pour aller travailler ailleurs pour contribuer à la prospérité de cet ailleurs, il est de bon ton de poser les mêmes questions en ce qui concerne les Algériens. Selon le Conseil national de l'ordre des médecins (organisme français), 25% des médecins étrangers qui exercent en France sont des Algériens. D'autres médecins seraient employés comme infirmiers, personnels paramédicaux, voire brancardiers. Tandis que l'Europe et l'Amérique disposent d'un médecin par famille, dans pas moins de 31 pays d'Afrique, il y a 50 000 habitants pour un docteur. Dans les pays industrialisés, un infirmier couvre 170 personnes alors qu'en Afrique, 2 100 patients se bousculent pour recevoir les soins de l'infirmier. Aussi ironique que cela puisse paraitre, cet exode de cerveaux du Sud vers le Nord relève tout bonnement d'un transfert de technologie du Sud vers le Nord comme cela apparait dans un rapport des Nations Unies. Se déraciner pour aller s'établir en France, en Angleterre, au Canada, quitte à monnayer son talent et savoir au prix bas constitue-t-il une caractéristique d'un cerveau ? Les facteurs répulsifs/attractifs suffisent-ils pour justifier cette fuite ? Mais comment accabler l'individu quand ce sont les pouvoirs publics qui institutionnalisent (in)directement ce phénomène en ne faisant que peu pour éradiquer les facteurs répulsifs, mais aussi en faisant fuir leurs propres citoyens en leur accordant des bourses pour soi-disant transférer le savoir et la technologie occidental vers le Sud ? Envoyer un individu en Occident et espérer qu'il revienne comme s'il s'agissait d'un simple automate relève de l'ingénuité. Pour des pays comme l'Inde, Cuba et les Philippines le brain drain se mue quand même en brain gain (fuite de cerveaux utile) dans la mesure où ces pays tirent des dividendes de la migration de leurs cerveaux vers d'autres pays. Ils exportent en quelque sorte de la matière grise sans que leur propre économie n'en pâtisse. Au contraire, les rentrées en devises contribuent à leur développement. Est-ce le cas pour l'Algérie ? Les cerveaux n'émigrent pas tous par avion; ils prennent des risques comme tous ces jeunes et moins jeunes dont la seule ambition est de se retrouver de l'autre côté de la Méditerranée qu'ils se risquent à traverser moyennant 200 000 DA sans être garantis d'arriver à bon port. Ainsi, 36% des harraga seraient des diplômés d'université selon la sociologue Rim Othmani. La migration clandestine notoirement connue sous le vocable de harraga et/ou el harga a commencé depuis que le marin de Sidi Salem a foulé la Côte de Sardaigne. Depuis, chaque jour un bateau de pèche, un pneumatique à moteur ou une toute autre embarcation de fortune prennent le large sans document ni autorisation avec à leur bord des dizaines d'individus hantés par l'ambition de partir. Selon le Haut commissariat aux refugiés, la Méditerranée aurait connu plus de 27 000 traversées en 2014 avec 3 419 morts à la clé. Malgré les peines de prison et les amendes, l'éventuel internement et rapatriement qui les attend de l'autre côté, le nombre de candidats à la harga ne cesse de croitre au point de constituer un sérieux défi et pour les autorités des pays de départ et pour celles des pays d'accueil qui y remédient par la mise en œuvre de toute une batterie de mesure comme la FRONTEX. Des chiffres horrifiants faisant état de la disparition, du naufrage, et du sauvetage de harraga algériens sont souvent étalés à la une des quotidiens. Chiffres macabres d'une tragédie en plusieurs actes qui se joue sur les eaux de la Méditerranée qui est appelée à juste titre un charnier. Le phénomène d'el harga est tout bonnement venu s'ajouter aux nombreux fléaux qui l'ont engendré. Conclusion Parce que la fuite de la sève algérienne n'est pas près de connaitre un épilogue même à long terme, seules quelques lignes nous semblent adaptées pour la conclusion. Malédiction, vogue ou ambition, fuir semble être l'unique perspective qui s'offre à un grand nombre d'Algériens. Plus d'un siècle après la première vague d'émigration, les départs vers l'étranger vont crescendo. *Universitaire Notes & Références Frontex : Abbreviation de frontières extérieures ou l'agence européenne qui gère le flux des immigrés clandestins qui frappent aux portes de l'Europe. Gérrd Noiriel, le creuset français, éditions du Seuil, 1988. www.france24.com/fr/20160517-fuite-cerveaux-rapport-emigration-education http://www.huffpostmaghreb.com/2014/11/29/1000-medecins-algériens-hopitaux-france_n_6240096.html http://www.impact24.info/36-harragas-algeriens-diplomes-universitaires/ |
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