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BERKELEY– L’annonce du mois de juillet relative à l’accord convenu pour l’établissement d’une «Nouvelle banque de développement» (NBD) et la conclusion d’un accord relatif au «Fonds de réserve d’urgence» (FRU) a constitué une formidable opération de communication pour les chefs d’État des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
Le triomphe d’une telle photo de groupe arrangeait particulièrement le président brésilien Dilma Rousseff, au lendemain de la triste défaite de son équipe nationale à la Coupe du monde, sur fonds d’économie en berne, tout comme elle servait les intérêts du président russe Vladimir Poutine, compte tenu des réactions internationales entreprises face aux agissements de son gouvernement en appui des forces rebelles d’Ukraine. Cet accord a également été l’occasion pour les cinq pays de réitérer leur mécontentement à l’égard de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, ainsi que du rôle du dollar dans le système monétaire mondial. Les BRICS ne détiennent que 11% des voix au FMI, alors même qu’ils représentent plus de 20% de l’activité économique globale. Le Congrès américain refuse cependant toujours de ratifier l’accord convenu en 2010, destiné à rectifier le déséquilibre de cette situation. Les États-Unis ne montrent par ailleurs aucun signe de volonté de renoncement à ce privilège anachronique que constitue leur pouvoir de nomination du président de la Banque mondiale. Pendant ce temps, la part du dollar dans les réserves de change globales demeure supérieure à 60%, tandis que le dollar entre en jeu dans 85% des transactions de réserves de change internationales. Les États sous-représentés étant réticents à approuver les prudentes lignes de crédit du FMI, les banques centrales les plus en quête de dollars ne peuvent les obtenir qu’auprès de la Réserve fédérale. La Fed s’est révélée relativement franche dans l’octroi de swaps de dollars au cours de la crise de 2008 ; rien ne garantit cependant qu’elle agira de la sorte à l’avenir. C’est pourquoi le mécontentement des BRICS à l’égard du statu quo est compréhensible. Reste à savoir si la NBD et le FRU leur permettront de faire la différence. La NBD répond à une logique incontestable. Les BRICS, et plus généralement les pays en voie de développement, présentent d’immenses besoins en infrastructure. Bien que ce déficit d’infrastructure ne concerne pas la Chine, celle-ci fait face à une difficulté autre, à savoir l’existence de grandes entreprises de bâtiment désireuses de saisir l’opportunité d’entreprendre de nouveaux projets à l’étranger. Ainsi les mécanismes incitatifs intéressant les créanciers et emprunteurs potentiels auprès de la NBD s’alignent-ils de manière tout à fait harmonieuse. Par ailleurs, la prolifération des banques de développement régionales constitue d’ores et déjà une réalité, qu’il s’agisse de la Banque interaméricaine de développement, de la Banque asiatique de développement, ou de cette institution plus modestement capitalisée que constitue la Banque africaine de développement. Toutes ces institutions coopèrent avec la Banque mondiale, et leur existence ne suscite aucune difficulté significative pour les institutions de Bretton Woods. Ainsi, pourquoi la NBD susciterait-elle davantage de difficultés ? Forte d’un capital initial d’à peine 100 milliards $, elle n’a pas les épaules suffisantes pour contribuer de manière majeure aux besoins mondiaux en infrastructure. Cette insuffisance de capitalisation pourra toutefois être corrigée avec le temps. L’aspect FRU – fonds destiné à atténuer la dépendance des BRICS à l’égard de la Fed et du dollar – se révèle en revanche une toute autre question. Les cinq acteurs ont convenu d’affecter 100 milliards $ de leurs réserves de change en direction de lignes de swap susceptibles d’être sollicitées par tous leurs membres. Ici, les intérêts des emprunteurs et prêteurs potentiels n’apparaissent pas aussi compatibles. Le prochain pays des BRICS à subir une crise fera sans aucun doute appel au FRU. Or, il se pourrait alors que les autres membres soient réticents à prêter davantage qu’un peu d’argent de poche, notamment en présence d’un doute quant aux remboursements. Contrairement à ce qu’il se passe en matière de finance de développement, les mécanismes incitatifs intéressant prêteurs et emprunteurs potentiels apparaissent ici se contrarier. Le fait de permettre aux prêteurs d’imposer certaines modalités aux emprunteurs, et de contrôler leur conformité à cet égard, pourrait permettre de remédier à cette difficulté. L’imposition de conditions auprès d’États souverains se révèle toutefois un exercice délicat – notamment lorsque les pays concernés présentent autant d’envergure, de fierté et de diversité que les BRICS. Difficile d’imaginer par exemple le Brésil accepter les modalités que lui dicterait la Chine. Plusieurs autres tentatives de mise en place de lignes de swap et de crédits dans le cadre d’un réseau, telles que l’Initiative de Chiang Mai, négociée au lendemain de la crise asiatique, ont été mises à mal par cette même difficulté. Le réseau Chiang Mai est en réalité encore plus colossal que celui du FRU. Or, en raison d’une divergence d’intérêts entre prêteurs et emprunteurs, ce mécanisme n’a jamais été utilisé – pas même en 2008, au plus haut de la crise financière mondiale. Les architectes de l’Initiative de Chiang Mai se sont efforcés de remédier à cette défaillance en exigeant que les États fassent intervenir plus de 30% de leurs swaps pour pouvoir négocier un programme auprès du FMI. De manière tout à fait ironique, le «Traité pour l’établissement d’un Fonds de réserve d’urgence pour les BRICS» comprend précisément une disposition similaire. Difficile par conséquent de considérer le FRU comme une véritable alternative au FMI. Et comme si la présence d’une telle disposition ne suffisait pas, les obligations des BRICS à l’égard du FRU sont exprimées en dollars américains. Ainsi le projet de NBD revêt-il un sens pour les BRICS, constituant une véritable promesse pour l’avenir. Le FRU apparaît en revanche comme une démarche symbolique privée de substance, et c’est là le seul souvenir qu’il laissera derrière lui. Traduit de l’anglais par Martin Morel * Professeur d’économie et de sciences politiques à l’Université de Californie de Berkeley. |
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