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En décidant de bâtir un imposant oratoire sur les lieux où s’élevait l’ancien hôpital de la Pitié, le gouvernement français a voulu marquer, en 1922, sa dette à l’égard des 70.000 combattants musulmans qui se sont illustrés dans les rangs de l’armée française durant la 1ère Guerre mondiale. Le 15 juillet 1926, le président Gaston Doumergue inaugure la Grande Mosquée et il rend hommage, dans son allocution, à l’amitié franco-musulmane, cimentée dans la fraternité des champs de bataille de la vieille Europe.
C’est ainsi que se dresse, chargée d’années et d’histoire, dans le cinquième arrondissement de Paris, la Grande Mosquée, le plus bel ornement architectural de ce quartier, l’un des plus exquis de la capitale française. Jouxtant le Jardin des plantes, la Mosquée enferme une salle de prière spacieuse, une bibliothèque, un salon de thé, un restaurant, un hammam et des bureaux. Un jardin de type andalou, exquis et bien entretenu, fait du reste le ravissement des touristes, nombreux à se presser autour de cette institution, à leurs yeux, exotique. Plus bas, dans des lieux plus calmes destinés à l’étude, La Grande Mosquée abrite les locaux de l’institut al-Ghazâli, du nom de cet érudit affublé par la tradition musulmane du sobriquet de «Hujjât al-Islâm» («La preuve de l’islam») pour rappeler à quel point les arguments dont il se servait, pour réfuter les thèses de ses adversaires, furent sans appel. De tous les centres de formation et des écoles qui dispensent un enseignement islamique à Paris, l’Institut al-Ghazâlî offre d’intéressantes singularités. Emanation de La Grande Mosquée de Paris, l’Institut al-Ghazâlî est rapidement devenu une référence incontournable dans la formation des imams et des aumôniers de France. Cette notoriété est due aux enseignements basés sur un certain nombre de principes et fondée sur une vision de l’islam qu’irrigue la doctrine d’Abû Hassan al-Ash’arî (873-935), l’auteur du Kitâbal-luma ( ou «La réfutation des déviationnistes et des innovateurs»), du Kitâb al-ibâna ‘an usûl al-diyâna («Le livre de la Démonstration des principes de la religion») et surtout le magistral «Discours des sectateurs de l’Islam» («Maqâlât al-islâmîyîn»). Dans ce traité monumental, mine de renseignements sur les thèses théologiques soutenues au IX et au Xe siècles par les uns et les autres, qui a bénéficié, dans son édition arabe, du travail rigoureux de l’orientaliste H. Ritter, al-Ash’arî procède à l’analyse des positions des tendances des théologiens de l’islam tout en abordant les problèmes posés par le Kalâm (la théologie rationnelle), la question des noms et des attributs d’Allah. Ce théologien sous le haut patronage duquel se place la pédaogie de l’Institut al-Ghazâlî propose dans ses écrits un islam consensuel, un islam du juste milieu dans la mesure où lui-même, après avoir quitté les rangs des Mu’tazila rationalistes, a tenté de tempérer par un exercice légitime de la raison, la foi rigoureuse et quelque peu farouche, du hanbalisme dont l’une des versions est aujourd’hui représentée par l’Arabie saoudite et le Qatar. On peut voir déjà combien Al-Ash’arî a été un penseur visionnaire, car l’un des drames de l’islam contemporain gît précisément dans ce divorce de la foi d’avec la raison. La raison éclairée par la foi dans les questions métaphysiques dernières, la foi nourrie d’exégèse, de science et de savoir, soucieuse de répondre aux défis de la modernité, voilà assurément l’une des pistes possibles pour résoudre les dilemmes déchirants dont le sujet musulman est la proie. Dans cette optique, le Dr Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, m’a précisé que l’enseignement de l’islam et la pédagogie ont toujours été au cœur de ses préoccupations. Très vite en effet, il est apparu aux responsables de la Mosquée, qu’on ne pouvait s’en tenir uniquement à la mémorisation des sourates du Coran et à l’apprentissage des rudiments de la langue arabe. S’est alors imposée la nécessité de fournir à la communauté musulmane de Paris et de France une «formation théologique et juridique» à la fois plus rigoureuse et plus exigeante tout en étant «conforme aux programmes élaborés par les médersas du monde musulman». C’est dans cet esprit qu’au tournant des années 1990, le recteur charge le Dr Djelloul Seddiki de présider aux destinées de cet institut en gestation, les enseignements dispensés devant être fidèles à la doctrine de l’islam ash’arite, c’est-à-dire consensuel et représentatifs d’un «enseignement de civilisation ouvert à la fois aux musulmans et aux non-musulmans». Pour répondre aux vœux de la communauté musulmane, l’Institut al-Ghazâlî propose plusieurs filières. Aumônerie, imamat, maîtrise du Coran, lecture, apprentissage et exégèse des textes religieux fondamentaux doublés d’un cursus d’études de civilisation islamique et de langue arabe. D’une durée de deux ans, la formation d’aumônier requiert de fortes études de psychologie, de sociologie et de droit, notamment la connaissance approfondie des procédures du code pénal, des institutions françaises et notamment des notions de laïcité et des valeurs qui structurent le champ républicain en France. L’étudiant doit être initié au fonctionnement de l’administration pénitentiaire et au déroulement de la vie quotidienne en milieu carcéral. D’une durée de quatre ans, les études qui doivent donner lieu au diplôme d’imam sont cependant plus étoffées. Côté langues, la maîtrise de l’arabe et du français est indispensable, car les musulmans de France connaissent de moins en moins la langue arabe classique et ont de plus en plus tendance à formuler leurs questions et leurs préoccupations en français. D’où la nécessité pour l’imam de pouvoir intervenir dans les deux langues et ainsi de répondre aux interrogations, parfois angoissées, des fidèles. C’est aussi du reste la raison pour laquelle le Dr Seddiki a mis en place un enseignement de traduction et de terminologie qui fournisse aux futurs imams les outils et les concepts correspondant aux termes homologues arabes. «Mon souci majeur, nous a précisé le Dr Seddiki, directeur de l’Institut, est de parvenir à la complémentarité des domaines scientifiques essentiels, sciences coraniques, sciences du Hadith, sciences de la ‘Aqîda (Doctrine), sciences du fiqh (jurisprudence) –et de la méthodologie». Ce qui revient à mettre l’accent sur la nécessité de former des étudiants solidement initiés aux arcanes de la civilisation islamique, des sciences humaines (psychologie, sociologie, philosophie) et capables de s’assimiler les procédures rationnelles à l’œuvre dans toutes ces disciplines. En outre, le Dr Seddiki a insisté sur le fait que le programme de l’Institut al-Ghazâlî est en totale harmonie avec «les normes scientifiques en vigueur dans les universités et les établissements supérieurs français» et d’autre part, M. Belmadi, responsable du comité pédagogique, me certifie que ce programme défère aux réquisits de l’enseignement des sciences islamiques dans les grandes universités, la Qarawiyyine de Fès et surtout Al-Azhar, la plus haute autorité reconnue en matière de savoir et de dogmatique en islam sunnite. Une licence d’études islamiques est proposée aux étudiants désireux d’approfondir leur savoir et leur culture traditionnelle. Elle est destinée essentiellement à ceux qui veulent se donner une formation solide en sciences islamiques traditionnelles, en jurisprudence (fiqh), en exégèse, en dogmatique musulmane et en casuistique. Les enseignements sont assurés par une équipe de professeurs chevronnés, notamment M Brahami Laid, spécialiste de droit islamique et des questions d’héritage et de succession. Enfin des études spécialisées de langue arabe, s’étendant sur trois ans, sont prévues au terme desquels l’étudiant jouira de la maîtrise complète de l’idiome arabe. L’objectif ultime étant, selon le recteur, «d’offrir à nos étudiants une vision authentique, mais aussi humaniste et tolérante» de la foi musulmane, le programme s’enrichit d’année en année. Il est question, me déclare le Dr Seddiki, cette année d’ajouter deux modules à un programme déjà consistant, la logique et l’histoire de l’immigration musulmane en France. Ce dernier cours sera confié, me précise-t-il, à M. Sadek Sellam, historien de l’islam contemporain, auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam dont: «La France et ses Musulmans. Un siècle de politique musulmane» (Fayard éditeur). Mais cela ne suffit pas. Aussi a-t-on eu à cœur, ajoute le directeur de l’Institut, de faire appel à des personnalités venues «d’horizons divers, musulmans ou non, afin de coordonner nos activités avec d’autres instituts et d’autres confessions religieuses». En effet, MM Christian Lochon et Claude Roels, sont respectivement chargés de dispenser un enseignement sur l’islam européen et sur la philosophie occidentale. Cet élément nous paraît capital, car une religion qui ne s’ouvre pas aux autres confessions, qui ne cherche pas le dialogue et même la confrontation, à condition que la confrontation respecte les règles de l’échange courtois, se fossilise rapidement et développe en son sein des tendances de fanatisme et d’étroitesse d’esprit dont on ne voit que trop les ravages. Les méthodes pédagogiques ont été renouvelées de fond en comble. On ne saurait plus se fonder sur la seule mémorisation sans réflexion ni effort de compréhension. L’esprit de l’étudiant doit être davantage sollicité et c’est pour cela, me dit le Dr Seddiki, que «nous avons opté, en matière de méthodes d’enseignement, pour le dialogue constructif» en lieu et place des recettes traditionnelles. En outre, pour encourager les étudiants à se forger une culture islamique et profane personnelle, une bibliothèque, abritant les livres essentiels et les ouvrages de référence ainsi que les usuels a été ouverte. Les étudiants qui se destinent à un travail de recherche et à la rédaction d’un mémoire de fin d’études y trouveront les encyclopédies, les manuels, les dictionnaires et les livres spécialisés fournissant la documentation appropriée. Dans la plus pure tradition islamique, la mosquée est, à la fois, un lieu de culte et un centre de savoir. M. Djelloul Seddiki fait des efforts méritoires pour en améliorer le fonctionnement. Il demeure néanmoins conscient qu’il reste beaucoup à faire en termes de qualité, et il s’y emploie avec l’énergie et la détermination qui sont les siennes. C’est ainsi qu’est prévue la construction de deux amphithéâtres qui pourront accueillir des centaines d’étudiantes et d’étudiants. Interrogé, M. Djelloul Sedddiki m’a confié qu’il est presque «obsédé» par l’amélioration des conditions de travail de son équipe de professeurs. Il a demandé, à maintes reprises, la réévaluation des salaires. M. Seddiki a néanmoins précisé qu’il a exigé de ses enseignants une assiduité et une ponctualité sans faille : «Je ne veux plus de professeurs qui accumulent les retards». La qualité des cours ne doit plus laisser à désirer. M Seddiki a ajouté qu’il n’est pas question que les étudiants émettent des doléances. «Que les enseignants arrivent en cours, ouvrent un livre et commencent à dicter n’est plus acceptable». On ne peut qu’être d’accord avec M. Seddiki ; ce sont là en effet des pratiques détestables. A l’actif du directeur de l’Institut al-Ghazâlî, il faut signaler la création d’une cinquième année, consacrée à la post-graduation. Un magister a été lancé pour lequel M. Seddiki a sollicité le concours d’une équipe doctorale composée de professeurs compétents et expérimentés disposant d’une forte plus-value dans l’encadrement des étudiants et, de surcroît, experts en méthodologie afin de superviser les mémoires et les travaux. M. Seddiki m’a fait part des difficultés qui sont les siennes et de la mauvaise volonté des pouvoirs publics, notamment celle de l’Institut catholique de Paris qui n’envisagent la collaboration qu’à sens unique, et qui, de plus, n’ont jamais eu l’élégance de considérer l’Institut al-Ghazâlî comme un partenaire à part entière. Cette attitude est éminemment regrettable, surtout à une époque où l’Etat français exige que les imams soient formés en France. Cette formation m’a assuré M. Seddiki coûte au gouvernement algérien entre 15 à 17 000 euros. Le gouvernement français se dissimule derrière le prétexte de la laïcité pour se dispenser de payer son écot. Mais j’ai pu constater, à travers ses propos que la détermination de M. Djelloul Seddiki était intacte et qu’il comptait bien mener ce combat jusqu’à son terme. Enfin, M. Seddiki a insisté sur le fait que l’institut al-Ghazâlî accueille tous les étudiants sans distinction de nationalité ou d’origine. Il en est de même quant à ses professeurs ou ses responsables. Il y a encore deux ans, le responsable de la pédagogie était de nationalité tunisienne. Sauf erreur de ma part, aucun institut de formation sous tutelle marocaine ou tunisienne n’emploie d’Algérien, et encore moins à un poste de responsabilité. C’est une réalité qu’on peut toujours déplorer, mais elle s’impose cruellement à tous. Sur la voie des réformes, la voie est longue, étroite et semée d’embûches. Mais n’en a-t-il pas toujours été ainsi ? Sur la voie des réformateurs se sont dressés, de tout temps les partisans de la sclérose et de l’inertie qui se plaisent aux charmes des situations enkystées. Mais l’essentiel est de ne pas succomber au découragement car, en ce domaine, toute avancée est une victoire, fût-elle des plus modestes. |
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