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L'école entre dans l'ère Internet. Progressivement, sans prise de pouvoir intempestive. A la vitesse d'un glacier pour certains, toujours trop vite pour les autres. Mais les applications des nouvelles technologies sont déjà nombreuses. Elles bouleversent les méthodes de travail, chamboulent les savoirs, remettent en cause l'évaluation. Les élèves, eux, sont déjà largement imprégnés, via les consoles et autres jeux vidéo, de cette virtualité que craignent encore certains enseignants. Pourtant, personne n'envisage vraiment le remplacement du maître par un substitut en 3D .L'enfant préférera probablement toujours se rendre à l'école pour y retrouver ses camarades plutôt que de rester chez lui dans une relation virtuelle avec un professeur. L'ECOLE DU FUTUR De Reykjavik à Montréal, du portable sans fil au e-manuel, du cartable électronique au professeur virtuel, des innovateurs rêvent et dessinent l'école du futur. BIFRÖST, Islande. A 100 km de Reykjavik, perdue dans un champ de lave, une petite communauté universitaire d'élite cultive l'innovation technologique sur une terre tectonique. C'est en effet après avoir serpenté la route du nord qui longe la baie déchiquetée, suivi les cours d'eau pure et sulfureuse qui serpentent dans une vallée glaciaire sertie de volcans, qu'apparaissent les bâtiments modestes et proprets de la BIFRÖST SCOOL OF BUSINESS. «Bienvenue dans le e-world» s'enthousiasme le recteur de l'université. «Ceux qui entrent dans la e-éducation vous saluent», poursuit le vice-recteur. A BIFRÖST, qui n'est pas, malgré son appellation ««University College», une véritable université, mais une école de commerce (300 personnes), on cultive la modernité. Mieux, on la devance. Dans la salle des conférences, le regard cherche en vain stylos ou polycopiés. Irrigués par la même lumière bleutée, les studieux élèves de cette business school ont tous déplié leur écran portable sur lequel s'affichent les graphiques du cours de management qu'un professeur, pas en silicium, mais toujours en chair et en os, dispense du haut de sa chaire, comme à la pastorale. Equipés d'ordinateur sans fil, les étudiants prennent des notes, renvoient leurs exercices par e-mail, consultent des bases de données. «Ce système permet d'être en contact avec les documents du monde entier, de valoriser nos diplômes à l'extérieur et facilite considérablement l'apprentissage. Plus de papiers perdus, de cours à photocopier», déclare une étudiante. Quelques malins se connectent ostensiblement sur le site de l'équipe de football de Manchester United, comme pour rappeler que la diversion ou les distractions, mêmes «internetisées», sont toujours possibles. VILLAGE GLOBAL POSE SUR LA LAVE Mais le message est clair, BIFRÖST, relayée par le ministère de l'éducation, développe ici l'école de demain et propage la vie en Net. Avec un campus café, de jolies maisonnettes aménagées pour les familles des étudiants, une nurserie, un centre de fitness, des petites piscines naturellement chauffées par la lave, BIFRÖST joue, au propre comme au figuré, la carte du «village global». A la cafétéria, les étudiants sirotent un verre et tapotent sur leur ordinateur en attendant le prochain TD. LA CLASSE, SANS LA CLASSE A quelques enjambées, la nurserie où une vingtaine d'enfants dessinent et s'amusent semble le seul endroit littéralement déconnecté. Parmi eux, un petit garçon désigne du doigt un portable sur lequel s'affiche un jeu d'apprentissage de l'alphabet adapté aux premiers âges. «Cette petite cité n'est tout de même pas totalement virtuelle et glacée, précise un étudiant. Située à une distance raisonnable de Reykjavik, dotée d'une bibliothèque traditionnelle, la technologie est d'abord un outil pédagogique précieux dans une région isolée que celle-ci.» La petite communauté de BIFRÖST n'est pas le seul groupement «universitaire à avoir développé cette technologie sans fil qui, d'une certaine façon, permet d'emmener l'université chez soi. Aux Etats-Unis, la prestigieuse université Stanford équipe ses étudiants avec de l'informatique sans fil (wireless) grâce à des pylônes-relais qui assurent la communication sur l'ensemble du campus. Installé à Louveciennes(Yvelines), loin de la géante Amérique et de la lilliputienne île de glace, les programmateurs de la société Editronics-Education, insistent sur l'importance de cette petite révolution : «Les machines sans fil ne sont pas aussi spectaculaires que les professeurs virtuels, mais induisent un tout autre rapport au savoir et à l'éducation. Où qu'il se trouve, l'élève pourra se connecter et étudier.» Fondée par Stéphane Gaultier, Editronics-Education entre dans la phase finale de sa petite trouvaille, le « e-manuel». Chez ces habiles techniciens et théoriciens, on ne se gargarise pas d'envolées lyriques sur la fin inéluctable de la civilisation du livre. La société a tout d'abord souhaité enquêter, par le truchement d'un Livre blanc interactif où parents, enseignants et chercheurs dialoguent sur l'apport des nouvelles technologies. Y figure un sondage (BVA) qui fait apparaître que, parmi les professeurs connectés au réseau, 43% d'entre eux utilisent le web afin de préparer leurs cours. D'où l'idée du e-mail, qui marie multimédia et support papier. Destiné aux élèves de 5° et à leurs professeurs, ce e-manuel est à la fois disponible sous forme de livre, où l'essentiel du programme se trouve, et sur Internet. Ainsi, un professeur d'histoire-géo pourra, en ouvrant ce manuel, aborder son cours sur les villes américaines, par exemple, en ajoutant cartes et photographies disponibles sur le net, mais aussi proposer et corriger des exercices. «En tout cas, précise-t-il, ne crions pas à la révolution trop vite, et gardons ce qui fait le plaisir et la force du livre : la portabilité, l'accessibilité et l'autonomie.» LA GUERRE DES CARTABLES L'idéal serait de créer une machine capable de singer cette singularité. Mais il s'agit pour l'heure de rendre opérationnel le e-manuel pour la rentrée prochaine pour l'histoire-géo et Sciences et vie de la terre (SVT) en classe de 5°. «Il ne s'agit pas pour nous de créer un outil déconnecté du monde véritable, précise Stéphane Gaultier. Le cartable électronique que prépare notre concurrent Havas est peu réaliste. «Nous ne sommes pas dans l'irréalité, répond Thierry de Vulpillières, chef de projet d'édition chargé de l'élaboration du cartable électronique par les éditions Bordas et Nathan. Le produit que nous développons est au contraire tourné vers celui qui est au cœur de l'éducation, l'élève qui est bien l'oublié du système.»Egalement à l'état de recherche et expérimenté auprès d'une cinquantaine de professeurs de collège, cette tablette numérique se présente bien sous la forme d'un cartable, avec sacoche et poignée. Mais, incontestablement ,elle ne comporte pas tous les attributs des objets qui se trouvent habituellement dans les cartables. Pour l'heure, ce prototype n'offre pas la possibilité de prendre des notes et ne peut donc se substituer au cahier. Contrairement au e-manuel, le cartable électronique n'a pas encore activé la possibilité d'accéder à Internet, même pour l'enseignant. On ne peut donc pas réellement parler d'interactivité. «Nous laissons les professeurs le tester, l'améliorer à l'usage, ajoute Thierry de Vulpillières, mais nous souhaitons à terme qu'il puisse être le véritable cartable interactif de demain.» Une fois de plus, ce sont les SVT et l'histoire-géographie qui inaugurent cet objet nomade qui non seulement résout en partie le problème du poids des manuels (ce cartable ne pèse que 1 kilo) mais, poursuit-il, «offre également une grande richesse pédagogique puisque cet objectif personnalisé contient le Petit Larousse et des bases de données organisées avec mises à jour régulières». Ailleurs, par contre, les rêves les plus fous ne cessent de prospérer. Virtuel Age, tel est le nom de la société crée par Claude Frasson (Université de Montréal) qui propose d'offrir aux étudiants des professeurs en silicium, totalement virtuels, capables même de détecter «leurs états émotionnels». Ces «agents intelligents» doivent «ressembler le plus possible à des humains et permettre ainsi aux élèves d'augmenter leur confiance en eux», ajoute cet utopiste doublé d'un entrepreneur réaliste qui perçoit, dans l'auto-formation, «un formidable marché.» Dans un ouvrage où se mêlent réalité et fiction(1) ,Michel Alberganti met en scène Lucas, un jeune écolier du futur, qui convoque le matin ses conseillers pédagogiques virtuels depuis son appartement. Lucas fait ainsi apparaître Nestor, « l'explorateur du réseau», Galiléo, «le professeur virtuel de physique», Verlaine, «l'assistant pédagogique de français», Prosper, «l'agent de change artificiel» et Billy, «le clone d'élève qui aide Lucas à tester ses connaissances.» A travers ses travaux, Pierre Lévy considère que l'éducation du futur, à l'évidence numérisée, sera le moyen de faire advenir un humanisme nouveau, celui des esprits humains reliés au Réseau. Fantasmes ? Sans doute pas : «Nestor apparaîtra bien avant la fin de la décennie», soutient-il. Et de citer Steve et Adele, de déjà vieux professeurs en silicium, ces prototypes d'agents pédagogiques développés par l'équipe de Lewis Johnson à l'université de Californie du Sud. Vêtue d'une blouse blanche d'interne, dotée d'une voix métallique, Adele fut capable, lors d'une démonstration, d'établir un diagnostic dans le service des urgences d'un hôpital. Habillé en bleu de travail, Steve est quant à lui une véritable créature en trois dimensions qui a pour fonction de former les techniciens de maintenance de la salle des machines des navires de guerre américaine. Comme le fait remarquer Michel Alberganti, la robotique appliquée à l'éducation ne répond pas à la nécessité de se soumettre au modernisme même à celle de remplacer totalement la présence humaine mais bien à développer une pédagogie individualisée afin de mieux de partager cette «ressource la plus précieuse de la planète» qu'est le savoir. Impossible donc de déconnecter l'innovation technologique en matière pédagogique de son contenu idéologique. A travers ses travaux où la technologie se mêle à la spiritualité, Pierre Lévy(2) considère que l'éducation du futur, à l'évidence numérisée, sera le moyen de faire advenir un humanisme nouveau, celui des esprits humains reliés au Réseau, ce cerveau des cerveaux, cette conscience des consciences. «Voici qu'arrivent les enfants du troisième millénaire ! Quel univers voulons-nous leur transmettre ? Quel savoir ? Quel état d'esprit ? Voulons-nous des enfants pacifiques ? Pleins d'amour ? Créatifs ? Ouverts ? Conscients ? Evoluant ? Planétaires ? Cessons de nous plaindre et donnons l'exemple. Offrons-leur la bonne éducation que nous n'avons pas eue. Innovons» s'écrie-t-il. De Stone Age à Virtuel Age, de l'âge de pierre qu'évoque la lointaine terre d'Islande aux rivages virtuels, Pierre Lévy préfère donc, plutôt que de «se polariser sur ce qui meurt», s'émerveiller «de ce qui croît». DEPASSER UNE HUMANITE INACHEVEE Peut-être reste-t-il aux incurables esprits critiques de considérer, avec Jean-Marc Mandosio(3), que le «conditionnement néotechnogique» n'est pas une fatalité, mais une politique volontaire qui accompagne et accélère un «un quadruple effondrement». Celui du temps, «au profit d'un présent perpétuel», celui de l'espace, «au profit d'une illusion d'ubiquité», celui de la raison, «au profit du calcul» et enfin, «l'idée même d'humanité». En effet, du «cyborg» dont fait l'éloge Antoine Picon(4) au «cybionte», cet être collectif qui constitue pour JoËl de Rosnay «la forme ultime de l'évolution de la vie sur Terre(5), la visée est bien de dépasser, grâce à la e-éducation, une humanité encore inachevée. Et même si certains technophiles arborent les attributs de l'humanisme enfin trouvé, il y a « derrière ce rêve, ou plutôt ce cauchemar», insiste Jean- Marc Mandosio, la poursuite de « l'extension des mécanismes de contrôle des individus». Et peut-être surtout la volonté d'en finir avec les aspérités d'une humanité retorse que l'on a si souvent chercher à rééduquer. (1) A l'école des robots ? Michel Alberganti. (2) Word philosophie, Pierre Lévy (3) Après l'effondrement, Jean ?Marc Mandosio (4) La ville, territoire des cyborgs (5) L'homme symbiotique,JoËl de Rosnay |
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