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1ère partie Nul doute que ce qui contribua à aggraver le recul de la société arabo-musulmane de l'époque médiévale et favoriser, par conséquent, les conditions objectives du sous-développement et partant la colonisabilité future, ce fut incontestablement l'influence diffuse d'une certaine subculture obscurantiste qui avait recouvert pratiquement tous les champs de la pensée ou réflexion intellectuelle d'alors, la noyant dans des considérations scolastiques et mystiques loin des urgents impératifs, pourtant, de l'exigence de connaissance scientifique authentique, rationnelle, autorisant l'ouverture des voies d'accès aux progrès des Lumières comme cela s'était opéré en Occident, après son entreprise hardie de réformes sur tous les plans ! Ainsi, la prolifération en ces temps moyenâgeux de confréries et sectes religieuses mystiques, comme le déplora l'éminent sociologue algérien Mostéfa Lacheraf,(1) car leurs pratiques en marge des défis sociaux à relever du moment, ne tenait aucunement de la tradition authentique de l'Islam des Lumières et de la clarté réaliste ou pragmatique des choses se passant des jeux spéculatifs des rapports exotérique-ésotérique. Bien évidemment, certaines zaouïas auréolées d'une grande valeur spirituelle jouèrent, à des moments favorables ; un rôle culturel populaire non négligeable dans l'instruction et l'éducation des jeunes, en les initiant notamment à certains savoirs rhétoriques, exégèses de courants juridiques diversifiés de la religion musulmane, éléments d'astronomie, etc. Mais l'esprit obscurantiste et dogmatique qui gagna du terrain par la suite, refoulant tout ce qui était considéré comme étant «étranger» à la subculture féodale des nouveaux maitres de la pensée mystique maghrébine de l'heure, avait fini avec le temps par liquider toutes velléités de possibles évolutions, plongeant dès lors la culture locale dans le ghetto stagnant du charlatanisme mythologiste chronique. D'une façon schématique, pour ces types de confréries mystiques, le monde de l'apprentissage se scinde en celui de la connaissance profane du leurre et celle de la connaissance illuminative authentique. Autrement dit, l'univers des connaissances physiques des sciences et techniques qui ont permis la révolution industrielle en Europe, sont inaccessibles ou évitées considérées comme quantité négligeable, important peu devant le vrai savoir, selon les adeptes du mysticisme confrérique, tourné exclusivement vers la contemplation du Seigneur des mondes? alors que fondamentalement le message de l'Islam débutant par «IQRA» (Lis au nom de ton Seigneur), recommande expressément la quête de la connaissance, d'où qu'elle soit: celle d'ordre pratique ,surtout, utile socialement («El Ilm En'Nafi'e»). Malheureusement la complaisance atavique dans le savoir transmissible du mysticisme voilant les possibilités de l'autre monde des lumières n'avait fait que contribuer, conjugué à d'autres facteurs, à enraciner davantage la société arabo-musulmane d'alors, et maghrébo- arabe, en général, dans le labyrinthe du sous-développement socioculturel et politico-économique multidimensionnel, sources de tant de décadences et malheurs? Pour l'éminent professeur Maghrébin Mohammed Abed Al-JABRI, une des principales figures de la philosophie arabo-musulmane contemporaine ( auteur d'une œuvre considérable de clarification épistémologique et de rénovation de la pensée arabe ,voir entre autres sa monumentale «Critique de la raison arabe»,(2) , le principal tort de cette déplorable situation «est dû à cette grande déviation historique idéologico- philosophique intervenue dans la tradition de la pensée religieuse arabo-musulmane lorsque le mysticisme de Ghazali avait donné «droit de cité dans l'Islam» au moment avicennien alors que ce dernier avait été éliminé historiquement par le moment averroèsien: Cela , c'est l'histoire qui le dit» , souligne notre philosophe qui poursuit, «aussi, toute personne ayant vécu, ou vivant toujours, le moment avicennien après l'évènement averroïste se condamne à vivre intellectuellement en marge de l'histoire. Et de fait, nous, Arabes, avons vécu après Averroès, en marge de l'histoire ( dans l'inertie et le déclin), parce que nous nous sommes agrippés au moment avicennien après que Ghazali lui eut donné droit de cité dans l'Islam. .Les Européens, eux, vécurent l'histoire dont nous étions sortis, parce qu'ils surent s'approprier Averroès et vivre jusqu'à présent le moment averroïste», le professeur considérant en conséquence, que «la survivance de notre tradition philosophique, ce qui est susceptible de participer à notre époque, ne peut être qu'averroïste». Et Mohamed Abed El-JABRI de proposer dans sa «Critique de la raison arabe» des éléments de ce qui reste dans l'averroïsme susceptibles d'être investis dans l'activité intellectuelle arabe préoccupante de nos jours (Cf. Mohammed Abed El-JABRI, «Introduction à la critique de la raison arabe», (3) . Autrement dit, c'est une certaine philosophie mystique en marge des données évolutives du monde et de l'histoire qui avait pris chez les Arabes le dessus sur une conception de surcroit rationaliste qui aurait pu les faire participer tôt activement à l'histoire, s'ils avaient la présence d'esprit d'adopter l'averroïsme qui est entré dans l'histoire parce qu'il a rompu avec cet avicennisme de la philosophie «orientale», qu'Avicenne lui-même avait choisie, puis qu'adopta sous un certain aspect Ghazali, et sous un autre aspect Suhrawardi d'Alep», mentionne Mohammed Abed El-JABRI, indiquant clairement que «les savants et les docteurs de la Loi attachés au caractère original de l'Islam, à son caractère arabe, refusèrent toujours le soufisme, dans lequel ils voyaient un article étranger importé de la Perse et incompatible avec la religion islamique, qui reposait sur une croyance simple et spontanée», précisant, «Lorsque Avicenne eut reconstruit la métaphysique émanationniste harranienne, d'origine païenne, pour la revêtir d'un vernis islamique, Ghazali la lui emprunta pour en faire une alternative à la philosophie aristotélicienne. Mais Ghazali, partisan de la doctrine ash'arite, diffusa cette marchandise avicennienne «orientale» sous le nom de «soufisme Sunnite». C'était là une dénomination incohérente et contradictoire, puisque la notion de soufisme était inconnue dans la tradition prophétique, que le Prophète ne fut aucunement un mystique, mais qu'au contraire il mena toujours une vie normale, et que les normes sur lesquelles reposait l'Islam à l'époque du Prophète ne relevaient nullement d'un penchant pour les «ténèbres», ni d'une tendance à l'ésotérisme, mais plutôt d'un réalisme raisonnable.», le philosophe concluant, «Le discours coranique était un discours de raison et non un discours «gnostique» ou illuministe.» (4) Mohammed Abed El-JABRI qui se propose dans son œuvre de développer de possibles voies contemporaines de néo-averroïsme salutaire (?), montre avec force qu'Averroès n'a pas seulement rompu avec l'esprit avicennien et gnostique, mais il a aussi rompu avec la manière dont la pensée théorique - théologique et philosophique avait traité le problème du rapport religion - philosophie en réfutant la méthode théologienne de la conciliation entre raison et transmission , comme il a refusé celle des philosophes en quête d'une fusion de la religion dans la philosophie et vice-versa? cette inféodation de l'Au-delà (la religion) à la raison segmentariste -atomiste des théologiens ayant amené ces derniers à concevoir alors le monde invisible par analogie avec le monde sensible et d'y projeter leurs interprétations analogiques défigurant ainsi le réel et enrayant l'activité de la raison. DU MODE DE PENSEE OCCIDENTALISTE AUTOCENTRE AUX NOUVELLES APPROCHES RELATIVISTES? Approfondissant sa pensée, ce penseur maghrébin de haute stature , en l'occurrence l'universitaire Mohamed Abed ?El-Jabri, une des principales figures de la philosophie arabo-musulmane contemporaine, en arrive à appeler à un nouveau mode de pensée arabo-musulman rompant avec les raisonnements classiques hérités de l'influence des philosophies des Lumières, ou des tradition locales sclérosées, , comme il le soutient, écoutons-le : «Certains intellectuels arabes, qui semblent entretenir avec la culture européenne un rapport plus étroit qu'avec la tradition arabo-islamique», déclare-t-il, «se sont demandés comment faire assimiler par la pensée arabe les acquis du libéralisme «avant , ou sans que le monde arabe ait franchi l'étape du libéralisme» ; le libéralisme étant pour eux «le système de pensée qui se constitua aux XVIIè et XVIIIè siècles, et à l'aide duquel la classe bourgeoise européenne montante combattit les idées et les régimes féodaux», poursuivant, «Telle est la problématique que posent Abdellah Laroui, Zaki Nadjib Mahmoud, Madjid Fakhri et d'autres, certains suivant un point de vue français et cartésien, les autres suivant un point de vue empiriste et positiviste anglo-saxon. Chacun suivant le type de «tradition» européenne qui constitue son propre système de référence culturel et intellectuel. Nous pensons qu'il est totalement erroné de poser le problème de cette façon. (?)». Prônant un mode de raisonnement spécifique ,puisant dans l'originalité et authenticité culturelle et à la fois au diapason de l'ère contemporaine , selon lui et susceptible de contribuer à se départir de cette «grille d'interprétation mimétique héritée des «superlunettes» de la philosophie conditionnante des Lumières de l'Europe d'antan» (dixit le Dr Djamel Guerid dans L'Exception Algérienne), Mohamed Abed El Jabri en appelle directement à la nécessité de réforme urgente dans la sphère culturelle - mentale arabo -musulmane (effort d' Ijtihad, entendons par là) aux fins, mentionne - t-il, de «renouer avec l'esprit averroïste», précisant, «nous ne voulons dire, par là, pas autre chose que ceci: il faut rendre l'Averroïsme présent dans notre pensée, par rapport à nous mêmes et nos aspirations, de la même manière qu'est présent dans la pensée française l'esprit cartésien, ou dans la pensée anglaise l'esprit empiriste inauguré par Locke et Hume (?)», dont il reste une survivance d'esprit «(?) et qui fait la spécificité de la pensée française ou anglaise», proposant, ainsi, à l'instar de ce qui s'est fait en Occident,: «Etablissons donc notre spécificité sur ce qui nous est propre , qui nous revient, et ne nous est pas étranger. L'esprit averroïste est adaptable à notre époque, parce qu'il s'accorde avec elle sur plus d'un point: le rationalisme, le réalisme, la méthode axiomatique et l'approche critique. Adopter l'esprit averroïste, c'est rompre avec l'esprit Avicennien «oriental», gnostique et promoteur de la pensée décadente». (Mohamed Abed Al-Jabri, in Introduction à la critique de la raison arabe, p.168-169, éditions Le Fennec, Casablanca 1995, Pour la traduction française, Editions La Découverte, Paris 1994). Assurément, la tentative du philoso phe Mohamed Abed El Jabri est louable à plus d'un titre, cependant, comme le voit son compatriote le penseur émérite Mohamed Sabila, l'ancien ne pourrait faire l'objet d'une «actualisation», «rationalisation» ou «rénovation» quelconque: On ne peut croiser, selon lui des postulats probants relevant de la modernité chez d'anciens novateurs arabo-musulmans, même chez Ibn Rochd ( Averroès), refusant aussi de parler de «modernité d'El Djahidh» ou de «modernité de Attawhidi», comme l'avancent certains penseurs arabes contemporains, estimant qu' «Il n'est pas permis de parler, d'un point de vue strictement épistémologique de modernité d'El Djahidh comme l'a fait ARKOUN , ni de modernité de Attawhidi, ni même de celle d'un Ibn Rochd comme s'y attèlent certains professeurs de philosophie au Maroc, parce que la modernité est un système de connaissance épistémologique aux caractéristiques rigoureusement définies dans l'histoire de la pensée universelle» (cf. Mohamed Sabila), «Diffaén an, EL Aql oua El Hadatha» (Plaidoyer pour la défense de la rationalité et la modernité), cité par Mohamed Cheikh in «Mas'alat el Hadatha fi' el fikr moghribi el mo'acer» ( La question de la modernité dans la pensée marocaine contemporaine), p.247, éditions Ez-zaman, Rabat , Maroc 2004). La raison de cette position est due au fait, - nous rapporte le Dr Mohamed Chikh dans l'ouvrage ci-dessus indiqué,- que Mohamed Sabila récuse la confusion entre «modernité» et « rénovation», estimant que toute assimilation du nouveau à la modernité altère considérablement la dimension spécifique inhérente à la modernité, en ce sens que cette dernière est caractérisée , de façon particulière, par sa rupture avec tout ce qui est traditionnel ( Cf-voir son ouvrage. «El Hadatha oua min baàd el Hadatha» (modernité et post- modernité ). Cependant si le penseur Mohamed Sabila s'oppose sur cette question au professeur Mohamed Abed el Jabri, il le rejoint néanmoins dans sa préoccupation essentielle lorsqu'il considère, comme lui, que la modernité constitue «une richesse mentale et un effort intellectuel individuel et collectif contre I'ego féodal, principalement , étant à même de nous permettre de se débarrasser de la société et culture des époques de décadence, et de construire conséquemment une société et culture nouvelles, à partir des prémices des rationalités des Lumières évolutives présentes dans notre patrimoine arabo-musulman», ceci, étant donné que les sociologies de la modernité ont démontré que la «modernité est une dynamique interne résultant du tréfonds du patrimoine culturel et religieux» ( Cf. Diffa'en an ?el Aql oua el ?Hadatha ). La raison pour laquelle, le processus de modernisation ne peut, fondamentalement, provenir de l'extérieur, ne pouvant émaner essentiellement que de l'intérieur d'une même culture. Le traditionalisme et le patrimoine ne sont pas aussi simples pour qu'on puisse les galvauder aisément à tout moment; ils constituent une partie de nous même, présents dans notre langue, notre mentalité, et continuellement de façon inconsciente, personne ne pouvant se targuer de pouvoir rompre, en l'espace d'un jour et une nuit, avec l'héritage patrimonial, souligne Mohamed Sabila. Et étant donné donc l'enracinement de ce dernier, il est indispensable de l'interroger et de le revaloriser, surtout quand on se rend à l'évidence que les cultures aux racines historiques relativement profondes, ne peuvent absolument pas se délier de leur mémoires et racines du passé. Ce qui amène Mohamed Sabila à observer à propos de l'adaptation à la modernité : «la dynamique de la modernité est dans son fond une dynamique Neutre, mais il est possible de l'orienter ,si les condition s'y prêtent, en y injectant des élément d'ordre éthique et spirituel adaptés, plus ou moins, à ses objectifs intrinsèques», ceci du fait que la modernité constitue à l'origine «une dynamique d'interactions» (?) (rapporté par Mohamed Cheikh, in ouvrage cité). Ainsi s'efforce - t'on, d'apporter des réponses à ce souci constant,chez nombre de penseurs arabo-musulmans en quête d'une relative adaptation adéquate à la modernité, pour tenter d'une part de se délivrer des attaches ancestrales les plus ankylosantes, et d'autre part de s'écarter du mimétisme déformant, imposé par le conditionnement de la vision conformiste héritée de l'idéologie des «superlunettes» teintées d' européocentrisme, ou d'occidentalisme autocentré... DE LA NOUVELLE DONNE DE LA PENSEE COMPLEXE UNIVERSALISTE ET RELATIVISTE Cependant, le risque est grand chez certains penseurs du monde arabe, tentés de couper tous rapports avec les vertus de la rationalité moderniste, arguant du fait d'un indispensable facteur d'authenticité, certes, mais cela ne doit pas constituer un prétexte pour nous éloigner subrepticement des nouvelles réalités du XXI è siècle. A plus forte raison quand la culture locale se trouve être insuffisamment promue et valorisée - comme c'est le cas dans beaucoup de sociétés arabo- musulmanes pataugeant dans le sous-développement chronique et otage, en plus, de pouvoirs féodaux autoritaristes rétrogrades. Pareille situation de cloisonnement dans le ghetto passéiste, sécurisant pour un temps peut-être, mais à coup sur suicidaire de par sa logique de régression programmée, serait-elle préférable à l'option d'ouverture confiante sur la modernité planétaire même si cette dernière présente nombre d'atouts étrangers mais au diapason des réalités complexes du 3 è millénaire? Il importe dès lors dans ces conditions ou cas de figure précis, de faire preuve d'esprit d'audace et d'aptitudes confiantes en relevant résolument le défi de la plongée franche et sans ambiguïté aucune dans la modernité et l'intégration subséquente de ses valeurs démocratiques pluralistes essentielles, une option stratégique qui est,à coup sur, susceptible d'offrir de biens meilleures chances,- par rapport aux replis des identitarismes figés, sclérosants,- de pouvoir resurgir, un jour, à la faveur de ces opportunités saisies de développement efficient prouvé par l'expérience historique de maints pays aujourd'hui sortis du ghetto du sous-développement. Grandis par ces importants atouts évolutifs multiples, capitalisés tout au long de leurs choix stratégiques judicieux d'engagement total et avec foi dans le processus structurel universel de modernisation sociétaire tous azimuts. Question adaptation, cette dernière suivra, s'effectuant de façon interactionnelle avec les bouleversements à divers niveaux du milieu embarqué dans l'audacieux projet de modernisation sociale qui ne rompt pas pour autant avec les racines culturelles, spirituelles et patrimoniales ancestrales, mais qui bien au contraire, promeut ces dernières en les intégrant dans son processus global de développement dynamique multidimensionnel. A l'image de ce qui s'est fait dans nombre de pays émergeants qui ont réalisé dans ce contexte de relatifs succès, cas, entre autres, du Mexique, de l'Afrique du Sud, du Brésil, du Liban, ou encore la Malaisie, etc. La modernité y étant perçue dans ces contrées, d'abord et avant tout, non pas sous l'angle exclusif de ses caractéristiques culturelles- marchandes typiques arborées ? qui d'ailleurs empruntent de plus en plus au patrimoine mondial des échanges divers, cultures et savoirs pluriels, etc. - mais considérée également sous l'angle d'apport probant comme moyen potentiel de dotation technologique et managériale, etc., en matière de lutte intensive contre le sous-développement et l'involution chronique. Par ailleurs, et comme en témoigne l'histoire, les prémices de renaissance patriotique et culturelle contemporaine de nombre de pays d'Afrique et d'Orient, n'ont-ils pas eu pour mouvements propulseurs et leaders instigateurs, qui pour leur plupart ont évolué au sein de milieux intellectuels, syndicalistes, sociopolitiques divers,etc., tous produits de la modernité démocratique universelle? Cette dernière dans son processus d'extension à l'échelle planétaire, n'épouse ?t'elle pas relativement les contours socioculturels identitaires autochtones spécifiques à chaque contrée qu'elle embrasse ? Surtout quand la culture locale se trouve plus ou moins assez affirmée dans l'éventualité d'un heureux équilibre symbiotique avec les apports modernes extérieurs? Ce qui n'est évidement pas le cas lorsque le milieu autochtone s'avère peu évolué, socio ? culturellement conditionné sous la coupe étroite de pouvoirs rentiers néo- féodaux et clans prédateurs aggravant, de la sorte, la dégradation sociale de l'infortunée contrée, une situation déplorable fréquente que vit la plupart des sociétés arabes. On ne peut, dès lors qu'être en désaccord avec ces voix d'intellectuels qui parlent, en dépit de tout, de «nationaliser» la modernité par-dessus le marché! Et dans ce contexte, certains esprits ratiocineurs sont allés même jusqu'à frapper de suspicion toutes les théories en sciences sociales en provenance de l'Occident, quoique enseignées à travers le monde entier, ne discernant apparemment pas entre la particularité d'éléments idéologiques nocifs véhiculés dans telles ou telles spéculations intellectualistes ou doxa brumeuses, et le caractère évolutif -créatif à propension rénovatrice perpétuelle, tout à fait courants dans le domaine des idées, connaissances et apports scientifiques et culturels divers du patrimoine universel. L' insistance sur tout ce qui précède l'est tout particulièrement pour signifier, en clair, que, loin des partis pris des paravents des théories idéologistes classiques contaminants, la logique de la pensée critique nouvelle, actuellement de mise, - caractérisée essentiellement par cette propension liée au souci fondamental de «décentrement» et de «neutralité relative» autant que faire se peut, dans le champ des sciences sociales,- tend,surtout, à aller au-delà des élucubrations des systèmes de pensées «restreints», par sa démarche se voulant nettement démarquée de toute tendance au raisonnements exclusif,ou toutes sortes de pensées autocentrées, ethnocentriques ou autres syncrétiques. Autrement dit, d'une particularité novatrice s'opposant tout à fait au système rationnel linéaire classique tel que longtemps en usage dans le mode de pensée européocentriste ou occidentaliste autocentré,revisité, et autre néo - orientaliste réformiste classiciste repensé,ou toutes autres approches théoriques à tendance évolutive - progressiste, mais véhiculant dans leur fond des éléments relevant de ces visions restrictives, limitatives des perspectives autres dans les sciences sociales, humaines, et les arts et lettres, en général, passant généralement sous silence, les facteurs multidimensionnels de la complexité du réel, trop souvent abordés suivant une grille de perception rigoriste, inévitablement conditionnante. Etant entendu, que ce qui est inhérent, de manière essentielle, à la logique du raisonnement décentré, synonyme de neutralité relativement objective, c'est bien sur, cette propension tendant à l'universalisme consensuel, qui se confond, en principe, avec celui caractérisant la logique du raisonnement scientifique postmoderne, aujourd'hui en vogue, extraordinairement accru, grâce à l'apport fulgurant des nouvelles technologies de la communication et de l'information utilisées à bon escient, avec notamment le traitement exponentiel des données managériales de l'ordinateur,ou machine universelle, au point de vue aussi bien analytique, synthétique que synchronique, taxinomiste etc. Cette logique des traitements des réseaux informatiques, de par les caractéristiques innovatrices de sa particularité, à la fois universaliste et relativiste, en ce sens qu'elle est en totale contradiction avec toutes visions autocentrées, réductrices ou d'assemblages composites formalistes syncrétiques d'auparavant, semble aujourd'hui, présenter ce mérite fortement novateur, - comme vont dans ce sens, vraisemblablement, les idées en l'air de la pensée complexe semée par un certain penseur pluridisciplinaire, Edgar Morin, - qui semble n'ayant plus rien à voir, désormais, avec la logique biaisée et dépassée de la vision prométhéenne européocentriste du progrès linéaire ascensionnel permanent, d'auparavant héritée dans les sciences sociales, conception résultant de ces fameuses «superlunettes qui furent fabriquées sur le piège de la philosophie des Lumières (?) teintées de la quasi-certitude d'un progrès inévitable et prométhéen» (dixit Walleistein, I . postface à Copin, La longue marche de la modernité, édition Karthala, 1998, p. 369). DU DANGER DES VISIONS REDUCTRICES IDENTITARISTES-OBSOLETES Par ailleurs, il faut absolument insister sur le fait que si les visions classicistes occidentalistes sont en train d'être jetées par- dessus bord par les nouvelles approches élargies en sciences sociales à travers le monde, désertant de plus en plus les conceptions restreintes ou autocentrées, la préoccupation devrait être de même pour le domaine des recherches en sciences sociales dans le monde arabo -musulman qui demeure, fréquemment hélas, guetté par le risque «atavique» ( cycliquement resurgissant, dirait-on) des surenchères identitaristes,qui sous des prétextes de souci d'originalité tombant mal à propos, tendent souvent à favoriser, inconsciemment, de nouvelles formes de cloisonnements de la pensée, «restreignant,ainsi, à une peau de chagrin les déjà maigres apports de la modernité, ainsi «nationalisée», n'en retenant de cette dernière que les avantages matériels « tandis que ses données d'ordre scientifique et culturel larges sont rejetées, alors qu'elles revêtent,d'une manière générale, un caractère universel, partagé partout par la plupart des citoyens de la planète. (D'où le risque de rater, à nouveau, les voies nouvelles de la rationalité universelle, après qu' hier, les Arabes aient raté, (suite au dos tourné au rationalisme et tout esprit réformiste d'Jihad,) l'amorce de la révolution philosophique et intellectuelle sous-tendant la révolution industrielle, culturelle et spirituelle de la Renaissance européenne qui permirent l'envol de l'Occident? essor auquel ils ont pourtant été partie prenante au départ, avec l'apport capital des illustres savoirs exilés des Ibn Roshd (Averroès), Ibn Sina, Djaber, etc., hélas persécutés et bâillonnés sous leurs cieux assombris continuellement de lourds nuages, comme si ces derniers avaient pour tache constante de voiler en tous temps la clarté démystifiante de l'emblème du jour...). Ainsi en est-il dans les temps présents de certaines doxa passéistes, et surtout de certaines thèses se déclarant «modérées» et qui ont tendance à faire des émules, mais qui quoique se voulant au diapason de l'ère contemporaine, ne se tournent pas moins davantage vers le passé ?faux refuge des grandeurs et authenticités figées, que vers le présent et l'avenir des défis évolutifs à relever, par leurs tendances ambiguës n'hésitant pas à «diaboliser «l'universel ou l'apport extérieur utile, comme de l'autre coté de la barricade des partisans du fondamentalisme occidentaliste «diabolisent» l'apport extérieur des autres cultures, savoirs et spiritualités de l'humanité, considérant à tort,dans ce contexte, l'Islam ( islamophobie et racisme culturel) dans leurs dangereux jeux d'amalgame prônés découlant directement des visions chauvines,extrémistes et ethnocentriques). Et quand ce type de pensée anachronique persiste toujours jusque dans notre ère contemporaine, il ne peut s'agir que d'une forme de culture subversive tendant à court-circuiter le mode de raisonnement rationaliste et réaliste pragmatique, en quelque sorte. Naturellement, ce ne sont pas toutes les confréries mystiques qui sont mises à l'index par ces propos critiques, mais les pratiques parallèles et marginales de certaines d'entre elles ne sont pas faites pour faire taire ces scrupules. Bref ! la modernité et progrès techniques et scientifiques engendrent parallèlement une culture nouvelle qu'il convient de s'imprégner de ses grands axes évolutifs conjointement avec les valeurs traditionnelles à promouvoir si l'on ne veut pas rester à la traine des peuples et nations qui ont réussi leur heureux mariage entre tradition et modernité, comme le Japon, par exemple, sans se couper nullement de ses racines civilisationnelles, culturelles et spirituelles. ! C'est dire combien le fait de prêter le flanc aux interprétations dogmatiques littérales et obscurantistes de tous acabits, sans se référer aux sources positives des sciences et cultures universelles en puisant parallèlement dans les atouts patrimoniaux des divers savoirs, cultures, arts et spiritualité tolérante ouverts sur le monde contemporain, avait causé un grand tort à la civilisation arabo- musulmane, qui dès lors minée et conditionnée depuis longue date, avait préparé elle-même le terrain aux calamités du périclitement civilisationnel qui s'annonçait : résultat de causes historiques complexes qui ont leur source dans ce paradigme capital de l' évolution historique qui a vu le grand ratage arabo-musulman du coche de la révolution industrielle lors de la fatidique transition du moyen-âge. Et par la suite, la polarisation de ce mode de pensée rétrograde, centré sur l'égo du «zaimisme» oppressif qui a conduit tout autant aux catastrophes connues... De nos jours, la responsabilité historique de la mission de Renaissance scientifico-culturelle et spirituelle authentique, à la faveur des vents nouveaux du renouveau culturalo ? mental dans la sphère arabo-maghrébo -musulmane, incombe surtout à tous ceux qui président aux destinées de chaque contrée du monde arabo-maghrébo-musulman mais aussi aux intellectuels sincères quand bien même leurs voix ( et moyens d'expressions de recours) se trouvent souvent bâillonnées par la castre des héritiers de la féodalité oppressive d'hier et qui est condamnée à disparaitre, tôt ou tard ... Notes de renvoi 1- Mostefa Lacheraf, Algérie, société et nation, SNED, 1974. Alger. 2- Cf. Mohamed Abde El ? JABRI, «Critique de la raison arabe», publiée en 1982 à Beyrouth, 3- Cf. Mohammed Abed El ? JABRI, «Introduction à la critique de la raison arabe», Editions Le Fennec, p.163, traduit de l'arabe et présenté par Ahmed Mahfoud et Marc Geoffroy, Casablanca ,1995 )- ( Pour la traduction française, Editions La Découverte, Paris , 1994). 4- (Cf. Ibid, p. 163-164). 5- Cf. Anthologie du soufisme, p. 23, Eva de Vitray ? Meyerovitch, Editions Sindbad , Paris 1978). |
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