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Une batterie de
mesures a été tout récemment prise notamment en faveur des onze wilayas du Sud
afin d'améliorer (quantitativement) les résultats scolaires et de réduire les
déperditions scolaires. Par ailleurs, des instructions ont été données, voilà
près d'un an, pour mettre en place des commissions intersectorielles
spécialisées qui seraient chargées d'étudier un problème récurrent, devenu
préoccupant voire alarmant, celui des déperditions scolaires, de dresser
objectivement l'état des lieux et de proposer des solutions pertinentes et des
mesures efficaces qui permettraient de réduire l'ampleur de ce phénomène dont
les répercussions de tous ordres s'avèrent dangereuses.
«Il n'y a pas moyen de s'échapper vers des commodités faciles. Il n'y a pas de temps pour procéder pas à pas et pour remettre les changements nécessaires à un avenir indéfini? La situation exige un effort courageux, un changement radical dans notre attitude». (A. Einstein). Les abandons, les échecs scolaires et les exclusions (à tous les niveaux, y compris dans les cycles primaire et moyen alors que l'instruction scolaire est obligatoire jusqu'à l'âge de seize ans) prennent des proportions intolérables. Des cohortes d'abandons d'enfants et d'adolescents exclus viennent chaque année grossir les rangs - déjà nombreux - des désoeuvrés, des hittistes, des chômeurs. Les données suivantes sont - me semble-t-il - suffisamment éloquentes à ce sujet. a- Il est entendu que la déscolarisation concerne, d'une part, les abandons engendrés par des problèmes divers et, d'autre part, les exclusions décidées par les conseils de classe, approuvées par les conseils d'orientation scolaire et entérinées par les directions de l'éducation ou proposées par les conseils de discipline et approuvées par la tutelle. Du tableau suivant que nous avons dressé à partir des chiffres communiqués par le Centre national d'études et d'analyses pour la population (le 12/07/2009), il ressort que les déperditions scolaires sont très importantes chez les filles (surtout en milieu rural) pour les tranches d'âge de 6 à 10 ans et de 11 à 14 ans. Elles prennent une ampleur démesurée chez les garçons pour les tranches d'âge de 15 à 18 ans et de 19 ans et plus. Par ailleurs, sur 100 élèves inscrits, 95,2% achèvent leurs études dans le cycle primaire et 66,2% seulement dans le moyen. Les déperditions scolaires s'élèvent à 536000 élèves par an de 1999 à 2006 dont 68,9% proviennent du cycle d'enseignement obligatoire. Pour sa part, le ministère de l'Education nationale confirme qu'en 2008, 97876 enfants ont interrompu leur scolarité au primaire et 138719 au moyen. b- Les résultats scolaires enregistrés sont - malgré certains progrès quantitatifs - bien en deçà des prévisions officielles: à titre d'exemple, le taux de réussite au baccalauréat des sessions 2008, 2009 et 2010 sont respectivement de 53,27%, de 45,04% et de 61,23%, des taux nettement inférieurs à ceux réalisés dans les pays voisins (en Tunisie par exemple). Ces chiffres mériteraient d'être affinés pour que le diagnostic - déjà préoccupant - soit plus complet. Il importe de souligner que la plupart des enfants déscolarisés iront grossir les rangs des analphabètes dont le taux reste élevé à l'échelle nationale : il dépasse même les 40% dans certaines wilayas (celles de Souk Ahras, d'Illizi, de Relizane?), taux émis lors d'un débat télédiffusé par Canal Algérie le 08/01/2010. c- Il convient de reconnaître pourtant (et c'est à mettre à l'actif de l'école algérienne) que le taux de scolarisation a fortement progressé ces dernières années: la scolarisation rendue obligatoire jusqu'à l'âge de seize ans a permis d'atteindre un taux encourageant de 97,3% en 2008/2009 et en 2009/2010. Cependant, il n'y a pas de quoi pavoiser puisque plus de 236000 élèves (tous cycles scolaires confondus) ont abandonné leurs études en 2009. D'autres sources estiment à plus de 400.000 le nombre d'élèves qui quittent le système scolaire. En outre, sur 100 élèves inscrits dans le primaire, huit seulement réussiront au baccalauréat et six obtiendront un diplôme universitaire (selon le Centre national d'études et d'analyses pour la population - Ceneap), 24 seront bacheliers selon le ministère de l'Education nationale. Après avoir tenté de cerner ce problème, essayons - dans un premier temps, en toute modestie et sans prétention aucune - d'en déterminer les causes et les facteurs endogènes et exogènes avant de formuler des propositions concrètes qui aideraient à y remédier: 1- Les conditions socio-économiques dans lesquelles se débattent de nombreux écoliers et collégiens constituent des entraves souvent insurmontables et finissent par démobiliser et décourager les meilleures volontés: la paupérisation, la précarité, le chômage, la misère économique font que de nombreuses familles ne peuvent subvenir aux besoins les plus élémentaires de leurs enfants. Une telle situation constituerait l'une des causes essentielles de la déscolarisation: pour les enfants démunis, le droit à l'éducation (ou à l'instruction élémentaire) devient un luxe. A cet état de choses se greffent d'autres problèmes épineux; problèmes familiaux, absence de moyens de transport dans les zones rurales en particulier, inexistence de cantines scolaires ou de la demi-pension. Par ailleurs, la démission des parents dont la responsabilité est pleinement engagée favorise le laisser-aller, le désintérêt de leurs enfants pour les études, l'astérismes? Enfants et adolescents, ainsi délaissés et livrés à leur sort, sans repères, finissent par décrocher. On constate que de nombreux parents ne s'inquiètent du sort de leurs enfants scolarisés que lorsqu'ils apprennent qu'ils ont été exclus ou (quel doux euphémisme!) qu'ils ont été «réorientés vers la vie active» à la fin de l'année scolaire. Et pourtant, l'éducation des enfants et leur épanouissement n'incombent-ils pas en premier à la cellule familiale? Les mêmes études statistiques révèlent que 66% des déperditions scolaires sont constatées dans les zones rurales. Le taux de déscolarisation des filles y est effarant: en raison du poids des traditions qui prévalent dans ces milieux, très peu d'entre elles poursuivent leurs études jusqu'en 4e AM et rares sont celles qui arrivent en 3e AS. 2- Les déficiences et dysfonctionnements de notre système scolaire en particulier et de la politique éducative et culturelle en général: - On relève, d'une part, que 30% des élèves âgés de 11 à 14 ans quittent l'école à cause des programmes scolaires trop chargés et des horaires: comment les jeunes apprenants pourraient-ils suivre le rythme (devenu infernal) des cours qui leur sont dispensés? N'a-t-il pas été pourtant prouvé que l'acquisition des connaissances par les élèves devient impossible au bout de cinq heures d'études au maximum par jour, en fonction de leur âge, des efforts fournis? - D'autre part, 65% de cette catégorie d'élèves abandonnent leurs études à cause de conflits avec leurs enseignants. Pour des raisons diverses (contestation de notes chiffrées, marginalisation, violences verbales et physiques), ces conflits finissent par engendrer la défiance, la perte d'estime et de respect mutuel et altèrent (ou polluent) l'atmosphère de travail. - Il est indéniable qu'un enseignement et une formation escamotés, fruits d'une politique éducative hasardeuse et inefficace, ne constituent pas la «clé de l'intégration réussie au travail». La «chose culturelle» est dévalorisée: la culture de l'avoir, celle de la course effrénée au fric, aux biens de consommation, de la cupidité, est privilégiée au détriment de la culture du savoir qui devrait être un moyen légitime et essentiel de promotion et d'épanouissement social. - L'attrait du gain facile (et souvent sans effort) fait que de nombreux jeunes - déjà démobilisés - se désintéressent de leurs études ou les abandonnent pour se livrer à des activités rentables d'autant plus qu'ils constatent, autour d'eux, que de nombreux diplômés peinent à trouver un emploi même précaire et que, parfois, il suffit d'acquérir une instruction basique pour espérer réussir dans la vie sociale et s'enrichir matériellement. L'opportunisme et «l'arrivisme» social semblent prévaloir. Les modèles sociaux traditionnels ne leur résistent guère. Alors qu'on vouait respect et estime au «Cheikh» d'autrefois pour ses qualités intellectuelles et morales, l'enseignant d'aujourd'hui- dont le statut social s'est dégradé - a rarement droit à la considération qu'il devrait mériter. Un nouveau système de normes et de valeurs (qui n'incitent pas toujours au travail, à l'effort, aux études) s'instaure peu à peu dans notre société. De nos jours, se rendre à l'école ou au collège n'est pas une sinécure pour certains élèves en raison de l'atmosphère démobilisante qui y règne parfis. Quelles mesures et solutions (réalistes et réalisables, à mon ses) préconiser pour réduire ces taux de déperdition scolaire, pour en éliminer les causes ou - tout au moins - en limiter les effets? 1- Afin de combattre l'absentéisme et de favoriser la fidélité au poste, de faciliter la ponctualité et l'assiduité, il conviendrait de prendre des mesures incitatives en améliorant les conditions socioprofessionnelles des enseignants, de ceux en particulier qui exercent dans les régions désenclavées et déshéritées (moyens de transport, hébergement ou logement notamment). Par ailleurs, la réduction des inégalités sociales par la mise en œuvre de mesures socio-économiques pertinentes en faveur des classes les plus démunies (lutte efficace contre le chômage, amélioration des conditions de vie et d'études?) feraient que la démocratisation de l'enseignement deviendrait effective et que des chances égales seraient offertes partout à nos enfants. 2- L'organisation de cours de rattrapage s'avère indispensable pour venir en aide aux apprenants jugés «faibles». De tels cours - destinés à de petits groupes d'élèves - devraient être programmés en fonction d'une stratégie appropriée et conçue pour remédier aux carences ou lacunes qu'on aura relevées à partir de tests écrits pertinents réalisés dès le mois d'octobre, d'une progression pédagogique adéquate, de l'emploi du temps des classes concernées pour éviter le surmenage des apprenants. Par souci d'efficacité, on ferait appel à des enseignants expérimentés et motivés dont les travaux seront rémunérés à un taux attractif comme ils le méritent (1). 3- Pour aider nos élèves à surmonter leurs difficultés de tous ordres (problèmes sociaux, psychopédagogiques, de santé?) - qui sont à l'origine de leurs échec scolaires ou qui risquent d'engendrer la déscolarisation -, il serait judicieux d'installer une cellule d'écoute et de suivi psychologique et de santé dont ferait partie un médecin, un psychologue et un pédagogue expérimentés (une UDS plus élargie en somme) qui interviendrait dans une circonscription géographique déterminée. Cette cellule - dont la composante humaine et les attributions devraient être définies par des texte règlementaires - aurait pour tâche de cibler les cas préoccupants, des adolescents en proie à une crise de dépersonnalisation et d'identification, en butte à des problèmes sociaux et psychologiques (drogue, délinquance, misère, conflits familiaux?). En parallèle, elle mènera des campagnes de sensibilisation, d'information et de suivi psychopédagogique à titre préventif et/ou curatif. En somme, l'objectif visé consisterait à redonner espoir et confiance à nos jeunes -souvent désorientés et sans repères - et à réduire ainsi les déperditions scolaires. 4- Ne serait-il pas opportun, en outre, de former des professeurs spécialisés contre l'échec et les déperditions scolaires en suivant l'exemple de nombreux pays dont la politique éducative est basée sur un enseignement performant voire de qualité et qui répond aux besoins et aux exigences du monde du travail et de la mondialisation ? D'une manière générale, ne conviendrait-il pas de repenser les modes de recrutement des enseignants, de redéfinir les objectifs, les voies et les moyens à mettre en œuvre pour qu'ils bénéficient d'une formation efficiente et que la fonction éducative - à valoriser - recouvre légitimement ses lettres de noblesse? Cette politique de formation aiderait à remédier à un problème important dont l'ampleur a été chiffrée ci-dessus, celui des conflits qui opposent parfois les élèves à leurs enseignants. 5- Dans le même ordre d'idées, le réaménagement (ou la refonte) des programmes et l'établissement de nouveaux horaires se posent avec acuité. La lourdeur des programmes et l'inadéquation des horaires entraînent la lassitude, le surmenage et, finalement, le dégoût de nos enfants dont les résultats en pâtissent. A contrario, en allégeant ou en réaménageant les programmes et les horaires, on améliorerait les conditions de travail dans les établissements scolaires. Ce faisant, on permettrait aux apprenants de recouvrer la joie d'apprendre, de s'épanouir, réduisant ainsi les risques de déscolarisation. 6- Les procédures et modalités d'admission et d'orientation scolaires et professionnelles gagneraient à être réexaminées minutieusement pour les amendes et définir de nouveaux critères -plus objectifs et rationnels - en tenant compte des réalités du terrain: niveau et capacités des apprenants, moyens humains et matériels disponibles (y compris ceux de la formation professionnelle), vœux des candidats, exigences du marché du travail? C'est dire qu'une admission et une orientation scolaires et professionnelles - objectives, impartiales et pertinentes - contribueraient à prévenir ou à réduire les déperditions. 7- Ne serait-il pas également judicieux de réactiver les bureaux des associations de parents d'élèves? La contribution - bien comprise - des parents aiderait à mieux cerner les difficultés rencontrées par leurs enfants, à combattre l'absentéisme, à prévenir ou à limiter les déperditions. Il est vrai que la réussite (ou l'échec) scolaire et la mission éducative n'incombent pas aux seuls établissements scolaires, elles nécessitent la participation effective de toutes les parties concernées. Tout récemment et dans ce contexte, de nouvelles dispositions viennent d'être prises, confortant ainsi la loi d'orientation de l'éducation nationale promulguée le 23/01/2008, notamment pour «garantir le respect de l'obligation de scolarité au bénéfice des élèves de 6 à 16 ans». Ce nouveau décret d'application (signé début janvier 2010) prévoit des sanctions contre les parents «qui manquent à l'obligation de scolarité de leurs enfants de cette tranche d'âge», suivant ainsi l'exemple de nombreux pays européens dans ce domaine. Mais son application serait-elle effective? 8- Pour aider les élèves à oublier ou à surmonter leurs problèmes, leurs frustrations, en se livrant à des occupations et à des loisirs sains, il s'avère indispensable d'encourager la pratique sportive et la participation aux activités culturelles dans les établissements scolaires. Cette saine (et ô combien enrichissante) occupation contribuerait à forger la personnalité de nos enfants tout en constituant une sorte de défoulement et d'exutoire à l'agressivité et à la violence latentes. Bien entendu, ces activités seront définies selon un programme étoffé et un calendrier équilibré et supervisées par des encadreurs compétents et motivés. L'école, ainsi conçue, serait pour les jeunes apprenants un lieu véritablement ouvert sur la vie, et qui procure savoir et plaisir. 9- «Aux grands maux les grands remèdes»: pour que l'école ne soit pas rongée par la démobilisation et les incertitudes de l'échec qui ravivent les problèmes sociaux, les violences et les incertitudes angoissantes, ne serait-il pas nécessaire de réformer les mentalités, de combattre l'inertie et la routine ankylosante qui empêchent toute innovation et tout progrès, démoralisant ainsi les bonnes volontés et favorisant l'émergence des médiocres? Il est vrai que «Les médiocres sont très utiles pourvu qu'ils sachent se tenir dans l'ombre, tels des zéros.» (Masson). Cette tâche - assurément immense - fait raviver l'espoir et la confiance chez nos élèves et les jeunes en général, les inciterait à redoubler d'efforts, à persévérer, à fuir «les sirènes» du découragement, de la résignation et du défaitisme. Il importerait - grâce à des mesures courageuses et novatrices - aussi de valoriser la culture du savoir (du savoir-faire et du savoir-vivre), de promouvoir les compétences authentiques, les valeurs intellectuelles, morales et professionnelles dont le pays a grandement besoin pour son développement. Réformer les mentalités est donc une entreprise considérable et l'Ecole n'est qu'un élément (assurément important) du puzzle: tous les secteurs concernés devraient s'y impliquer pour que cet objectif ambitieux soit atteint. L'enseignement performant contribue à réduire les échecs scolaires et les déperditions: il répond, à mon avis, aux exigences du monde du travail, de la réactualisation des connaissances, de la redoutable concurrence imposée par la mondialisation. Cet enseignement dont la qualité devrait être améliorée aiderait à épanouir les dons et les talents, à encourager les vocations et la curiosité de la découverte au lieu de conditionner les jeunes apprenants dont les esprits deviennent parfois un réceptacle passif. De nouvelles voies, des moyens et des techniques d'enseignement appropriés et éprouvés seront utilisés pour intéresser les élèves (y compris les plus «faibles», les paresseux, les timides et que d'aucuns ont tendance à marginaliser ou à exclure) pour susciter une saine émulation et forger leur personnalité. «Tu lui dis, il oublie, tu lui enseignes, il se souvient. Tu l'impliques, il apprend». (Benjamin Franklin). De la sorte, nos enfants apprendraient à écouter leurs semblables, à respecter autrui, à valoriser l'esprit créatif et le travail productif. Il est entendu que ces quelques propositions non exhaustives, émises en toute modestie, visent à nourrir un débat fructueux sur la question. En somme, la lutte contre le phénomène (devenu alarmant par les proportions prises) des déperditions scolaires devrait être engagée sans tarder en mettant en œuvre une stratégie appropriée, en adoptant des mesures réfléchies et pertinentes d'ordre social, économique, pédagogique, culturel qui permettraient de réduire son ampleur. Cette tâche, éminemment noble et féconde à laquelle nous sommes tous tenus de participer, à des degrés divers, en fonction de nos responsabilités et de nos attributions, viserait également à préparer nos enfants à affronter lucidement un futur qui s'annonce difficile, exigeant et impitoyable. * Proviseur de lycée à la retraite Mostaganem 1- Se référer à mon article «Pour des cours de soutien efficients», le Quotidien d'Oran, p20 du 21/02/2007. |
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