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par Kemi Adeosun1, José Antonio González Anaya2 Et Trevor Manuel3 MEXICO - Une
population en bonne santé est à la fois une cause et une conséquence de la
croissance économique et du développement. Mais aujourd'hui, pour réaliser ces
deux objectifs, les décideurs doivent sortir de leur routine habituelle. Plus
précisément, une nouvelle génération de crises mondiales ? pandémies,
changement climatique et augmentation de la faim dans le monde ? appelle à une
refonte fondamentale du rôle des ministres des Finances.
Nous nous devons d'être informés de ces phénomènes. En tant qu'anciens ministres des Finances, nous pensons que les politiques macroéconomiques exigent à présent un engagement beaucoup plus important de la part des ministères concernés. En particulier, les ministres des Finances doivent être mieux à même d'évaluer les effets économiques potentiels des risques de santé publique, introduire des taxes qui améliorent les résultats de santé publique et d'adopter des décisions budgétaires et réglementaires qui vont au-delà des considérations de finances publiques à court terme. Si nous ne sommes pas capables de prendre en charge des politiques de ce genre, nous courons alors un risque d'impréparation face à la prochaine crise économique et sanitaire. Les conséquences économiques dévastatrices de la pandémie de COVID-19 ont appelé les ministres des Finances à anticiper leurs réponses face aux risques de santé mondiale. Selon les prévisions, la pandémie devrait tuer plus de 15 millions de personnes et coûter à l'économie mondiale plus de 12 mille milliards de dollars de PIB sacrifié d'ici 2024. Des confinements, qui auraient été inimaginables il y a seulement quelques années en arrière, ont eu pour conséquence ce fait que plus de 1,5 milliards d'étudiants ont été touchés par la fermeture de leur école ou de leur université. Ceci implique de graves conséquences à long terme pour une génération d'enfants et de jeunes adultes, en particulier pour ceux qui n'ont pas accès à une éducation efficace à domicile. Bref, l'impact économique des crises sanitaires systémiques actuelles peut être si important que les ministres des Finances ne peuvent plus présumer que les politiques de santé nationales et mondiales, en particulier les évaluations des risques et de la préparation aux différents chocs, sont le pré carré des professionnels du secteur de la santé. Au lieu de cela, les ministres des Finances doivent s'engager davantage auprès des responsables de santé pour renforcer la résilience de leur pays dans l'éventualité d'une nouvelle crise. Jusqu'à présent, dans de nombreux pays, le ministre des Finances ne fixe que les budgets globaux des ministères responsables de la santé, laissant ainsi la mise en œuvre aux mains des ministères concernés. De même, les exigences quotidiennes des ministres de la santé les ont souvent poussés à se concentrer davantage sur la gestion des hôpitaux et des établissements de santé du secteur public, plutôt que sur la santé de la population, la prévention des crises et la préparation aux interventions. Ces conceptions étroites de leurs rôles respectifs ont conduit à des résultats sous-optimaux en matière de santé et d'économie. Par conséquent, les ministres des Finances doivent participer plus directement à la prise de décisions dans des domaines clés touchant à la santé publique et à la performance économique. Une approche multisectorielle est cruciale pour identifier les politiques et les chapitres budgétaires qui ont un impact sur la santé dans des domaines tels que l'eau et l'assainissement, l'alimentation et le sport, l'énergie propre, l'éducation des filles et les programmes de repas scolaires. Au cours de la dernière décennie, par exemple, l'Afrique du Sud a fourni des serviettes hygiéniques gratuites et sans taxes aux écolières et aux femmes, le Chili a introduit l'étiquetage des aliments et modifié les programmes d'alimentation scolaire et le Mexique a éliminé le sucre dans le lait dans les garderies. Comme le montrent ces exemples, la relation entre les domaines des finances et de la santé donne le ton, mais des contributions d'autres secteurs sont nécessaires pour que la symphonie soit complète. En outre, le rapport qualité-prix doit être au cœur du financement public des services de santé. Une efficacité accrue doit aller de pair avec une plus grande équité. La discussion doit aller au-delà des budgets à court terme pour passer à une surveillance conjointe de l'efficacité globale du système de santé par de meilleurs achats, une meilleure gestion financière et des mécanismes de responsabilité en vue d'aider à s'assurer que les fonds de services de santé fournissent des résultats spécifiques de manière durable et équitable. Par exemple, la Colombie a adopté des contrôles des prix dans son secteur de la santé sur la base de données provenant des marchés mondiaux. Le Mexique a consolidé les achats de médicaments dans le secteur public et a autorisé automatiquement les médicaments déjà approuvés par les organismes de régulation américains, européens et japonais. L'Argentine a introduit un système de vente aux enchères au sein de son organisation nationale pour fournir des services de santé rentables aux personnes âgées. L'Afrique du Sud et l'Inde cherchent conjointement à obtenir une dispense à l'Accord sur les ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) concernant la prévention, l'endiguement et le traitement de la COVID-19 pour remédier aux défaillances du marché, en particulier au coût exorbitant des biens publics essentiels comme la vaccination de masse. En dehors des préoccupations financières, il est essentiel de formuler des politiques et des réglementations publiques appropriées pour promouvoir une meilleure santé publique. Dans ce domaine, les ministres des Finances peuvent imposer des taxes sur les produits qui nuisent à la santé, augmenter les dépenses de recherche et développement dans le domaine de la santé, renforcer les réglementations de la concurrence pour maintenir des prix bas sur les équipements pharmaceutiques et médicaux, garantir des règles strictes pour les assureurs de santé publics et privés et contenir les dépenses directes à la charge des ménages. À cette fin, l'Afrique du Sud, le Nigeria, le Mexique et le Gabon ont introduit des taxes sur les boissons sucrées ; l'Argentine et la Colombie ont augmenté les taxes sur le tabac et le Gabon a imposé un droit d'accise sur les cigarettes. Le Nigeria a institué une taxe téléphonique pour financer les services de santé et l'Afrique du Sud a l'intention d'introduire des taxes sur le vapotage et les cigarettes électroniques pour décourager leur utilisation, en particulier chez les jeunes. Enfin, la pandémie de COVID-19 a démontré que les problèmes de santé mondiaux ne peuvent se résoudre au niveau national seulement. Pour imaginer à nouveaux frais le dialogue entre la santé et l'économie, il faut repenser la gouvernance et la performance des institutions financières et sanitaires internationales et renforcer leur coopération. En outre, ces organisations devraient inclure la prévention des crises sanitaires et la capacité d'intervention dans leurs évaluations des risques macroéconomiques. Les crises mondiales actuelles exigent que les responsables de la santé et de l'économie réinventent et renforcent leur collaboration au niveau national et international. En jouant un rôle central dans ce processus, les ministres des Finances peuvent contribuer à faire en sorte que le monde soit mieux à même de résister aux futures menaces économiques liées à la santé. Kemi Adeosun, Mauricio Cárdenas, Nicolás Dujovne, José Antonio González Anaya, Régis Immongault et Trevor Manuel ont participé à la rédaction de cet article. 1- ancien ministre des Finances du Nigeria 2- ancien ministre des Finances du Mexique 3- ancien ministre des Finances d'Afrique du Sud |