|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
«L'argent, le pouvoir, les
honneurs, la jouissance, la puissance, la domination, la propriété, c'est pour
eux, une poignée, l'élite, pour les autres, le peuple, les petits, les
sans-grades, la pauvreté, l'obéissance, le renoncement, l'impuissance, la
soumission, le mal-être suffisent ...» Michel Anfray.
Les récents évènements en Tunisie nous interpellent sur la validité et la viabilité d'une constitution démocratique à l'occidental en terre d'islam dans un contexte de crise politique, économique, financière et sanitaire. La constitution traduit la vision qu'a une société d'elle-même et de son avenir. Aux Etats-Unis, la constitution est la tête du monarque, elle est fixe comme la statue de la liberté, elle est imperturbable dans ses fondements. En France, elle est la couronne du monarque, elle est circulaire, elle tourne tantôt à droite, tantôt à gauche, elle porte l'empreinte de Napoléon Bonaparte et le cachet du Général de Gaule. En Afrique, elle est l'habit du monarque, elle colle à sa peau et prend ses dimensions. Une fois la souveraineté recouvrée, l'Algérie va opter pour un régime présidentiel à parti unique s'inspirant à la fois de la France gaullienne et de la Russie stalinienne, dans un contexte de la guerre froide entre le bloc de l'Est et le bloc de l'Ouest. Comme la voiture, l'Algérie va clignoter à gauche pour tourner à droite et se retrouver en fin de parcours dans le décor ne disposant pas de freins et sans rétroviseur avec le pied sur l'accélérateur oubliant ses passagers assis à l'arrière du véhicule ignorant les manœuvres du conducteur. Pour la France, la stabilité du régime garantit la pérennité de ses intérêts en Algérie. Les premières constitutions datent des indépendances. Et depuis, on ne les compte plus. Il y a eu autant de constitutions que de présidents régnants, autant de périodes sans constitutions que de constitutions sans application. Cela se traduit soit par une présidence à vie, soit une constitution sans vie. Autrement dit, la monopolisation et la pérennisation du pouvoir ou la limitation et la séparation des pouvoirs. Les hommes passent, les peuples restent. Les textes n'ont pour vocation de changer les mentalités mais de formaliser des projets de société. En effet, le droit n'a pas pour vocation de moraliser les mœurs politiques. «Les juges et les politiques ne se lassent pas de rappeler les principes d'une morale qu'ils bafouent allègrement» (Maurice Roche). Le droit légalise un pouvoir mais ne le légitime pas. A l'instar d'une filiation, la loi a pour charge de donner un nom et un prénom à l'enfant et non un père et une mère. Elle n'était pas présente au moment de la conception. L'enfant est la résultante d'un rapport entre deux personnes matures consentantes de sexe opposé. Il en sera de même des relations entre gouvernants et gouvernés. Elles équilibrent deux forces contraires. Elles allient la souplesse et la rigidité, la minorité à la majorité, le jour et la nuit. Elles obéissent aux lois de la nature. Elles sont atemporelles. Par contre la Constitution dans les pays du tiers monde n'est en fait qu'une technique juridique de camouflage destinée à donner aux régimes politiques les apparences d'un Etat moderne. Les experts du droit fournissant la caution scientifique à une alchimie métaphysique. On chasse le naturel, il revient au galop. Elle n'a ni la rationalité ni l'effectivité. La réalité étant que l'Etat dans ces pays est inconsistant, invertébré, sans odeur, ni couleur. Contrairement à ce qui s'est passé à partir du moyen âge, la naissance de l'Etat postcolonial est beaucoup moins la résultante des changements sociaux qui ont accompagné l'émergence des structures autonomes (division du travail, bureaucratie professionnelle, surplus agricole dégagé, etc.) que le produit d'un bricolage institutionnel visant à introduire dans l'espace politique des formes d'organisation parfaitement étrangères aux codes culturels et aux ressources de l'Etat. Partout dans le monde arabe les jeunes aspirent à participer plus activement à la gestion des affaires politiques et économiques. Cependant dans la plupart des pays arabes les systèmes sont sclérosés empêchant le renouvellement des élites et la renaissance des idées. La jeunesse arabe et musulmane ne veut plus d'un Etat comme un legs du colonialisme ou comme un instrument hégémonique occidental. Ce qu'elle désire par-dessus tout c'est d'un Etat de droit ouvert sur le monde fondé sur une morale et animé par des dirigeants honnêtes et compétents élus en toute liberté sur la base d'un programme clair et d'un échéancier précis et sur la base duquel ils seront appelés à être jugés. En Algérie, nationalisme et islamisme apparaissent comme des visions diamétralement opposées à l'entité politique qu'est l'Etat. Pourtant l'islam a joué un rôle moteur durant la guerre de libération nationale. Mais les élites «nationalistes» considéraient la religion comme un moyen de mobilisation des masses et non comme une finalité en soi. Il ne faudrait pas non plus omettre de noter la volonté de la puissance coloniale de refouler l'islam dans le domaine privé pour en faire une valeur refuge des déshérités. C'est ainsi qu'après l'indépendance, l'islam devait s'effacer de la vie publique pour permettre la construction de «l'Etat national». C'est pourquoi les mouvements islamistes ont depuis longtemps rejeté le nationalisme comme le capitalisme comme instrument du colonialisme visant à détruire l'unité religieuse de l'islam. Ayant permis de parvenir à l'indépendance et d'amorcer un certain développement, l'idéologie nationaliste et socialiste n'a cependant pas apporté le bien-être à tous, ni fourni les éléments constitutifs de l'identité. Les mouvements de protestation traduisent le désarroi d'une population privée d'idéal et de perspectives d'avenir dans un contexte de crise sociale et de contradictions économiques. La désillusion s'ouvre sur l'espérance religieuse. La sobriété est l'idéal de vie qui donne accès à la vie éternelle. Les sociétés traditionnelles n'ont aucun idéal consumériste et ne développent aucune idéologie productiviste. Les secours de la religion paraissent plus accessibles que le consumérisme moderne. La civilisation occidentale suscite des envies sans les satisfaire. Entre les bienfaits terrestres hypothétiques et les valeurs religieuses intangibles, le choix devient clair. Faute de bonheur à l'aune des biens consommés c'est la soif d'absolu qui l'emporte. Il ne s'agit pas non plus de se complaire dans un autoritarisme stérile du pouvoir et de voir dériver sans réagir la société vers un fatalisme religieux, mais de se frayer un chemin vers plus de liberté, de justice et de dignité dans un monde sans état d'âme en perpétuelle évolution où le fort du moment impose sa solution au plus faible. Etant surtout de nature idéologique et politique, les mouvements islamistes n'ont pas conçu de programme global et cohérent de réforme, n'ont pas débarrassé l'islam du carcan dogmatique dans lequel il a été enfermé, n'ont pas fait de l'islam un cadre de discipline morale protégeant la jeunesse de la délinquance, de la prostitution, de la drogue et des autres fléaux sociaux. Sans renouvellement intellectuel, l'islamisme a eu pour seul résultat de déconnecter de plus en plus l'islam des besoins urgents des sociétés arabes et musulmanes car les populations aspirent simultanément au bien-être matériel occidental et au respect des valeurs morales de l'islam. Elles rejettent l'occidentalisation plus que le progrès technique et scientifique, les injustices générées par la modernité plus que la modernité elle-même. «Elles ne veulent pas aller au paradis avec le ventre vide» pour reprendre l'expression du défunt président Boumediene ! Dans ce monde matériel éphémère, de nombreuses personnes ne sont sensibles à la vérité divine que s'ils ont un ventre bien plein. Ces gens sont comparables à des bêtes que l'on reconduit à leur enclos au moyen d'une botte de foin maintenue à une certaine distance devant leurs bouches. Ils ne reconnaissent pas cette vérité si elle ne s'adresse qu'à leurs seuls esprits à la différence des occidentaux qui ont développé un esprit critique indéniable. L'islam s'adresse plus à la tête et au cœur des hommes qu'à leurs ventres et à leurs passions (l'argent, le pouvoir, les femmes). C'est donc une réponse à une crise d'identité des valeurs modernes mal assimilées et des valeurs traditionnelles perdues que l'islamisme prend son essor. Facilité en cela par un vide idéologique créé par une équipe de dirigeants sans moralité, ni profession. Dire que la forme étatique moderne ne peut avoir de légitimité aux yeux du monde arabe et musulman revient à reconnaître l'incapacité des dirigeants à répondre aux problèmes et aux aspirations des populations dans un cadre étatique. L'Etat se trouve désigné du doigt comme étant responsable de la misère croissante qui frappe la majorité de la population et son incapacité à faire une place à la jeunesse dans le système politique et économique. L'islam est à la fois un mode d'expression des mécontentements et un refuge. Il sert à revendiquer davantage de justice sociale, de dénoncer le chômage, la pauvreté, la corruption des dirigeants et les perversions des valeurs occidentales. L'Etat national repose sur des intérêts particuliers, sources d'accumulation personnelle par le biais des commissions et de prédation qu'autorise la détention du pouvoir. Face à la corruption, les islamistes prétendent incarner la moralité or ce qui frappe le monde arabo-musulman ce n'est pas seulement une crise économique ou sociale mais justement une crise morale. C'est la raison pour laquelle les pays arabes veillent jalousement sur leurs frontières et ce, pour des raisons officielles et cyniques dites de «souveraineté nationale», alors que les uns dépendent des exportations d'hydrocarbures et les autres d'importations des touristes pour assurer la survie de leurs populations respectives ? Or dans ces pays où la croissance de la population progresse souvent à un rythme vertigineux, l'élan démographique nourrit la dynamique islamique. La pauvreté n'est plus vécue comme un échec mais perçue par la plupart par un élan vers Dieu. L'islam nous enseigne qu'il ne faut manger que quand on a faim et quand on se met à table, il ne faut pas manger à satiété. L'obésité et les maladies métaboliques font des ravages dans le monde d'aujourd'hui. La fin de «l'obésité» en Occident signifiera alors la fin de la faim dans le monde. Il ne s'agit pas d'éliminer les pauvres mais d'éradiquer la pauvreté. L'islam nous enseigne de ne manger que quand on a faim et quand on se met à manger, on ne doit pas manger à satiété. Aujourd'hui, quatorze siècles après, de nombreux diététiciens du monde occidental découvrent le bien-fondé de cette recommandation prophétique face à des pathologies comme l'anorexie et l'obésité qui atteignent un nombre de plus en plus élevé de patients. La société moderne mondialisée est devenue «un troupeau de consommateurs infantilisés» par un marketing ravageur omniprésent et omnipotent. De plus, quelle est la religion en dehors de l'islam qui apprend à ses fidèles de manger avec la main droite et d'essuyer ses parties intimes avec la main gauche. Le Covid-19 vient de nous rappeler les vertus de l'eau dans la prévention des maladies contagieuses et la nécessité de se laver très souvent le visage, les mains et les pieds. Vérité vieille de 1400 ans en terre d'islam. Les convictions religieuses ne sont pas affichées au front de l'individu ou inscrites au bas d'une carte militante d'un parti mais elles sont enfouies dans le cœur de l'homme et seul Allah, dieu unique est en mesure de pénétrer les cœurs. Aucun être humain n'a ce pouvoir. «L'habit ne fait pas le moine» disent les chrétiens. L'islam est tolérant. «La liberté de l'un commence là où finit la liberté de l'autre» nous apprend l'Occident. Quant aux minorités agissantes, elles sont favorisées par les puissances coloniales. Elles suscitent la méfiance de la majorité. Les courants islamistes n'ont pas fourni une conception nouvelle de ce que doit être un modèle politique et économique de l'Etat islamique dans le contexte contemporain. Car, le danger que court l'islam est qu'il soit transformé en idéologie politique au même titre que d'autres en déroute et lorsque cette idéologie est mise en application pourrait révéler ses limites et être exposée à diverses critiques. Une telle évolution pourrait être préjudiciable à la crédibilité de l'islam tout entier. Ce que recherchent les populations à travers le nationalisme, le socialisme, l'islamisme et la démocratie, c'est une certaine dignité face à leurs gouvernants et face au monde extérieur : une soif de dignité, de liberté et de justice. Mais n'est-ce pas là les valeurs de l'homme moderne prônées par la culture occidentale contemporaine dominante ? Ces valeurs ne sont-elles pas comparables à celles développées par l'islam ancestral et éternel des peuples arabes et musulmans qui rayonnèrent au moment où l'Europe du moyen âge était plongée dans les ténèbres ? Le Dieu unique de l'Orient et de l'Occident, ce maître de l'univers, le créateur de l'humanité n'est-il pas lui le plus grand démocrate de tous les temps et de tous les espaces, n'est-ce pas lui qui a accordé à l'homme, sa créature et qui pourvoit à ses besoins, le droit de choisir entre le bien et le mal, entre le mensonge et la vérité, entre la foi en un Dieu unique et la mécréance satanique, entre la vie d'ici-bas et la vie dans l'au-delà, entre l'enfer et le paradis ? Faut-il distinguer entre ce qui appartient à Dieu et ce qui appartient à César pour s'insérer dans la démocratie occidentale et retourner au moyen âge à l'ère de l'inquisition pour comprendre le présent et appréhender le futur ? Dans son acception comme soumission à Dieu, la religion est verticale c'est-à-dire l'homme dans son rapport avec son créateur, elle est spirituelle et de ce fait paisible. Elle est horizontale dès que l'homme cherche à la partager avec son prochain, elle devient politique et par conséquent explosive. Aujourd'hui, l'Occident domine le monde arabe et musulman grâce entre autres à sa haute technologie de pointe et à ses armes sophistiques de destruction des masses que les dictatures arabes et africaines s'arrachent à prix d'or au détriment du bien-être de leurs populations affamées et meurtries. Des armes qui visent à impressionner les peuples, voire à les réprimer, finissent généralement par être rouillées sans avoir servi. Le temps est une arme redoutable contre les tyrans. Les despotes finissent par succomber à l'usure du temps. Selon Henri Kissinger, homme politique américain, prix Nobel de la paix en 1973, «le pouvoir est l'aphrodisiaque suprême». L'homme au pouvoir estime que rien ni personne ne peut lui résister. Des dirigeants arabes et africains, pris en otage par les puissances du moment, classés amis ou ennemis en fonction de leurs intérêts, exploitant sans vergogne les frustrations des populations arabes et africaines, ces autocrates, enivrés par le pouvoir, infantilisés par l'Occident, corrompus par l'argent et emportés par leurs délires mènent tambour battant leurs peuples respectifs, les yeux bandés, à l'abattoir sous le regard moqueur de l'Occident triomphant. Le malheur, c'est qu'ils n'en ont même pas conscience, ils sont sur un nuage. Les débats d'idées sont l'oxygène des démocraties occidentales, les dictatures arabes refusent tout débat. Le temps c'est l'alternance entre la nuit et le jour, entre les saisons. Dieu dans sa grandeur et dans sa toute-puissance a créé Satan pour s'opposer à lui dans sa vie d'ici-bas ; les dictatures arabes récusent toute contradiction, toute confrontation d'idée, toute contradiction adoptant le principe «qui n'est pas avec moi est contre moi» alors que les démocrates occidentaux tiennent le langage suivant : «je ne suis pas d'accord avec toi mais je me battrais de toutes mes forces pour tu puisses toujours le dire». Comme dirait Jean Rostand «tant qu'il y aura des dictatures, je n'aurai pas le cœur à critiquer une démocratie» même si ces dictatures endossent le burnous blanc de l'islam pour développer de nouvelles dynasties ou portent le costume deux pièces de la laïcité (religion et politique) avec une cravate qui les accroche aux puissances dominantes hégémoniques ou les deux à la fois, ce qui n'est pas incompatible, le premier pour tromper la vigilance des musulmans, le second pour rentrer dans les grâces de l'Occident. Sommes-nous en présence d'un consensus social pour un suicide collectif ? Le suicide est la dernière issue d'une crise morale. On ne meurt pas d'une overdose de pouvoir et de richesse, on finit par perdre tout contrôle de soi-même. L'estime de soi et le respect de l'autre sont devenus des denrées rares même dans les familles les plus traditionnelles polluées par une pseudo-modernité où l'individu s'affirme par sa fortune et non par sa personnalité, par des apparences et non par des contenus. Qui accroît son avoir appauvrit son être. Un être que l'islam a mis sur un piédestal et que l'Etat providence a réduit à un tube digestif explosif (violence aveugle) ou puant (corruption généralisée). Dans cet égarement, l'islam dans sa pratique religieuse est-il une révélation divine ou un produit marchand ? Une conduite à tenir ou un masque à porter ? Un syndicat de fonctionnaires ou un fonds de commerce ? Un «blanchisseur» de l'argent sale ou un ticket d'accès au paradis ? «Le Coran a été révélé aux hommes comme guide de conscience, comme règle de morale et comme critérium du bien et du mal» *Docteur |