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«Alger
est mon dernier poste et en quelque sorte le moment fort de ma carrière». C'est
ce que nous dit Madame Ulrike Maria Knotz dans cette
interview où elle fait le point sur ses deux ans au poste d'ambassadeur en
Algérie. Elle reprend notamment tout ce qui a été fait dans le cadre des
relations bilatérales entre les deux pays.
Le Quotidien d'Oran : Vous quittez l'Algérie après à peine deux ans de votre arrivée en tant qu'ambassadeur. Avez-vous eu le temps de renforcer les relations algéro-allemandes ? Si oui, quels dossiers ont pu peser dans cette entreprise ? Ulrike Maria Knotz : Vous avez raison, cela fait à peine deux ans que je suis à Alger en tant qu'ambassadeur et je dois déjà partir. La raison en est mon âge - je prends ma retraite. Alger est mon dernier poste et en quelque sorte le moment fort de ma carrière. J'ai vécu mes deux ans ici comme un privilège, celui d'être témoin de développements d'importance historique, de voir comment, d'une manière absolument impressionnante, le désir de la population des réformes profondes, est soudainement apparu à la surface et a déclenché une dynamique politique à couper le souffle. Bien sûr, de tels développements affectent également le travail d'une ambassade, où il s'agit encore plus d'habitude d'analyser, de comprendre ce qui se passe et d'informer la capitale. On parle avec les acteurs de différents camps, on essaie de rassembler comme des pièces d'un puzzle, les nombreuses informations souvent contradictoires. Personnellement, j'ai trouvé cette tâche très intéressante et j'ai toujours été impressionnée par l'engagement, la conscience politique, le patriotisme et aussi l'optimisme de nos interlocuteurs. Néanmoins, les affaires diplomatiques se poursuivent aussi dans des temps agités. Nos deux ministres des Affaires étrangères se sont rencontrés plusieurs fois, l'Allemagne et l'Algérie ont coprésidé le groupe de travail Afrique de l'Ouest du «Global Forum for Counterterrorism» (Forum mondial pour la lutte contre le terrorisme), nous avons pu signer un accord de coopération technique ici à Alger - pour ne citer que quelques activités. Actuellement, le conflit en Libye est bien sûr une question importante dans nos relations bilatérales. Le chef de l'Etat, le Président Tebboune et son ministre des Affaires étrangères Boukadoum ont participé à la conférence de Berlin sur la Libye en janvier 2020, sur invitation de la chancelière Merkel et le secrétaire général des Nations Unies, Guterres. Nos deux pays coprésident un des groupes de travail chargé de la mise en œuvre des résultats de la conférence de Berlin. En janvier 2020, le ministre fédéral des Affaires étrangères Maas s'est rendu à Alger pour informer personnellement les participants de la conférence des pays voisins de la Libye, à laquelle son collègue le ministre Boukadoum avait convié, des résultats de la conférence de Berlin. Q.O. : Quels sont les dossiers que vous avez laissés en suspens et pour quelles raisons ? U.M. Knotz: Je regrette que l'accord culturel n'ait pas été signé durant mon séjour à Alger. Les raisons sont de nature purement technique. Après la finalisation du texte dans ses trois versions linguistiques - français, arabe et allemand - l'apparition de la pandémie de Covid-19 a empêché la signature. Pour la même raison l'inauguration du musée national de Cherchell, dont le réaménagement est le résultat de plus de dix ans de fructueuse coopération avec l'Institut archéologique allemand, n'a pas pu avoir lieu. Le musée donne maintenant, à mon avis, un aperçu très impressionnant de la splendeur et de l'importance de la cour de l'avant-dernier roi numide Juba II. Q.O. : Avez-vous rencontré des difficultés à traiter de certaines questions de coopération avec les autorités algériennes ? U.M. Knotz : Il est normal qu'il y ait toujours des dossiers qui prennent un peu plus de temps que prévu. Mais durant ma présence en Algérie, je n'ai jamais eu l'impression qu'il y avait des thèmes dont les autorités algériennes ne voulaient pas discuter avec nous, bien au contraire. J'ai toujours trouvé des interlocuteurs disposés à répondre à nos préoccupations, même en cas de questions difficiles. Q.O. : La commission mixte entre l'Algérie et l'Allemagne ne s'est pas réunie depuis février 2017. Cela ne signifie-t-il pas qu'il y a un manque de concertation entre les deux pays ? U.M. Knotz : Lors de la dernière session de la commission économique mixte, il était convenu que la session suivante se tiendrait à un rythme bisannuel, donc en 2019. Il est vrai que nous sommes en 2020 et que la commission ne s'est pas encore réunie. Mais ce report se comprend facilement - l'évolution politique en 2019 a également entraîné des changements de cadres dans les ministères responsables, et dans une telle situation, les partenaires étrangers sont généralement en mode d'attente. Aujourd'hui, c'est malheureusement la situation pandémique mondiale qui paralyse les échanges internationaux depuis le printemps dernier. L'Allemagne était présente officiellement à plusieurs salons à Alger depuis 2017. En dehors des réunions formelles, la concertation au niveau du travail quotidien continue : malgré la crise que nous traversons, la nouvelle directrice générale de la Chambre de Commerce et d'Industrie algéro-allemande (AHK) a repris les affaires en main fin juin. Par ailleurs, j'ai moi-même eu l'occasion de discuter avec le ministre du Commerce, Monsieur Rezig, les potentialités et les perspectives de nos échanges commerciaux bilatéraux et européens. Q.O. : En mars dernier, vous évoquiez un développement de partenariat entre les deux pays dans le domaine des énergies renouvelables et l'environnement. Pensez-vous que l'Algérie pourrait amorcer sa transition énergétique avec un appoint allemand sûr pour un mode opératoire précis ? U.M. Knotz : Le partenariat énergétique algéro-allemand existe depuis 2015. Il est bien présent à Alger avec un bureau composé de plusieurs experts allemands et algériens. J'ai noté avec grand intérêt la création d'un nouveau portefeuille ministériel pour la Transition énergétique et les Energies renouvelables. Une transition énergétique algérienne pourrait ouvrir la voie à un échange technologique de haut niveau, contribuer à la diversification de l'économie et créer un nombre important de nouveaux emplois. Elle est également d'une grande importance pour la stabilité du budget de l'État algérien, lorsqu'on sait que celui-ci dépend outre mesure des revenus de l'exportation du pétrole et du gaz naturel (le niveau desquels devient de plus en plus incertain) et que les quantités disponibles à l'exportation diminuent. S'il était possible de couvrir une partie de la consommation d'énergie domestique à partir d'énergies renouvelables, cela pourrait remédier à la situation. L'Allemagne sera disponible pour intensifier et approfondir la coopération dans ce domaine. C'était également un sujet durant mon entretien avec le président de la République. Q.O. : L'Algérie vient de reléguer au second plan l'option de lancement d'une industrie automobile pour se rabattre de nouveau sur l'importation de véhicules. Pensez-vous que cette décision a contrarié des investisseurs allemands qui pouvaient initier des projets dans ce domaine ? U.M. Knotz : Il est vrai que les mesures prises par les autorités dans le secteur de l'automobile en 2017 et 2019 étaient inattendues. Pour un investisseur, des conditions-cadres stables, c'est-à-dire la prédictibilité, sont l'alpha et l'oméga d'un projet et plus importantes que d'éventuels avantages fiscaux ou un subventionnement. C'est maintenant au président Tebboune et au gouvernement de convaincre les investisseurs potentiels à faire leurs calculs de manière fiable en Algérie et à l'abri des surprises. Q.O. : Le climat des affaires en Algérie continue-t-il de souffrir (je vous cite) «de cadre légal volatil, d'une bureaucratie particulièrement lourde, d'un système bancaire peu performant et de restrictions liées à l'importation ? U.M. Knotz : Ces éléments contraignants sont largement discutés parmi les experts et les acteurs économiques algériens et internationaux. Le Président Tebboune s'est engagé à œuvrer à une amélioration du climat des affaires. A mon avis, la composition de la nouvelle équipe gouvernementale reflète bien cet intérêt particulier pour l'économie. En ce qui concerne les investisseurs étrangers potentiels, la suppression de la règle 51/49 (à l'exception des «secteurs stratégiques») va dans le bon sens. J'espère que d'autres étapes suivront, qui rendront l'Algérie, qui dispose d'un énorme potentiel dans de nombreux domaines en dehors du secteur des hydrocarbures, encore plus attrayante. Investissement étranger signifie : création d'emplois, revenu fiscal, transfert de technologie, formation à haut niveau, conquête de nouveaux marchés. Q.O. : Avez-vous pu contribuer à régler le dossier des Algériens en situation illégale en Allemagne ou reste-il toujours en suspens ? U.M. Knotz : Sincèrement, je ne sais pas ce que vous entendez par cette question. Les personnes qui se trouvent illégalement en Allemagne devraient être renvoyées dans leur pays d'origine, bien qu'il y ait, bien sûr, des cas où les personnes concernées se soustraient à leur expulsion. En 2019, 575 citoyens algériens ont été renvoyés d'Allemagne, 457 ont su se soustraire. Les rapatriements sont par ailleurs réglementés sur la base d'un accord de 1997 et se déroulent en bonne coopération entre nos deux services de police. La coopération dans le cadre du programme de retour volontaire OIM en Algérie se poursuit également; la grande majorité des rapatriés volontaires OIM vient de l'Allemagne. Q.O. : La conférence de Berlin sur la Libye n'a-t-elle pas été un coup d'épée dans l'eau au regard de la complexité de la situation et ses mauvaises évolutions ces derniers mois qui empêchent toute reprise de dialogue entre les belligérants ? U.M. Knotz : Depuis Berlin, les pourparlers militaires du comité 5+5 sous la direction de l'ONU ont repris, et ce malgré cette période de Covid19. Mais vous avez raison d'énoncer la complexité de la situation en Libye. Cette complexité nous rappelle tous les jours que la diplomatie est souvent une épreuve de longue haleine et que les progrès se font souvent par petits pas. Aujourd'hui, le comité international de suivi du processus de Berlin est le forum central pour traiter le dossier libyen au niveau international. D'ailleurs, l'Allemagne et l'Algérie y assurent ensemble la coprésidence du groupe de travail politique. Q.O. : Ne pensez-vous pas que le conflit libyen est entretenu par l'attitude hypocrite de certains pays occidentaux qui appellent à son règlement mais fournissent des armes pour soutenir la guerre? U.M. Knotz : Notre position envers les acteurs sur place est similaire à la position algérienne : nous nous engageons à mettre en œuvre une solution politique inclusive et c'est dans cet objectif que nous parlons avec les différents acteurs. L'Allemagne soutient pleinement et activement un règlement du conflit dans le cadre de l'ONU, entre autres en tant que présidence du comité de sanctions sur la Libye. Mon collègue, le diplomate allemand Martin Kobler, était le représentant spécial de l'ONU pour la Libye de 2015 à 2017. Comme membre non-permanent du Conseil de Sécurité, nous œuvrons en ce moment à New York pour qu'un nouveau représentant spécial de l'ONU pour la Libye soit nommé sans délai. En janvier 2020 la chancelière allemande, Angela Merkel, avait réuni à Berlin un sommet international en soutien aux efforts fournis par l'ONU. Cette volonté d'unir tous les acteurs internationaux sous l'égide de l'ONU était également la raison pour l'ouverture de la session du Conseil de Sécurité de l'ONU sur la Libye le 08 juillet à l'invitation de l'Allemagne, qui a assuré la présidence du conseil au mois de juillet, aux participants de la conférence de Berlin. Le ministre Boukadoum y a représenté l'Algérie. Q.O. : La gestion «nationale» et non «communautaire» de la pandémie du Covid-19 n'a-t-elle pas fragilisé la cohésion de l'Union européenne et risque de pousser à la réédition du Brexit ? L'Allemagne qui vient de prendre la présidence du Conseil de l'UE le 1er juillet pour six mois a-t-elle un plan précis pour éviter ces difficultés ? U.M. Knotz : Les premières réactions au sein de l'UE au déclenchement de la pandémie manquaient quelque peu de coordination et de solidarité. Mais cela a changé très vite. Des États membres se sont soutenus mutuellement en fournissant des aides d'urgence et en prenant en charge des patients en soins intensifs - je cite comme exemple le cas des patients en soins intensifs transportés de la Lombardie vers Leipzig et de malades d'Alsace qui ont été hospitalisés dans la région allemande avoisinante. Les ministres de la santé de l'UE se concertent et coordonnent leurs efforts depuis mars dernier, un comité consultatif composé d'experts européens a été mis en place auprès la Commission européenne. Les États membres se sont également mutuellement soutenus dans le rapatriement de leurs ressortissants bloqués à l'étranger après l'interruption des liaisons internationales. Ici à Alger de nombreux citoyens européens ont voyagé avec nos vols de rapatriement allemands - ceci dit, la grande majorité des passagers étaient des doubles nationaux qui, en plus d'être Algériens, étaient également allemands ou citoyens d'un autre État membre de l'UE. L'UE et ses États membres ont également réagi aux conséquences économiques et financières de la crise; après quatre jours de négociations difficiles les chefs d'Etat et de gouvernement se sont mis d'accord sur une enveloppe d'aides à l'économie européenne du volume inédit de 750 mrds d'euros. Nous croyons que l'UE et la zone euro sont bien préparées pour une reconstruction durable et solidaire, l'une des priorités les plus importantes de la présidence allemande du Conseil de l'UE ? comme l'a exprimé notre ministre des Affaires étrangères Maas: «La pandémie du coronavirus a frappé certains pays de l'Union européenne plus durement que d'autres, mais les conséquences économiques et sociales affectent toute l'Europe. Nous créerons donc ensemble le chemin vers une sortie de crise. L'Allemagne veut être le moteur et le modérateur de la présidence du Conseil de l'UE. Ce sera notre travail de construire des ponts et de trouver des solutions qui profiteront à tout le monde en Europe». Bien entendu, la solidarité européenne ne s'arrête pas aux frontières extérieures de l'UE. Dans le cadre de sa politique de voisinage, l'UE dégage des fonds importants pour l'Afrique. À cela s'ajoute la participation de l'UE et en plus de ses États membres au dit ?Global Humanitarian Response Plan? des Nations Unies ? l'Allemagne, par exemple participe avec 300 millions d'euros. Je suis optimiste que la crise de la pandémie va montrer encore une fois que la confrontation avec de nouveaux défis, loin de l'affaiblir, renforce davantage l'UE. Nous étions plusieurs fois témoins comme, après une première phase de perplexité (et parfois d'actions isolées) se mobilise la volonté politique qui aboutit à la formulation d'un concept politique et la création de nouvelles structures. L'intervention de l'OTAN en Serbie-et-Monténégro en 1999 a été par exemple le catalyseur de la politique de sécurité et de défense commune, et la crise de la zone euro en 2008 a conduit au transfert des compétences en matière de politique budgétaire et financière du niveau national au niveau européen. Actuellement la présidence allemande du Conseil de l'UE s'engage à trouver, à part du défi de la reconstruction économique, aussi une réponse véritablement européenne dans une autre crise majeure, la crise migratoire, c'est-à-dire une réponse de solidarité et de responsabilité partagée. Q.O. : Le durcissement des procédures d'octroi des visas pour l'espace Schengen a-t-il permis aux pays européens de réduire l'émigration clandestine ? U.M. Knotz : Les règles régissant la demande et la délivrance de visas de court séjour sont régies par le code des visas de 2009, qui s'applique dans l'ensemble de l'espace Schengen et garantit des règles uniformes en matière de procédure de délivrance des visas à l'étranger. Comme le code est basé sur un accord intergouvernemental de 26 pays il est extrêmement difficile de le changer et le durcissement dont vous parlez n'a pas eu lieu. D'un point de vue humain, je comprends que de nombreux Algériens considèrent le processus de demande et de délivrance des visas complexe et se sentent parfois aussi personnellement frustrés. Malheureusement, le monde est fait ainsi. Je crois que aussi les Algériens trouveraient indésirable une situation générale dans laquelle chacun peut se rendre et s'installer dans un autre pays sans autres formalités. Le défi consiste à rendre justice aux personnes qui ont réellement le droit à l'asile, à prévenir la migration irrégulière et à promouvoir la migration légale, par exemple aux fins de voyages d'affaires, de tourisme, d'études, de travail, de visites familiales, etc. Cela n'est pas possible sans procédures administratives correspondantes. Une prévention efficace de la migration irrégulière est aussi très importante pour l'acceptation de la migration légale par les sociétés dans les pays de destination. Q.O. : Vous avez été reçue le 9 juin dernier par le président de la République. Lui avez-vous fait part de certaines questions qui vous tiennent à cœur alors que vous quittez l'Algérie dans quelques jours ? U.M. Knotz : Ce fut pour moi un grand honneur et un grand plaisir d'être reçue par S.E. le président Tebboune. Nous avons discuté les opportunités et les perspectives d'intensifier davantage notre coopération bilatérale, y compris dans le cadre de notre partenariat énergétique. Bien entendu, le conflit libyen était également parmi nos discussions - le président Tebboune ayant participé personnellement à la conférence de Berlin en janvier à l'invitation de la chancelière Merkel. Le président m'a expliqué également son programme de réformes politiques et économiques vers «l'Algérie nouvelle». Je regrette de devoir quitter l'Algérie en ce moment, où des décisions aussi importantes sont prises pour l'avenir du pays. Je continuerai à suivre le développement de votre grand et beau pays, j'aurai toujours une pensée aux gens dont j'ai pu faire la connaissance, aux rencontres pleines de bonté et de convivialité et aux nombreuses conversations attachantes sur des sujets aussi au-delà de la politique et l'économie, sur ce qui donne, sont empreints à notre condition humaine - l'histoire, la mémoire, la religion, les arts. J'ai appris beaucoup. Je souhaite au peuple algérien un avenir heureux dans son pays, qui est plein d'opportunités. L'Allemagne est et restera un pays ami. |