|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
L'indépendance de
l'Algérie a constitué un fait majeur de l'histoire contemporaine. Résultat d'un
long et sanglant conflit, elle a surtout marqué les esprits par son caractère
violent et cruel à l'endroit des autochtones arabes. Parmi les 8.000 villages
et douars incendiés par l'armada française, la localité de Benchaib
dans la daïra de Remchi, wilaya de Tlemcen, a connu
son lot de destructions, vexations, tortures et autres privations.
Femmes, hommes et enfants payèrent un lourd tribut à la Révolution. Voici le récit d'une résistante qui a subi les pires sévices. Traquée et contrainte à l'exil avant de retourner à la veille de l?indépendance à Ain Temouchent son ancien refuge, Mme Moulay Méliani Khédidja est décédée en 1991 au moment où le pays entamait sa descente aux enfers. Un de ses garçons, cadet de la Révolution et après de brillantes études choisira de faire carrière dans les rangs de l'A.N.P. Il dirigera un corps d'élite qui sera engagé dans la lutte antiterroriste avant de finir jeune général major actuellement à la retraite. Pour illustrer la barbarie du colonialisme français, il suffi de plonger dans la vie de la moudjahida El-Hadja Moulay Méliani Khedidja. Traquée et torturée jusqu'à ce que le fœtus qu'elle portait tombe à terre et soit mangé devant ses yeux par une meute de chiens sous les hurlements hystériques de la soldatesque française. Elle incarne le martyre. Une image terrifiante, insupportable qui la hantera toute son existence. L'histoire de cette héroïne du village de Benchaib mérite d'être racontée aux générations actuelles. Originaire de la fraction de ?'Sid Ahmed Bouhadjar'', célèbre saint de la région de M'lata dans la wilaya d''Ain Temouchent, Bouhassoun Khedidja épouse Moulay Méliani , qui a vu le jour en 1912, n'ignore pas que Zohra, la mère de l'Emir Abdelkader, est également issue de la même tribu. Elevée dans une famille modeste et dans le strict respect des coutumes, elle sera imprégnée dès sa tendre enfance des préceptes religieux. Elle apprend le Coran au sein de la Zaouia fondée par sa famille. Un apprentissage qui va éveiller sa fibre altruiste et renforcer sa perception du monde. Son tempérament de battante ne tardera pas à se manifester quand dans les années trente, elle commence à aider les écoles coraniques créées par l'association des Oulémas car elle pensait déjà que les futurs libérateurs de l'Algérie devaient connaitre la science et comprendre le sens de l'histoire pour mieux combattre l'ennemi. Les parents de Khedidja vivaient des travaux de la terre et de l'élevage, ils la marièrent à Moulay Méliani Kouider, plus connu soue le nom de l'homme au cheval blanc lequel jouissait d'une grande autorité dans la contrée de Benchaib à quelques encablures de Remchi. Kouider, avec le temps, s'est accommodé de l'esprit humaniste de sa femme, toujours prête à voler au secours des plus démunis. Elle se déleste du bétail laissé par son défunt père pour aider les ?'frères'' et nombreux membres de son clan qui ont rejoint la Révolution. Comme lui, elle était entièrement acquise à la cause nationale. Les Moulay Méliani s'impliqueront tôt dans la lutte pour le recouvrement de l'indépendance. Ils étaient soit des combattants de l'A.L.N, soit des agents de liaison ou des soutiens en matériels. L'homme au cheval blanc régente le tout, dissimulant sur le côté de sa selle sa carabine. Homme pieux, rusé et dévoué à la cause nationale, il mena longtemps en bateau l'administration militaire qui lui donnait des armes et des munitions pour soi-disant défendre le Douar contre d'éventuelles incursions des rebelles mais lui ne tardait pas à refiler les cartouches ou des armes aux moudjahidine qui manquaient de munitions ; jusqu'au jour où il fut dénoncé. Recherché, Hadj Kouider qui effectua le grand pèlerinage à la Mecque en 1952 se refugia un temps dans les environs de ?'Sebaa Echioukh'' avant de rejoindre momentanément sur instruction du commandant de la Zone 3, Si Boucif, la ville d'Oujda. Entre temps, deux des trois fermes appartenant à son père et soupçonnées d'abriter des fellagas furent bombardées par l'aviation et des tirs d'obus. Le clan des Moulay Méliani se dispersa afin d'échapper à la vengeance des militaires pendant que les plus âgés rejoignaient le maquis. Le Chahid Moulay Méliani El Hadj né le 10 novembre 1930 d'une fratrie de six garçons est tombé au champ d'honneur au même titre que deux de ses deux frères pendant que trois autres luttaient dans les rangs des moudjahidine. Chef de Katiba, il deviendra en 1958 l'adjoint du capitaine Zaoui Said dit ?' Si Merbah'' avant d'être fait prisonnier au cours d'une mission visant à éliminer des traîtres et torturé à mort dans les geôles du 2ème Bureau de la gendarmerie d'Ain Temouchent. Le Chahid Mohamed Moulay Méliani, quant à lui, prit le maquis durant l'année 1956 alors qu'il était âgé à peine de 18 ans et demi. Lettré, il fut chargé de coordonner les liaisons entre les sections 2 et 3 de la Zone et s'occupa avec le colonel Othmane et d'autres officiers du plan d'attaque de la célèbre opération '' incendie des 49 fermes coloniales'' en Mai 1956, une année avant sa mort alors qu'il a été désigné commissaire politique de la Zone. Son jeune frère Djillali né le 12 Octobre 1948 avait juste 10 ans lorsqu'il a été assassiné par des militaires français à Ain Youcef relevant de la daïra de Remchi. Son camarade et cousin, Baghdadi, aujourd'hui avocat agréé auprès de la cour suprême, auteur d'une série d'ouvrages sur le droit, a lui aussi failli perdre la vie. Devenu le meilleur agent de liaison de son père, Hadj Kouider, qui lui confiait les tâches délicates comme le transport de vivres et de vêtements, l'adolescent Baghdadi utilisait un mulet pour rallier les endroits boisés indiqués par le patriarche. Hadja Khedidja, pour sa part, utilisait souvent ses enfants comme éclaireurs. Elle assiste de près à la grande opération visant l'incendie d'une cinquantaine de fermes par une nuit de Ramadhan de l'année 1956. Un évènement qui a suscité une psychose dans le milieu des colons. La riposte de l'armée française durera une semaine pendant laquelle les trois fermes des Moulay Méliani furent bombardées. Ces fermes étaient dotées de tranchées et de caches souterraines destinées aux moudjahidine et au stockage des vivres et munitions. Après l'arrestation de Baghdadi un des fils de Khedidja et le harcèlement exercé sur la famille par les militaires, la ville d'Ain Témouchent où réside tante Fatéma, la sœur de Hadja Khédidja, devient le refuge. Leur cousin Goumid Benaissa âgé à l'époque de 19 ans, se trouve au maquis. Une menace qui contraint le clan à retourner à la ferme. Une fois sur place son premier souci sera de s'enquérir de la situation du réseau d'approvisionnement des moudjahidine. El-Hadja ne sait pas que ses déplacements sont surveillés. Dénoncée, elle sera arrêtée à la suite d'actes de représailles menés par un escadron complet. Conduite vers un centre d'interrogatoire, elle y passera plusieurs jours subissant les pires sévices. Tabassée et torturée, elle restera muette. Enceinte d'un bébé de 08 mois, elle est au bord de la syncope et ses râlements ne font qu'aviver la haine de ses bourreaux. Khedidja, envahie par la douleur, saigne et expulse à son corps défendant le fœtus. Elle voit la chair de sa chair dévorée par les chiens et sombre dans l'hystérie. Un énième crime contre l'humanité. Elle est relâchée dans un piteux état et accueillie par des voisins puisque son mari est retenu en prison et ses proches en fuite. Elle rentre à Ain Temouchent chez sa sœur mais cette fois-ci elle sent que sa vie et celle de ses enfants sont en danger. Elle attend alors la sortie de son époux Kouider pour décider du sort de ce qui reste de la famille. Ils se procurent de faux papiers et se refugient au Maroc. A Oujda, ils font l'apprentissage de la dure condition de refugiés arrivés en pleine guerre car les « anciens » sont plus ou moins bien lotis. Khedidja reprend son combat et intègre un réseau de collecte d'argent au profit de l'A.L.N. Elle fera connaissance avec Hiba et Maghnia, les sœurs de Ahmed Ben Bella, refugiées comme elle à Oujda. Sous la protection de Ghezlaoui Mansouria épouse qui finançait et encadrait le groupe, elle participe à l'élargissement du réseau de collecte aux moudjahidine qui s'étoffera rapidement. A la date du 19 mars 1962, elle réintègre le bercail. Ses biens ne sont qu'un amas de ruines et la ferme totalement détruite. Elle va s'installer à Béni Saf, le temps de rendre le lieu habitable, puis déménage à Ain Temouchent, son mari y décède en 1963 en pleine prière, juste au début de l'indépendance. Elle le rejoindra par une belle journée d'été le 23 juillet 1991 non sans avoir laissé derrière elle l'aîné Baghdadi, son principal soutien durant les tourments de la guerre, et trois de ses frères qui œuvreront, chacun à sa manière, à l'édification du pays. El Hadja Khédidja éprouvait de la compassion et énormément de tendresse pour ses enfants qui partagèrent avec elle les durs moments de la Révolution. Notamment le jeune Sid Ahmed dont les retours de la caserne étaient fiévreusement attendus. Il sera l'un des plus jeunes généraux majors de sa génération et commandera la garde républicaine avant d'être admis précocement à la retraite. Cet ancien parachutiste et baroudeur dont le patriotisme, la rectitude et le professionnalisme suscitaient le respect de ses pairs aura été jusqu'au bout fidèle aux valeurs que lui ont inculquées ses parents et surtout sa maman, Moulay Méliani Khédidja l'héroïne de Benchaib. |