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En 1972, pour commémorer le
10e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, Kateb Yacine, l'indomptable
auteur de «Nedjma» fut invité à Tlemcen pour composer
le texte d'un «son et lumière» prévu à cette occasion. Mais le projet tourna
vite court et l'écrivain proposa, à la place, de monter une pièce de théâtre
inspirée d'un épisode célèbre du deuxième et infructueux siège de Tlemcen,
alors capitale du royaume des Zianides, par des
troupes merinides venues de Fez pour tenter de
conquérir une seconde fois la ville, à la fin du 13e et début du 14e siècle.
Cette œuvre de Kateb Yacine intitulée «Saoût enissâ» («La voix des femmes») fut jouée pour la première fois par la troupe du lycée de jeunes filles «Maliha Hamidou» de Tlemcen, l'après-midi du 5 juillet 1972. Le texte de la pièce ne sera publié que 42 ans plus tard, en 2014, aux «Éditions des femmes» à Paris, sous le titre générique «Parce que c'est une femme». C'est l'essayiste et libraire (de l'ancien temps) Sid-Ahmed Bouali qui eut l'idée d'inviter Kateb Yacine à Tlemcen. Ce dernier y séjournera plusieurs mois, avant et après juillet 1972. Il envisagera même de s'y installer à mi-temps, après avoir obtenu par on ne sait quel truchement bienveillant, un petit appartement situé dans un immeuble coquet au quartier «Bab Wahran» de la ville. Est-ce durant cette période que l'auteur de «Nedjma» remit à son ami Sid-Ahmed Bouali, comme gage d'estime et pour une analyse critique, le manuscrit d'une autre pièce de théâtre de sa création, qui était alors en gestation, la mystérieuse Anafrasie ? La présence de Kateb Yacine à Tlemcen, si elle enchanta ses hôtes tlemceniens, irrita à la longue les autorités locales. Invité au Vietnam (voyage à l'issue duquel il écrivit sa pièce «L'homme aux sandales de caoutchouc») l'écrivain laissa, avant son départ, à Sid-Ahmed Bouali, le montant de 90 jours du loyer de son appartement que celui-ci ira verser à la caisse des Impôts, à chaque fin de mois. Mais lorsque l'écrivain, après son retour de Hanoï, regagna Tlemcen, il ne put déverrouiller la porte de son logement car l'administration l'avait entre-temps cédé à une autre personne qui avait changé les serrures. Kateb Yacine n'insista pas, comme à son habitude et quitta Tlemcen définitivement. Le manuscrit de «l'Anafrasie» resta au fond d'un tiroir dans le bureau de Sid-Ahmed Bouali, bien après sa mort qui survint en juillet 2000. C'est son fils Selim qui, fouinant un jour dans les archives de son père, découvrit le précieux document. Considérant qu'il s'agissait «d'un texte qui a été prêté à son père seulement pour une lecture», il contacta celui qu'il jugea être son propriétaire légitime, Amazigh, le fils de Kateb Yacine, et lui restitua le manuscrit de l'Anafrasie en 2012. Selon la brève note de lecture du libraire tlemcenien, griffonnée au crayon sur la page de garde de ce manuscrit, «l'Anafrasie» est une sorte de «farce» qui met en scène un continent symbolique qu'imagina Kateb Yacine pour les besoins de sa cause littéraire. Dans cet écrit d'une trentaine de feuillets, le célèbre écrivain prend la défense des «ânes» prolétaires contre les «frères-monuments qui gardent la loi et vendent le pétrole» et contre tous les «Bou dinars» de la planète. Pour Brahim Hadj-Slimane, auteur-journaliste qui a réalisé en 2009 un film-documentaire sur «La troisième vie de Kateb Yacine», l'existence d'une pièce de théâtre intitulée «l'Anafrasie», écrite par Kateb Yacine, est avérée, mais «d'après moi, cette pièce n'a jamais été publiée, ni du vivant ni après le décès de l'écrivain. À mon avis, elle est restée en chantier, ce qui correspond d'ailleurs assez bien à la vision théâtrale de Kateb Yacine qui était une vision ouverte, non-scellée, constamment en mutation». * Libraire à Tlemcen |