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Certainement, le personnage est
devenu mythique, il n'est pas inconnu y compris de ceux qui ne sont pas
architectes. Ce dernier constat restait vrai cependant pour une certaine
génération, qu'on initiait d'emblée à une architecture moderne d'un architecte
exceptionnellement moderne qui est Le Corbusier et qu'on préparait surtout aux
endoctrinements du modernisme. Force est de constater aujourd'hui que nous
avons croisé des étudiants dans notre département de paliers universitaires
différents qui ne connaissent pas Le Corbusier ou qui ne savent rien de précis sur
son œuvre, ce qui donne non seulement un aperçu sur l'échec de la formation en
architecture, mais aussi sur le laisser-aller d'origine politique dans lequel
se trouve coincée l'université algérienne en général, à cause des politiques
sans vision qui y sont menées.
Enseignement de l'architecture. Le Corbusier est-il incontournable ? C'est difficile de le dire, surtout auprès de générations d'architectes désormais diplômés qui se défendent de ne pas savoir pour protéger surtout leurs privilèges d'exercer un métier censé être noble, à propos duquel ils savent intellectuellement parlant très peu de choses, qui plus est auprès de maîtres d'ouvrage publics qui dénigrent par inculture l'architecture et profèrent à son sujet des assertions absurdes. Mais je me fie personnellement au nombre impressionnant de publications concernant Le Corbusier par an à travers le monde entier, pas seulement en France. Dans le monde anglo-saxon il y a un engouement quasiment démesuré pour Le Corbusier, qui n'a pas reculé d'un pouce depuis des lustres, et je rappelle sans idée implicite que parmi les premiers commanditaires de Le Corbusier, dans ses moments difficiles, en pleine crise économique, il y avait des Américains, parmi eux William Cook et, Henry et Barbara Church. Le Corbusier a su se forger une notoriété au moment où, pour le paraphraser, tout le monde «faisait la guerre aux artistes». A lui seul, Le Corbusier représente une histoire de l'architecture qui ne se réduit pas à une histoire de la construction, ce qui ne veut pas dire que cette dernière n'est pas importante, ou n'a pas été importante pour lui. Il a abordé le métier autrement, mais c'est surtout sa démarche qui n'a pas cessé d'évoluer, et ça nous avons tendance à le dénigrer, ce qui me fait dire que dans la vie de Le Corbusier, en réalité, il y avait des vies de Le Corbusier, simplement parce que le personnage était sensible à tout et ne se laissait pas généralement enfermer dans des cadres normés. Il inventait ses normes et jouissait en même temps d'une très grande ouverture d'esprit qu'on retrouve rarement chez d'autres architectes. Le Corbusier a une dimension internationale J'ai déjà rappelé cette dimension dans mes publications antérieures dans Le Quotidien d'Oran. La meilleure illustration que je peux en faire, c'est le fait que Le Corbusier a annoncé ses «cinq point de la nouvelle architecture», c'est-à-dire : «les pilotis, le toit-terrasse, le plan libre, la fenêtre en longueur, la façade libre», pas en France, mais à Stuttgart, dans une publication en langue allemande, en 1927, lors d'une rencontre ayant pour objectif de mener des expériences au sujet de l'habitat moderne dans le quartier Weissenhof (qui veut dire s'il m'en souvient bien : la maison blanche). Enfin, c'est ce qu'on appelle aujourd'hui une opération pilote, visant à décloisonner le débat autour de l'habitat individuel, et à travers ce dernier, je suppose, parvenir à la réalisation de l'homme moderne capable de vivre avec les exigences du «siècle bref» pour ceux qui ont lu «L'Âge des extrêmes, histoire du court XXe siècle», un livre de l'historien marxiste Eric Hobsbawm paru en 1994, ou qui ont découvert cette expression étonnante mais tellement vraie dans «Première leçon d'urbanisme», livre de Bernardo Secchi, publié en 2000. Le Corbusier a suscité un engouement hors-norme dans l'histoire de la construction pour l'architecture. C'est ce que reconnaît un autre architecte, disons d'une autre pointure qu'est Fernand Pouillon lequel pourtant a dû résister à ce qu'il a appelé dans son célébrissime ouvrage «Mémoires d'un architecte» publié en 1968, les épigones, je suppose en faisant allusion, ou en les pointant du doigt simplement, à ceux qui se proclamaient d'une filiation architecturalement corbuséenne, et qui ont accablé nos environnements de copies médiocres de l'œuvre diversifiée de Le Corbusier, selon Jean-Jacques Deluz qui ciblait dans son propos les nombreuses cités radieuses manquant d'ingéniosité et d'inventivité, des architectes modernistes, dont Emery. La force de Le Corbusier, c'est son esprit d'inventeur Cela veut dire que Le Corbusier n'a pas fonctionné au mode des revues ou de la séduction des images comme nous le voyons au jour d'aujourd'hui. Bien au contraire, Le Corbusier a fait fabriquer un esprit nouveau d'une toute nouvelle architecture qui est la sienne et a influencé les revues de son époque, et je dirai même jusqu'à récemment, et l'exemple de la revue Architecture d'Aujourd'hui plus connue sous le sigle AA en présente un témoignage puissant, notamment à travers le militantisme pour la cause moderne que pratiquait son rédacteur en chef André Bloch, fervent allié à la cause de Le Corbusier. Celui-ci a breveté des procédés de construction, dont l'illustre «procédé domino» détourné sous sa forme actuelle poteaux poutres. Ce procédé en question, en plus du fait que l'architecte l'a inventé dans des conditions très particulières de reconstruction, a permis de se libérer de la dictature des murs porteurs, de donner la parole à l'espace et surtout de s'appuyer sur cette nouvelle donne comme nouvelle définition de l'architecture au lieu de rappeler à tout temps la définition assommante consistant à dire que «l'architecture c'est l'art de construire», alors que nous savons tous que dans le fond ce n'est plus le cas. Paradoxalement, Le Corbusier a connu des déboires aussi bien techniques qu'économiques, d'abord pour des tas de raisons, certaines sont liées à sa pratique propre, sa négligence pour ne pas dire sa méconnaissance des coûts, le choix de techniques et de moyens inopportuns, et d'autres à la nature rigide des administrations qui voyaient d'un mauvais œil l'innovation culturelle et les appels d'offres qui obligeaient aux recours au moins-disant. Faut dire que ce propos que je fais n'est pas linéaire dans la vie de Le Corbusier praticien, mais disons le clairement, praticien de ses propres idées, visions et improvisations conceptuelles et techniques. Je pense que Le Corbusier a rompu momentanément ses maturités qu'ils a réintégrées au fait de la reconnaissance qu'on lui témoignait en particulier dès les années 1950, puisqu'il a repris, en partie, l'esprit du constructeur artisan après avoir reçu la séduction de ne pas s'occuper des systèmes constructifs comme ce fut le cas et ce n'est pas le seul exemple, de l'immeuble «Clarté» en structure métallique à Genève, en 1930. Le cas des maisons Jaouls est un exemple très intéressant de ce que j'ai appelé la réintégration des maturités du genre frivole de sa jeunesse, et de l'idée de la modernité qu'il se faisait et qui est aux antipodes des modernités contemporaines, pas du tout intelligentes et moins engagées dans la domaine de la construction inventive puisque affectées du recours excessif aux technologies artificiellement intelligentes. Cette chose que je tente d'expliquer se retrouve d'ailleurs dans l'œuvre de Louis Kahn qui était admiratif de l'œuvre de Le Corbusier qu'il n'a jamais rencontré, et peut-être même dans le propos que Kahn tenait, comme quoi : «l'architecture est la fabrication réfléchie de l'espace». Le Corbusier représente-t-il un enjeu risqué pour l'esprit de l'architecture ? J'ai le regret de penser que oui, et je crois même que ça a toujours été le cas depuis même que Le Corbusier est Le Corbusier. Celui-ci a ouvert la voie de l'architecture comme monde d'inspiration et d'inventivité issue du domaine de l'expérimentation, y compris à tous les opportunismes paresseux. Son idéalisme devait nous ramener au domaine de l'humanisation de la production des hommes pour les hommes ou la recherche du bonheur pour ces derniers, sujet qu'affectionnait Le Corbusier. Le propos aujourd'hui est «humaniser le robot et robotiser les hommes» (dixit Bernard Pivot). Nous oublions que Le Corbusier était un homme complet, ou presque. Il manifestait les critères qui faisaient de lui un artiste sans le revendiquer ; il réfléchissait sur ses engagements, et donc ne s'engageait pas seulement. Sa notoriété, son affirmation dans le monde de la novation culturelle, il la devait à sa ténacité d'être discursif, à l'écriture de ses articles et livres qui ont propagé et imposé ses idées et positionnements, plus qu'à ses constructions (dixit Gérard Monnier). L'architecte a tellement suscité d'intérêt qu'il eût forcément peu de chance pour que ses idées ne soient pas transformées, dévoyées, détournées par des esprits limités qui ont réduit ses propos au premier degré soit pour l'attaquer ou l'utiliser comme argument pour leurs produits d'un mimétisme a-synchronique et irréfléchi, sortis tout droit de leurs gestations inabouties. Je veux dire qu'on peut faire semblant de faire Le Corbusier, seulement on ne l'est jamais. Le Corbusier est inimitable ! *Architecte-enseignant (USTO), docteur en urbanisme (IUP) |